Certains élèves ont détourné leur regard lorsqu’un enseignant à Vienne leur a montrés les caricatures de Mahomet. Ils ont été autorisés à le faire. Vous n’avez pas à regarder la façon dont la tête du prophète a été représentée comme une bombe, a-t-il décrit. Après que ces dessins et d’autres ont été publiés dans le journal danois «Jyllands-Posten» en 2005, des drapeaux danois ont été brûlés dans le monde islamique, ainsi que des ambassades et des églises ont été attaquées. L’affaire constitue un excellent exemple disant long sur la différence de la façon avec laquelle l’Orient et l’Occident regardent la liberté d’expression.
Le professeur a poursuivi : « la question autour de qui regarde les caricatures et qui ne l’a pas fait doit constituer un test décisif basé sur le crédo «Que pensez-vous de l’ordre fondamental libre et démocratique ?». Il ne s’agit pas d’une question de confrontation, mais de réflexion. Dans les cours d’histoire de la 11e année, où il a montré les caricatures, la plupart des étudiants présents étaient des «musulmans socialisés». Certains d’entre eux trouvaient faux de dessiner ou de montrer de telles caricatures. Mais cela ne change rien le fait que tout le monde présent dans les cours a condamné le meurtre horrible de Samuel Paty l’année dernière près de Paris.
L’incident a relancé le débat sur les limites de la liberté d’expression et de la liberté artistique en Allemagne et en Autriche. Il s’agit d’une certaine variante de la question brûlante de l’influence de l’islam et de l’islamisme sur la société. Cette fois, elle attire l’attention sur un endroit spécial qui est l’école.
Quand des élèves en Europe se sont rappelés de l’assassinat du professeur début novembre, on a vite entendu que des élèves musulmans avaient boycotté la minute de silence. Par ailleurs, l’incident d’un garçon de onze ans qui a menacé un enseignant à Berlin de l’agresser et de le décapiter a fait la une des journaux en novembre.
Certaines personnes auraient juste attendu de telles nouvelles. Quelques jours avant l’incident de la minute de silence – c’était fin octobre – le porte-parole politique national du groupe parlementaire allemand de droite AfD a pris la craie et a écrit sur un mur la supposée «islamisation de la cour d’école occidentale».
Le député a déclaré au parlement allemand : « Une catastrophe imminente plane sur les écoles allemandes ». L’«Association allemande des enseignants » parle d’un «climat d’intimidation» de la part des élèves et des parents musulmans. Les enseignants se plaignent des élèves musulmans qui agissent en machos envers les femmes. «Ce que nous n’avons pas besoin ici, ce sont des professeurs qui portent le voile et enseignent la prochaine génération des personnes dangereuses.»
En fait, le président de l’Association des enseignants, Heinz-Peter Meidinger, a déclaré: «Nous craignons qu’un climat d’intimidation se développe également en Allemagne.» La pression sur les écoles ciblées par une proportion d’élèves issus de l’immigration est très élevée. Meidinger prend ses distances de la propagande de l’AfD. «Si vous pensez toujours à qui pourrait abuser de ses déclarations, vous ne pouvez plus rien dire», a-t-il dit.
Pour Meidinger, il s’agirait de prendre «un raccourci» pour simplement voir qui se radicalise dans le sens de devenir terroriste. Il est aussi autour de la question de quelle religion est si contraignante de sorte qu’elle pourrait conduire à «imposer des droits spéciaux inadmissibles et influencer d’autres groupes».
De nombreux enseignants peuvent décider d’annuler les calendriers de l’Avent aux classes ou les maintenir, mais qu’ils s’assurent que les enfants des familles musulmanes conservatrices ne mangent pas d’ours en gomme parce qu’ils ne sont pas halals, tandis que certains autres élèves ne sont pas autorisés à participer à des cours de natation parce qu’ils constituent un péché. Certains enseignants ont vécu également des situations plus extrêmes. La question cruciale est toujours de savoir comment ils agissent face à ces situations.
«On n’entend plus rien par le slogan « La police de la Charia», a indiqué un enseignant de Vienne. «Nous n’avons pas d’islamistes à l’école». Il n’a pas nié par contre que les opinions religieuses particulièrement conservatrices puissent être un problème. Il a évoqué l’histoire d’un étudiant qui ne voulait pas jeûner et qui a subi des pressions de la part des autres pour jeûner en Ramadan. Un collègue a alors expliqué que faire le jeûne est une question entre la personne et le Dieu.
Une enseignante du secondaire de la région allemande de la Ruhr, qui ne voulait pas donner son nom, a parlé de son école sur un ton différent : «Un juif ne serait jamais heureux avec nous, les chrétiens ont du mal avec nous. «L’antisémitisme est un gros problème. «Pour nous, il est extrêmement normal que nous appartenions à une société religieuse parallèle», a dit l’enseignante à propos de son attitude envers la vie quotidienne à l’école.
Elle a évoqué le cas d’un élève de dixième grade qui a refusé de parler de la culture funéraire d’autres religions et d’une autre élève de neuvième année qui a pleuré lors d’une leçon consacrée au meurtre de Paty. Mais elle n’a pas pleuré pour Paty, mais plutôt pour le prophète offensé. L’enseignante n’a pas bien parlé des communautés de mosquées. «Je remarque très clairement quand les enfants vont aux communautés de mosquées. Ils sont en quelque sorte déterminés». Souvent, ce n’est pas une question de religion, mais d’appartenance à un groupe. Dans le passé, des élèves en Allemagne ont été radicalisés, certains ont émigré et, entre 2014 et 2016, ils sont partis à la «guerre sainte».
Burak Yilmaz est quelqu’un qui pourrait donner une idée sur son travail quotidien d’enseignant. Il est responsable des projets théâtraux contre l’antisémitisme dans les écoles. «On a décidément une partie du corps de l’élève qui porte des idées islamistes», a-t-il dit. Cependant, le problème est gérable. «Je notifie encore et encore que tout cela dérive vers la généralisation sur tous les Musulmans».
La contrainte du débat c’est qu’il n’y a pas d’études pertinentes sur la radicalisation islamiste des enfants et des jeunes. Ceci est également confirmé par Rauf Ceylan, le sociologue qui enseigne à l’Institut de théologie musulmane de l’Université d’Osnabrück. Il n’y a pas de chiffres, seulement des rapports d’expérience qu’il prend très au sérieux, a-t-il dit. Des études à effectuer dans ce sens sont nécessaires de toute urgence. Il y a le phénomène de la radicalisation islamiste, et il ne peut pas être négligé, «mais on ne peut pas non plus prétendre qu’une avalanche d’islamisme déferle sur la société». A quel point est-il provocateur de dire qu’un adolescent se présente comme un islamiste sans aucune connaissance ? Quels sont les sentiments religieux profonds qui le suscitent? Quelqu’un a-t-il une vision du monde islamiste fermée?
L’enseignante du secondaire susmentionnée de la région de la Ruhr a contacté il y a trois ans la ligne directe gouvernementale à propos d’un élève de neuvième année. Il lui a dit à l’époque qu’il est juste de couper les mains d’un voleur comme punition. C’est ainsi que la charia le veut. Plus tard, il a commencé à faire des démonstrations de prières dans la cour de l’école, et il y a une fois pendant la pause de cinq minutes, il est allé dans une classe de jeunes élèves pour parler d’Allah.
Via la ligne directe, il a été recommandé à l’enseignante d’utiliser le «Cross-Border Crossing Advisory Network» (Réseau consultatif des passages frontalier) en Rhénanie du Nord-Westphalie. Un conseiller s’est entretenu avec les enseignants et aussi avec les parents de l’élève. Ce dernier vivait avec sa mère, originaire de la Turquie, et a grandi séparément de son père, d’origine tunisienne. À l’âge de 14 ans, il a cherché à rejoindre son père. Le conseiller a trouvé les opinions de ce dernier très dangereuses. Il aurait regardé des vidéos du salafiste Pierre Vogel avec son fils et il aurait déclaré lors d’une conversation à l’école sur la tentative d’assassinat sur la Breitscheidplatz de Berlin, que ce sont des clopinettes par rapport aux innombrables morts en Irak, en Syrie et en Palestine.
Un long processus a débuté : pendant un an, une conseillère a rencontré l’étudiant semaine après semaine. Elle a avoué son secret et comment il a réussi à gagner sa confiance. Elle lui a parlé de ses objectifs dans la vie et a appris l’arabe avec lui, car elle-même vient de l’Egypte. Au fil du temps, il a pris des distances avec son père. Maintenant, il veut même devenir policier. Avant de quitter l’école, la conseillère a demandé s’il insistait toujours sur les lois de la charia. Non, il a répondu : ça craint.
L’enseignant de la région de la Ruhr a été heureux que l’élève soit sauvé, pour qui l’influence d’une communauté fondamentaliste de la mosquée a probablement joué un rôle aux côté de son père. Quel que soit d’où viennent les pensées islamistes – d’Internet, de la table de la cuisine, des communautés de mosquées fondamentalistes – ces attaques poussent régulièrement ces points de vue vers les espaces des discussions dans les classes.
Dans de nombreuses salles de classe, la minute de silence a alimenté le feu. Les expériences des enseignants peuvent être très différentes même au sein d’une même école. C’était de même avec un professeur qui enseigne dans une école de Cologne. Il a dirigé la minute de silence en classe d’éthique en septième année. Un tiers des 26 étudiants sont musulmans, dit-il. Il soupçonne que trois étudiants parmi eux ont des origines islamiques conservatrices.
Il a décrit la situation dans la classe comme suit: Après la minute de silence, un élève a dit que c’était déjà une insulte pour le prophète. La communauté de classe n’a pas voulu le laisser pousser plus loin. Une étudiante voilée a répliqué : Selon vous, qui irait au paradis ? L’enseignant ou l’agresseur ? L’étudiant a répondu que le meurtre était une erreur – mais il en était de même pour les caricatures de Mahomet.
Il a essayé de tirer l’étudiante de son côté : Vous portez un voile, n’êtes-vous pas musulman ? Dans cette classe, le jeune qui critiquait représentait une seule voix. Quoi qu’il en soit, selon la perception de l’enseignant, il se trouvait dans une position difficile. Le professeur se demandait s’il voulait juste provoquer ou s’il y en avait plus que cela. «L’élève apprend probablement un islam très conservateur et le perçoit comme une identité».
L’enseignant a eu une expérience différente avec la dixième année quelques jours après la minute de silence. Là, la critique de Paty ne venait pas d’un seul étudiant, mais de la majorité. L’enseignant a dû expliquer pourquoi la minute de silence était nécessaire: «Parce qu’il s’agit d’une valeur très centrale d’une société démocratique, la liberté d’expression, et parce que cela s’est passé dans une école».
Puis les réactions sont venues, se souvient l’enseignant : Oui, d’accord, si l’école est si importante alors pourquoi n’y a-t-il pas de minutes de silence après les attentats à la bombe contre des étudiants en Syrie ou pour les victimes de Hanau. À son avis, les étudiants ont atteint un point. Il est important pour lui que l’on se souvienne de Samuel Paty. Dans cette classe, cependant, ce souvenir conduirait de manière prévisible à une polarisation.
Beaucoup se sont sentis «instinctivement attaqués, même s’ils ne sont pas religieux, mais ils se considèrent comme musulmans du point de vue d’eux-mêmes et des autres». C’est difficile. «Vous dites quelque chose contre les islamistes et ils se sentent attaqués. Ils ne savaient pas non plus quelle est la différence entre l’Islam et l’islamisme. L’enseignant ne voit aucun danger des tendances islamistes. «D’après mon expérience, c’est une minorité absolue». Mais elle pouvait «surgir» quand des cellules de groupe étaient formées.
Les conflits autour des croyances islamiques, souvent conservatrices et parfois fondamentalistes, qui se situent dans un vaste champ entre l’interdiction des oursons gommeux et les positions misanthropes comme l’antisémitisme ou le mépris des homosexuels, sont une réalité. L’ampleur de ce phénomène est encore inconnue.
Parfois, des déclarations, parait-il, alarmantes sont rapidement retirées du monde scolaire, et le spectre de l’islamisation disparaît aussi vite que son apparition. Pendant une récréation, un élève de septième année est venu voir son professeur dans une école de Vienne. Selon sa mémoire, l’étudiant a demandé avec presque une façon décontractée : est-ce que ceux qui ne sont pas musulmans iraient-ils en enfer? L’enseignant a expliqué à l’élève que les gens grandissent différemment et que toutes les religions ont leur place. « Le garçon a trouvé cela très plausible ». Et il retournait jouer au football.