Aborder la question de l’illumination peut paraitre plus pressant que jamais dans le cas arabe, étant donné que l’actualité des pays arabes a toujours fait la une des bulletins d’information, de l’océan au Golfe, vu l’ensemble des tensions sécuritaire, militaire, et politique dont ils ont souffert et ils souffrent pendant plusieurs décennies. Lors des recherches autour des raisons de tout cela, peut-être nous reviendrons sur la question nécessaire et inéluctable collée à la pensée arabe depuis le début de ce qu’on appelle l’ère de la Renaissance arabe. Elle est venue avec des formules, même si différentes, mais elle s’est représentée par la question fondamentale : Pourquoi ont-ils pu avancer quand nous sommes toujours en retard ? En faisant ainsi référence au fossé civilisationnel qui s’est élargi entre les Arabes et l’Occident.
On tentera de retracer toutes les contraintes auxquelles ont été confrontés et affrontent tout projet d’illumination arabe, en s’appuyant sur l’un des plus célèbres articles sur le sujet de l’illumination, un article du philosophe allemand, Emmanuel Kant, et la lecture de certains des thèmes de l’article constituant une entrée vers l’illumination souhaitée dans le monde arabe.
Primo : Qu’est-ce que l’illumination ? (le contexte historique du projet européen des Lumières) :
On suppose que le vrai début du changement de l’attitude négative de l’homme envers le monde, et sa sortie du cercle de la certitude terne vers l’espace de la connaissance ouverte, était grâce à Francis Bacon (1561-1626), puis Galilée et Descartes. Et cela s’est accompagné de certaines évolutions ayant eu lieu en Europe et qui se sont manifestées par l’émergence des universités au XIIIe siècle, comme la Sorbonne, Oxford et Bologne, avec un développement notable au niveau des villes et du mouvement du commerce.
En 1783, après l’ambiance assourdissante des débats en Allemagne, la revue Berlinische Monatsschrift posait à ses lecteurs une simple question : qu’est-ce que les Lumières ?
Les réponses à cette question variaient, et parmi les noms les plus importants qui ont présenté des articles, figuraient les réponses du dramaturge allemand Gotthold Lessing, du philosophe juif, Moses Mendelssohn, et du philosophe prussien Emmanuel Kant, qui est l’auteur de l’article le plus célèbre dans ce sujet. Il est peut-être devenu l’un des articles les plus importants de l’histoire.
Secundo : Une lecture dans l’article de Kant portant sur les Lumières, et la possibilité de son application dans le contexte arabe.
Exemples de signes précurseurs de l’illumination arabe :
Probablement, le mouvement Mutazilisme a joué un rôle de premier plan dans la tentative d’établir ce type de pensée, qui, même s’il le plafond était limité, mais l’audace de ses thèses avait ouvert la voie aux suivants, surtout cet effort incroyable pour défendre la philosophie, et la logique qui était menée par le juge de Cordoue ainsi que son philosophe Averroès au XIIe siècle.
Le grand commentateur, qui a digéré la logique d’Aristote et tenté de l’adapter à l’Islam, a défendu dès le début de son célèbre ouvrage :
« Le Discours décisif » sous la forme d’une question préliminaire : « La charia permet-elle la philosophie ? » en définissant le but de cette question est d’examiner le point de vue de la Charia et si la philosophie et les sciences de la logique sont permises ou interdites
Après avoir mentionné plusieurs versets du Coran qui invitaient les gens à réfléchir, il présente sa définition initiale de la philosophie comme « l’examen rationnel des étants, et dans le fait de réfléchir sur eux en tant qu’ils constituent la preuve de l’existence de l’Artisan. En effet, si la connaissance de l’Artisan est d’autant plus parfaite qu’est parfaite la connaissance des étants dans leur fabrique ».
A titre d’exemple, le penseur syrien, Francis Marrache, dans son livre « La forêt du vrai » en 1865, a appelé la race arabe à un amour patriotique, privé d’objectifs religieux, en considérant les haines sectaires et religieuses parmi les plus dangereuses conséquences de l’« ignorance et de la barbarie » qui ont semé la première impulsion de la séparation des Libanais et ont secoué les piliers de Damas. Et Marrache a exprimé une ferme croyance en l’énorme pouvoir de la science pour surmonter le gap civilisationnel entre l’Orient et l’Occident, et que l’ignorance est la source de tous les maux de l’Orient, et l’origine de toute détérioration et dégénérescence en son sein.
Modèles de tutelle dans le contexte arabe :
Kant définissait les Lumières comme suit : «la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle n’est pas due à une insuffisance de l’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Telle est la devise des Lumières ».
On peut déterminer deux niveaux décisifs de tutelle peuvent, sous lesquels l’esprit arabe souffre actuellement :
A – Le modèle de tutelle religieuse.
B – le modèle de tutelle politique.
Et si l’on analyse un peu les mots de Kant, notamment l’expression «se servir de son entendement sans être dirigé par un autre », aux deux niveaux, on retrouvera dans le premier un discours religieux à plusieurs niveaux, dont le moins présent est celui qui donne à l’esprit son rôle et sa place dans la réalisation de la renaissance et du progrès, et le plus présent est celui qui ne fait pas seulement de l’homme un serviteur de Dieu, mais le rend également esclave de l’interprétation d’un juriste qui est décédé depuis des siècles, ou un tuteur qui a apporté à la religion des choses qui n’en font pas partie dans le but de prévaloir ses règles absolues. A cela s’ajoute le pire investissement du discours religieux, politiquement à travers les mouvements islamiques qui ont exagéré avec ses deux parties, les Sunnites, représentés par les Frères musulmans, et les Chiites représentés par l’hérésie de Vilayat-e Faqih comme il a été ancré par le régime des mollahs sous sa forme autoritaire.
Au deuxième niveau, la tutelle a été plus fatale lorsque les dictateurs du monde arabe se sont considérés comme étant les tuteurs des peuples. Ils pensent à leur place et ils les exploitent comme ils veulent, et ce à travers leurs services de sécurité répressifs et oppressifs, qui font de toutes les institutions des moyens de recrutement pour leur survie au pouvoir. Et la plus dangereuse de ces institutions, celle éducative qui, au fil des décennies, a créé des modèles paresseux, lâches et ignorants de leurs missions et de leurs rôles charnières.
La paresse et la lâcheté comme des contraintes devant l’illumination :
On pourrait dire que les régimes autoritaires, en monopolisant les articulations de la société, notamment les secteurs de l’éducation et les médias en particulier, accompagnés de services de sécurité répressifs, ont produit au fil des décennies une forme d’acceptation du statu quo et de ne pas avoir le courage de le modifier ou de le changer. Et cela est compréhensible dans une certaine mesure. Il pourra nous aider également à mieux comprendre la lâcheté évidente et la réticence à prendre des risques qui ont dominé le monde arabe pendant des décennies. Mais avec les soulèvements du printemps arabe, des signes très courageux sont apparus en contestant tout cela, et il s’est avéré que ce qui était considéré comme éternel ne l’est pas finalement.
La liberté comme une condition indispensable à l’illumination :
L’illumination n’exige rien d’autre que la liberté, et la chose la plus simple que l’on puisse appeler la liberté, c’est que l’individu soit libre d’utiliser ouvertement son propre entendement dans tous les domaines, mais on entend tout le monde dire : « Ne discutez pas ». L’officier dit « ne discute pas, exécute », et le contrôleur d’impôts dit : « ne discute pas, paie » et le prêtre dit : « ne discute pas, crois ».
Cette liaison claire et conditionnelle chez le philosophe des Lumières est d’une importance primordiale dans le cas des pays qui cherchent aujourd’hui une place dans le monde, y compris bien sûr les pays arabes. Donc, sans une prise de conscience progressive et de longue haleine, il n’est pas possible d’échapper à la morale de l’obéissance aveugle aux dictateurs pour s’engager dans le processus de l’illumination. Et aucun projet d’illumination ne peut exister dans un environnement de tyrannie, étant donné que la liberté et le despotisme sont deux lignes parallèles qui ne se croisent jamais.
La religion parallèle, une contrainte devant le projet de l’illumination :
« Une communauté de prêtres a-t-elle le droit de respecter un pacte d’une foi changeante, afin de bénéficier d’une tutelle continue sur les membres de la société ? Je dis : jamais. Et s’il existe ce genre de pactes, c’est pour empêcher les Lumières d’atteindre les gens. Il est annulé et sans aucune valeur même s’il est soutenu par une autorité suprême comme le Parlement, un tel pacte est un crime contre la nature humaine ».
Ainsi, la tutelle des personnes, la revendication du droit de les diriger, la gestion de leurs affaires quotidiennes et le fait d’accorder à la religion ce qu’il n’en fait pas partie, outre cet héritage qui a est devenu délibérément, en un nouveau sacré, tout cela a produit ce qu’on appelle la religion parallèle.
Tertio : Conclusion et déductions :
Tout processus d’illumination doit constituer un contexte continu, prenant en considération les questions essentielles suivantes :
– Aucun projet d’illumination ne peut exister sous le despotisme avec ses deux ailes idéologiques odieux, c’est-à-dire le politique et le religieux. En effet, il est inévitable de continuer à les affronter par tout moyen, pour constituer une structure susceptible d’être illuminée.
-Reconsidérer la science, la pensée scientifique et rejeter la superstition et la pensée primitive, en commençant par mettre en place de nouvelles méthodologies faisant de la pensée critique et interrogative son but, ainsi que de la recherche, de l’investigation et du questionnement ses outils, pour préparer, à tous les niveaux, les personnes qualifiées pour entrer dans les valeurs et la science de la civilisation moderne.
– Il n’est pas possible de parler de l’illumination en négligeant ce discours religieux extrémiste et insistant à impliquer forcément la religion dans la vie publique, et nous renvoyer à une époque qui ne ressemble pas à la nôtre. La trêve n’est plus possible donc avec un tel discours, car il restera un danger imminent pour tout projet d’illumination.
– La progression dans le processus du changement qui peut atteindre la structure arabe, car il n’est pas possible, selon les données de l’histoire, qu’une société agricole se transforme du jour au lendemain en une société ou un système laïc. Et cela est un appel à ceux qui adoptent un discours laïc extrémiste et pas aux Laïcs pour revoir les possibilités.
-Revoir le statut de la femme arabe au moment de préparer un projet prétendu d’illumination, puisqu’on ne s’attend pas à ce que l’illumination soit complète avec une seule aile de la société, à savoir l’homme, et le véritable travail de reconsidérer le rôle de la femme, en tant que force humaine regorge de potentiels. Et peut-être l’exploitation de ces potentialités après la modification de son statut dans les Constitutions, les lois et la législation, constitue un point d’entrée nécessaire vers les lumières.
– Réactiver les forces de la société civile de l’intérieur, et non à travers les forces et les agendas étrangers, et sortir de l’état actuel de distorsion de la société civile, du syndicat au club, dans leur forme politique idéologique, incivile et politiquement grossière, afin de jouer son véritable rôle exprimant les vrais intérêts des peuples avec leurs différentes catégories sociales, loin du mercenariat et de l’opportunisme.