« La boite d’allumettes », ainsi que l’appelait Hosni Mubarak, l’ancien président égyptien renversé par les printemps arabes, s’est depuis installée dans le paysage audiovisuel mondial et a même développé un groupe audiovisuel multilingue, également présent sur Internet via le média en ligne AJ+, petite soeur de la chaîne d’info qatarie Al-Jazeera.
Aucune chaîne d’information arabe concurrente, d’ailleurs toutes créées dans son sillage avec l’espoir de concurrencer son audience et son influence (plutôt que ses parts de marché, car les médias d’information dans le monde arabe sont rarement rentables), n’a jusqu’alors réussi à menacer l’hégémonie d’Al-Jazeera. Pourtant, des moyens tant humains que matériels ont été mobilisés, et on trouve de toutes les sensibilités et de tous les axes. Mais, semble-t-il, l’axe Qatar-Frères Musulmans est beaucoup plus suivi que les autres, du moins à en croire les audiences relatives des deux principaux compétiteurs du média qatari : Al-Arabiya, qui bénéficie d’importants fonds saoudiens, et Al-Mayadeen, alignée sur Damas et sur Téhéran, qui ont fait appel à Samy Kuleib, ancien d’Al-Jazeera, pour son lancement. Le même Kuleib qui déniait catégoriquement tout lien avec le gouvernement syrien, lors d’une première rencontre en 2012, que nous avons eue à Beyrouth, via un diplomate syrien.
Bien qu’Al-Jazeera demeure dominante sur le marché de l’audiovisuel d’information arabe (il faut rappeler à nouveau que dénommer ce secteur un marché est contestable, car l’obligation de rentabilité n’est souvent pas prioritaire, même s’il y existe bien un marché de l’audience et de l’influence, qui, toutefois, ne génère pas directement de gains), ses concurrents et notamment les deux sus-cités ont, nonobstant, un public, qui n’est, certes, pas aussi nombreux, mais qui est tout aussi stratégique : il s’agit en effet des élites et des classes moyennes sécularisées et socialistes (une traduction controversée de baathistes), ainsi que des minorités, dans la droite ligne du nouveau marketing aouniste de l’alliance des minorités.
Mais sur le conflit israélo-palestinien, seule la chaîne qatarie fait foi dans tous les secteurs du public arabe, laïques et chrétiens inclus, et sa part d’audience a encore augmenté après les accords d’Abraham, la confiance dans les médias de l’axe saoudo-émirien étant en baisse.
Al-Jazeera, qui s’est rendue célèbre en diffusant en exclusivité, et presqu’en direct, les discours délirants d’Oussama Ben Laden, après le 11 septembre 2001, a, depuis longtemps, choisi le parti du Hamas tant dans les luttes internes palestiniennes que plus largement dans le conflit israélo-arabe. Ce qui n’est guère surprenant, puisque le Qatar mène, depuis l’éviction du grand-père Al-Thani par son gargantua de fils, une diplomatie agressive de soutien et de légitimation des Frères Musulmans, comme on l’a vu dans ses participations dans les guerres en Libye et en Syrie, et dans le financement en Europe de mouvements musulmans anti-occidentaux séparatistes qui prônent l’irrespect des règles de droit et des valeurs démocratiques humanistes qui éclairent cette partie du monde.
Mais la vraie originalité d’Al-Jazeera dans le conflit israélo-palestinien est d’avoir mené une guerre des images d’une intensité inédite contre Tsahal, que d’aucuns, peut-être aussi propagandistes, appellent l’armée la « moins immorale » au monde.
Ces images asymétriques, qui mettent régulièrement en scène de pauvres enfants victimes de cette guerre, parce que trop souvent pris en otage par le Hamas, dont la stratégie principale consiste à envoyer des roquettes meurtrières sur des civils israéliens puis ensuite à se cacher au milieu des populations civiles, sachant pertinemment que toute attaque engendrera une riposte, reprennent ainsi certains poncifs de l’antisémitisme européen le plus abject sur le juif tueur d’enfants. Si l’armée israélienne se rend, en effet, coupable de faire des victimes collatérales aux cibles du Hamas visées, la réalité est également que, sans les agissements terroristes permanents du Hamas, les représailles israéliennes seraient bien moindres et il faut souligner à ce titre que de nombreuses voix s’élèvent dans la société civile israélienne, pour dénoncer ces représailles qui touchent des civils palestiniens.
Cette couverture biaisée et spectaculaire du conflit israélo-palestinien, mais intentionnelle du point de vue des objectifs politico-religieux du Qatar, peut être également considérée comme une incitation franche faite au Hamas de poursuivre cette stratégie de la violence contre des civils israéliens, qui va systématiquement entraîner une réaction guerrière d’Israël conduisant à l’exploitation et la diffusion d’images retentissantes et choc, qui émeuvent, à juste titre, non seulement les foules arabes, mais aussi l’opinion publique internationale, les médias ou les ONG européennes.
D’autant plus que le maximalisme, l’enfermement et la radicalisation des autorités israéliennes actuelles, qui n’ont pas su prévenir le plus grand massacre de Juifs depuis l’holocauste, ont éclipsé le regard éminemment critique et dénonciateur que nous devrions tous avoir sans exception sur le Hamas dont la charte nauséeuse stipule la destruction de l’Etat d’Israël mais aussi celle de sa population juive. Puis après les juifs, qui ? Les chrétiens ? Les musulmans opposés aux fondamentalistes ? Les druzes ? L’humanité ? Et dire que des terroristes du Hamas trouvent refuge au Qatar !
La création d’un canal anglophone d’Al-Jazeera, qui a d’abord servi à une campagne de normalisation internationale après le scandale des vidéos Ben Laden, et celle d’un média en ligne, AJ+, dont il existe une version dans quatre langues (arabe, anglais, français et espagnol), ont considérablement renforcé cette guerre des images initiée par le Qatar non pas tant du fait de leur audience mais parce que des journalistes anglophones et francophones qui travaillent aujourd’hui pour des chaînes d’information internationales telles que BBC World News ou France 24, passés par les canaux non-arabophones d’Al-Jazeera, reprennent pour certains la rhétorique de leur ancienne chaîne qatarie s’agissant du conflit israélo-palestinien, soit par orientalisme, soit par opportunisme, soit par mimétisme, ce qui revient dans tous les cas à refuser un traitement équilibré et objectif de la réalité.
Le média en ligne AJ+ s’adresse quant à lui directement au public occidental, et suit une stratégie comparable à l’alliance des minorités du général Aoun, et tout aussi intenable. Il s’agit de ce qu’on appelle de plus en plus le wokisme : parler de l’oppression (réelle) des femmes, des LGBT et des minorités raciales, pour mieux introduire et diffuser le concept très controversé et indéfini d’islamophobie, et son pendant proche-oriental tout-à-fait fallacieux de génocide palestinien, bien qu’il y ait eu, en effet, trop de morts et des déplacements forcés et massifs de populations palestiniennes, et ce dès 1948, dont les réfugiées du Liban et de Jordanie sont les descendants, et bien qu’une pareille menace existe aujourd’hui contre la population de Gaza-Nord.
Al-Jazeera, par son implication plus politique et militante que journalistique, contribue collatéralement à la pérennisation du conflit israélo-palestinien, en encourageant, par ses reportages orientés, la mise en scène de la guerre et en présentant le Hamas comme la résistance à Israël alors qu’il s’agit d’abord d’un mouvement terroriste et corrompu qui asservit des populations palestiniennes et qui les privent de tout, les poussant ainsi à accabler sans fin leurs voisins juifs.
Al-Jazeera a de ce fait une influence néfaste sur les opinions arabes et internationales, basée sur des poncifs antisémites anciens et notoires, notamment l’accusation de meurtres rituels par des juifs ! Israël se rend suffisamment coupable de méfaits contre les Palestiniens sans qu’il soit nécessaire d’inventer des accusations aussi délirantes que fausses et monstrueuses !
Quant au Hamas, soutenus par les mollahs iraniens et par le Qatar des Frères Musulmans, ce groupe terroriste se rend en permanence coupable de graves violations des droits de l’homme contre la population gazaouie, privée des droits civils et politiques les plus élémentaires, et contre la population israélienne, comme dans ces pogroms indicibles perpétrés dans les kibboutz que rien ni personne ne sauraient jamais justifier !
La France demeure à ce jour le seul pays occidental qui a compris la nocivité et la perversité d’Al-Jazeera, ce qui l’a décidée à faire échouer le projet d’un canal en français diffusé dans les pays européens francophones, et ce malgré le lobbying des agents d’influence du Qatar dans l’hexagone dont l’ancien président Nicolas Sarkozy, qui a exonéré les Qataris d’impôts depuis 2008, sachant que ceux-ci disposent aussi de nombreux relais et notamment par le biais de leurs investissements dans de grandes entreprises françaises comme Accor, Vinci, Vivendi, ou encore Lagardère dont une représentante du Qatar siège même au Conseil d’Administration de ce groupe détenu par Vincent Bolloré !
Alors à quand une salvatrice prise de conscience occidentale et européenne sur l’influence néfaste d’Al-Jazeera et de son mentor Qatari dans le conflit israélo-palestinien, comme dans tant d’autres domaines hélas…
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