Vu l’attaque aérienne iranienne directe visant Israël, nous avons interrogé Emmanuel Dupuy, président de „l’Institut Prospective et Sécurité en Europe“ (IPSE), afin d’aborder ce sujet ainsi que le futur du Moyen-Orient. L’entretien a été mené par Denys Kolesnyk, analyst et consultant français, le 15 avril 2024 avec des précisions ajoutées le 17 avril.
Le climat sécuritaire au Moyen-Orient s’est fortement détérioré depuis l’attaque du Hamas contre Israël. Et il est possible que la région soit pratiquement au bord d’une grande guerre après cette attaque. Quelles sont, selon vous, les mesures que tous les acteurs régionaux et internationaux devraient prendre afin d’éviter le pire ?
Tout d’abord, ils devraient se reparler et retourner à la table des négociations pour essayer de trouver un modus operandi, à défaut d’un consensus. En tout cas, pour ne pas aggraver la situation, le Conseil de sécurité devrait être utilisé, alors qu’une réunion s’y est tenue hier, à l’invitation de la délégation de Malte, qui préside pour ce mois d’avril, le CSNU, où la communauté internationale a unanimement critiqué les actions iraniennes.
Cela peut également se faire au niveau du Conseil de Coopération du Golfe, puisque tous les pays qui en font partie ont été impactés d’une manière ou d’une autre, certains apportant un soutien plus marqué qu’autres à Israël. Que ce soit au sein de la Ligue arabe ou dans certains des pays membres, l’Égypte et la Jordanie ont participé, directement pour la Jordanie et de manière plus indirecte pour l’Égypte, à la défense militaire de l’espace aérien israélien.
Un nouveau Moyen-Orient est en train d’émerger.
Nous en avons eu un avant-goût avec l’accord d’Abraham en octobre 2020, où un certain nombre de pays cherchaient à normaliser leurs relations avec Israël. Nous avons vu, de facto, comment cette coopération a pu se mettre en place, avec la convergence du partenariat entre la Jordanie, l’Égypte et les Émirats arabes unis, et dans une moindre mesure, Bahreïn. Il est un peu excessif de prétendre que cela soit absolu. Ils se sont positionnés par rapport à l’attaque en fermant leur espaces aériens, en autorisant le survol des avions britanniques, français, américains et israéliens, voire en interceptant, eux-même, des drones, durant l’attaque de samedi à dimanche. De plus, l’Arabie saoudite, bien qu’elle n’ait pas – encore – signé les accords d’Abraham, semble se diriger vers une stabilisation ou, du moins, une amélioration sensible de ses relations avec l’État d’Israël. Sans que cela ne vienne, d’ailleurs, remettre en cause le début, certes balbutiant, de dialogue entre Riyad et Téhéran, sur impulsion chinoise.
Donc maintenant, qu’adviendra-t-il ? Il faudra trouver un moyen de rétablir l’équilibre ante 7 octobre et 12 avril.
Il s’agira de retrouver un fragile équilibre asymétrique, en deçà du seuil de la conflictualité, qui nous ramène finalement à la situation d’avant le 7 octobre 2023. Il est important de garder à l’esprit que l’attaque iranienne contre Israël, le 12 avril dernier est liée – indirectement – à l’opération menée par le Hamas le 7 octobre contre l’État d’Israël, perturbant ainsi l’ordre régional, avec des groupes armés plus offensifs, agissant à une intensité, bien supérieure à ce qu’il ne l’ont été par le passé. L’Iran, ainsi que des pays qui le soutiennent ou qui sont ses partenaires, notamment la Syrie, et de facto une partie du Yémen, sous le joug des milices houthies, se sont alliés, tout comme l’ont été un certain nombre de pays arabes sunnites, depuis la création de l’État d’Israël, contre celui-ci.
Ainsi, c’est une nouvelle réalité qu’il faut avoir à l’esprit. L’Iran se veut de nouveau, le nœud gordien du front qu’il appelle ainsi « l’axe de la résistance » à l’État d’Israël, et de l’autre côté, les pays occidentaux se veulent les partenaires indéfectibles d’Israël, faisant face à ce front belliqueux de la Résistance à son égard. Les choses sont paradoxalement assez simples.
Le régime iranien est en quête d’une autonomie stratégique liée à un programme nucléaire militaire que la plupart des pays de la planète cherchent à stopper, avec des offensives menées indirectement par ce qu’on appelle les « proxies » : le Hezbollah libanais, les milices chiites irakiennes, les Houthis yéménites, et depuis maintenant deux jours, directement contre l’État d’Israël. C’est là l’inquiétante nouveauté : non seulement c’est la plus grande opération de drones lancée contre un pays, avec près de 185 drones armés, 36 missiles de croisière et 103 missiles balistiques, mais c’est aussi un paradoxe que cette opération, qui représente quasiment 99% selon les chiffres israéliens, voire plus vraisemblablement entre 95% et 85%, ait été arrêtée.
Pour résumer mon propos, nous sommes dans une situation où le leadership de tous les pays est requis, un leadership intelligent qui permette à chacun de revenir à la table des négociations afin de retrouver la situation d’avant le 7 octobre. Chacun doit, selon ses disponibilités, s’efforcer d’éradiquer les groupes armés terroristes, en premier lieu desquels, Daesh, qui menacent la sécurité non seulement de l’Iran, mais également celle d’autres pays comme Israël, ainsi que la capacité de la communauté internationale à rester pertinente, dans la lutte convergente de 82 nations engagées contre l’Etat Islamique.
Ce qu’il convient aussi de remarquer depuis l’attaque du 12 au 13 avril, c’est le retour des États-Unis en tant qu’ « hégémon » de la région ; ce qui n’était pas évident il y a quelques mois encore, ainsi qu’une remise en cause du rôle croissant de la Russie dans la région, qui avait joué de la disparition américaine pour essayer de contre-carrer le positionnement américain. Cependant, la Russie a été un peu hésitante dans cette situation ; elle ne pouvait pas soutenir l’Iran, ni la critiquer, eu égard au rapprochement militaire et économique lié à « l’orientalisation » de l’économie de guerre russe depuis le 24 février 2022, mais elle ne pouvait pas non plus défendre l’État d’Israël, soutenu par les pays occidentaux. Ainsi, elle s’est retrouvée dans une position délicate.
Par ailleurs, la Turquie est de plus en plus affaiblie, notamment son président depuis sa large défaite aux élections municipales, le mois dernier. Il se concentre désormais sur la stabilisation de sa situation intérieure, et est beaucoup moins enclin à donner des leçons, que ce soit à ses partenaires de l’OTAN ou à ses voisins, notamment syrien, libanais et israéliens.
Et comment expliqueriez-vous le fait que l’attaque a également été lancée depuis la Syrie et depuis l’Irak, donc depuis des pays qui de facto ne font pas partie de cette guerre, mais qui peuvent de jure devenir co-belligérants si jamais une guerre éclate ? Deuxièmement, comment expliquer la position de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite concernant le fait qu’ils ont abattu les missiles et les drones lancés par l’Iran ?
L’Irak est sans doute la priorité, ou devrait être la priorité de la communauté internationale pour plusieurs raisons. La principale d’entre elles est que l’Irak est pris entre deux stratégies, entre deux parrainages et entre deux subordinations. D’une part, il y a la présence occidentale, américaine et française, ainsi que les troupes occidentales toujours présentes, britanniques, italiennes et celles parties, à l’instar des forces allemandes et canadiennes, pour former les forces spéciales et l’artillerie irakienne, ce qui oriente l’Irak vers Washington. D’ailleurs, la preuve en est que le Premier ministre irakien, Mohammed al-Soudani, était présent à Washington au moment de l’attaque.
Mais dans le même temps, le régime politique irakien regarde aussi en direction de l’Iran, étant donné qu’une partie des responsables politiques sont chiites, à l’instar de Mohamed al-Soudani ou le chef religieux, Moqtada al-Sadr. De plus, les puissantes milices chiites, Hachd al-Chaabi et Kataeb Hezbollah, qui ont précédemment tiré sur les implantations militaires américaines et françaises, ce qui a incité la France à participer au raid depuis ses bases en Irak ou en Jordanie, notamment les 4 Rafales qui participent à la lutte contre l’Etat islamique, dans le cadre de l’opération Chammal , témoignent de cette influence iranienne. Ainsi, l’Irak se trouve d’une certaine façon pris entre deux feux, et l’Iran joue de cette situation.
On peut légitimement se demander pourquoi les drones iraniens n’ont pas été abattus dès qu’ils quittaient le territoire iranien. On aurait pu penser que si l’Irak avait été totalement stabilisé depuis 2004, il aurait été un allié potentiel contre l’Iran. C’est la première remarque.
Ensuite, concernant l’Irak et la Syrie sont devenus des proto-États qui suivent l’agenda iranien. Cela est particulièrement vrai pour la Syrie, un peu moins pour l’Irak, pour les raisons que j’ai précédemment évoquées. On pourrait également inclure le Yémen, bien qu’il se soit divisé en plusieurs factions, y compris l’État islamique dans la péninsule arabique, les forces arabes luttant contre les Houthis, notamment saoudiennes, soudanaises et émiraties, et les milices houthies elles-mêmes.
Cela signifie qu’il n’y a pas forcément un front mobilisé autour de l’Iran, mais plutôt des points d’appui que l’Iran peut utiliser à son avantage. La présence de 25 000 gardiens de la révolution (IRCG), notamment ceux de la puissante et redoutée Brigade al-Qods, en Syrie en est la meilleure preuve. Il est important de noter que la Syrie a considérablement changé depuis 2011, se fragmentant et se « chiitisant » avec l’arrivée de colons venant d’Iran et du Pakistan, ce qui a modifié profondément le soutien au régime alaouite du président Bachar al-Assad. Ainsi, la Syrie, ainsi que le sud du Liban, sont des zones de confrontation directe entre l’Iran, par le biais des Gardiens de la Révolution et des milices du Hezbollah, et l’État d’Israël.
Par conséquent, la question se pose à deux niveaux : faut-il continuer à fragiliser le régime de Bachar al-Assad ou trouver des moyens pour le rendre moins dépendant de l’Iran ? De même, est-il urgent de stabiliser la situation politique au Liban afin d’affaiblir le Hezbollah ?
Les États-Unis ont exprimé un soutien inébranlable à Israël, et nous avons observé que les Américains, ainsi que les Français et les Allemands, ont aidé les Israéliens à abattre les missiles et les drones iraniens. Cependant, il semble que la Maison Blanche ait dissuadé Tel Aviv de riposter. À votre avis, quels pourraient être les arguments américains, et est-ce qu’éviter la riposte serait une bonne stratégie ?
Il est difficile d’évoquer cette question avec certitude. Actuellement, des discussions houleuses ont lieu au sein du cabinet de guerre israélien. Certains membres veulent une riposte immédiate, d’autres préfèrent attendre. Certains préconisent une riposte militaire directe, tandis que d’autres optent pour une approche hybride. Il y a également ceux qui estiment qu’il n’est pas nécessaire de riposter, considérant que l’Iran est affaibli. Certains envisagent même de profiter de la situation pour affaiblir davantage, voire renverser le régime iranien. Enfin, il y a ceux qui pensent qu’il est crucial d’écouter les Américains, car ces derniers auront besoin du soutien de Washington et vice-versa.
Psychologiquement, les responsables politiques israéliens, qui ont fait face à deux attaques massives les 7 octobre dernier et il y a quelques jours pendant plusieurs heures, sont enclins à riposter. Cependant, il est important de rappeler que cela ne justifie en aucun cas l’opération menée par Israël le 1er avril dernier en Syrie. Bien que qualifiée de frappe sur un bâtiment diplomatique (en réalité, l’annexe du Consulat iranien de Damas), elle a tout de même provoqué la réaction iranienne, sans doute plus massive que ne l’aurait pensé les services israéliens et américains.
Sans cette attaque, il est probable qu’il n’y aurait pas eu de représailles de la part de l’Iran. Cependant, je ne suis pas là pour juger de la pertinence de l’élimination du commandant de la Force Al-Qods en Syrie et au Liban, le général Reza Zahidi. Si les Israéliens l’ont fait, c’est qu’ils avaient probablement de bonnes raisons de le faire.
L’une des raisons évoquées est le soupçon ou l’accumulation de preuves laissant penser que les Gardiens de la Révolution transfèrent des armes en Cisjordanie pour créer un deuxième front, après Gaza, dans une éventuelle opération ce mois-ci, à partir des territoires palestiniens de la rive ouest du Jourdain.
Pour l’instant, rien n’est décidé. Du point de vue de Washington, il n’y a aucune bonne solution, mais la meilleure serait évidemment d’attendre les élections du 5 novembre prochain.
Je pense que c’est surtout cela qu’il faut garder à l’esprit : ni l’administration actuelle ni la suivante ne souhaitent que la question palestinienne, la question israélo-iranienne, voire même la question ukrainienne, ne vienne perturber leur agenda, qui est avant tout un agenda domestique. Il faut donc s’adresser aux Américains.
Le président Donald Trump parle d’une Amérique puissante, mais il veut avant tout que cette puissance soit intérieure, afin de rayonner dans le monde par la suite. Donc je pense que ni Joe Biden ni Donald Trump n’ont intérêt à ce que les forces armées américaines soient en guerre, et encore moins à ce que des soldats américains reviennent dans des cercueils sur le territoire américain. C’est le premier point.
Deuxièmement, je pense également que les Américains n’ont pas un grand intérêt aujourd’hui à affaiblir le régime iranien. Ils ont intérêt à limiter ou à ralentir son potentiel nucléaire, ce qu’ils font par le biais de sanctions et en laissant les Israéliens exercer une pression maximale sur le programme nucléaire de recherche iranien. Mais ils n’ont aucun intérêt à voir le régime iranien tomber, et ce, pour plusieurs raisons.
Si le régime iranien actuel tombait, il n’est pas du tout certain que les démocrates ou libéraux l’emporteraient à Téhéran. En fait, il est quasiment certain que ce ne serait pas le cas, mais plutôt des forces alternatives qui ne seraient pas forcément alliées des Américains. Vous comprenez bien que le régime des Mollahs ne l’est pas, mais au moins nous savons avec qui nous discutons. Et d’une certaine manière, le dialogue est en cours depuis maintenant 30 ans. Il est compliqué, mais il existe, notamment depuis le premier desserrement des sanctions, en 2006.
Troisièmement, je crois qu’il est particulièrement important de garder à l’esprit que le premier ministre Netanyahou fait face à une pression interne extrêmement forte. Il n’y a pas un jour sans manifestation devant la Knesset, pas un jour sans que des responsables politiques de l’opposition, comme Yair Lapid et Naftali Bennett, tous deux anciens premier ministres, ou Benny Gantz, ancien ministre de la Défense et membre le plus influent du Conseil de guerre, n’appellent à des élections anticipées pour changer la configuration politique et affaiblir le Likoud et, surtout les partis nationalistes.
Mais ça, c’était avant l’attaque. Parce que bien évidemment, après le 7 octobre, un consensus national s’est créé. Depuis l’attaque d’il y a plusieurs jours, personne ne voudra remettre en cause désormais, temporairement, sans parler, se disant, pardon, la légitimité de l’actuel Premier ministre. Donc tous ces facteurs font que pour l’instant, Israël va sans doute répliquer que sur un plan symbolique.
Israël ne veut pas entrer dans une nouvelle phase où jusqu’à présent, elle pouvait maîtriser des attaques menées par des proxies, quelques roquettes tirées par le Hezbollah, une action jusqu’au 7 octobre maîtrisée du Hamas, qui a grossi en ampleur à partir du 7 octobre dernier. Et la pire des choses serait qu’in fine, il n’y ait désormais non plus des attaques indirectes menées par Israël en Iran, où l’Iran visait Israël, mais des attaques directes. Là pour le coup, on entrerait, dès lors, dans une conflictualité qui aboutira au dépassement d’un seuil et à une guerre régionale. Et je crois que ni Israël, ni l’Iran, ni les États-Unis n’y aient comme intérêt à tout ça.
Donc il y aura sans doute une frappe, enfin une riposte symbolique. Quelle sera la nature de cette frappe ? Il y a plusieurs options. Premièrement, il y a 25 000 membres des Gardiens de la Révolution en Syrie que l’on ne pourrait frapper. Alors on ne frappera pas directement les territoires iraniens, mais on frappera les forces armées, une milice paramilitaire qui est de facto liée au régime du Hezbollah et que d’aucuns, comme les Etats-Unis, souhaiteraient inscrire sur la liste des organisations terroristes.
Deuxièmement, on pourrait évidemment essayer de cibler des intérêts iraniens dans le monde, notamment des ambassades, ou des diplomates, ou des responsables liés au régime iranien. Le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, pourrait être une cible, ce serait une cible symbolique qui équivaudrait en termes d’intensité, aux frappes massives marquées par 300 vecteurs ou effecteurs, comme on dit, qui ont traversé 1500-2000 kilomètres.
La troisième option, je crois que c’est la plus logique, les Israéliens qui avaient été dissuadés par les États-Unis d’éliminer des savants, des scientifiques iraniens, pourraient reprendre leur campagne d’élimination qu’ils mènent depuis maintenant une vingtaine d’années, qui a fortement limité voire significativement ralenti le dispositif de recherche iranien, notamment sur le plan nucléaire.
On pourrait aussi voir ou revoir des attaques cybernétiques massives qui viennent réduire, voire même remettre en cause le fonctionnement d’un certain nombre de centrales iraniennes, de centres de recherche, que ce soit à Natanz, que ce soit à Bushehr, la centrale Thiamine d’Arak ou celle de Fordo, ralentissant la capacité iranienne à se doter d’un uranium enrichi, tendant vers les 90%, ce qui en ferait potentiellement une matière suffisamment fissile pour pouvoir être mise sur des vecteurs balistiques. Cette perspective ouvrirait, de facto, une réponse iranienne immédiate.
Les Français ont participé à la protection d’Israël en abattant les cibles aériennes lancées par l’Iran. Comment expliqueriez-vous l’implication de la France dans la défense d’Israël et le refus de fermer les cieux lorsque l’Ukraine le demandait, notamment au début de l’invasion russe à grande échelle ? Et quelle est la position de la France à l’égard de cette nouvelle crise ?
Pour répondre à votre question, oui, la France a bien participé à l’opération militaire. Cela a été le sujet d’un début de polémique. J’ai moi-même abordé cette question sur un plateau hier, et mes co-débatteurs ne le croyaient pas. Je leur ai expliqué : « Mais ce n’est pas possible, comment pouvez-vous penser que la France, qui dispose de bases sur la trajectoire des missiles et des drones, en Irak et en Jordanie,aurait laissé passer des missiles et des drones dont le but était de causer des victimes potentiellement franco-israéliennes ? »
Il est tout à fait logique et compréhensible que la France ait contribué à sa manière pour éviter des victimes sur le territoire israélien. En fait, il s’agissait davantage d’une mise en scène ou d’une chorégraphie, savamment dosée, car les Iraniens avaient prévu qu’ils allaient frapper, avaient plus ou moins indiqué où ils allaient frapper, et savaient que les Israéliens et les Américains intercepteraient les missiles qu’ils lançaient. C’était donc une sorte de chorégraphie bien orchestrée.
Cependant, la France, qui a des bases en Jordanie, dispose de quatre Rafales, dans le cadre de l’opération Chammal, visant à éradiquer Daesh, et ce depuis 2015. Elle possède également des bases en Irak, notamment au nord de l’Irak, au Kurdistan irakien, pour la formation des forces spéciales, en particulier celles qui ont permis la libération de Mossoul. En outre, elle déploie une task force de formation en artillerie. Les Irakiens ont manifesté un vif intérêt pour l’achat de canons CAESAR, et la France forme actuellement les artilleurs irakiens dans cette perspective.
Il y avait des bases sur la trajectoire des missiles balistiques, ainsi que des Shahed 136 et 238 qui ont survolé ce territoire. Donc, la France a joué son rôle en abattant des drones qui passaient au-dessus de sa tête. La justification officielle était qu’ils représentaient potentiellement un risque pour les troupes françaises qui survolaient, ce qui est vrai, même s’ils n’étaient pas spécifiquement ciblés par ces drones.
Le deuxième élément à prendre en compte est que la communauté internationale s’est de facto solidarisée avec l’État d’Israël en mettant en place une deuxième opération. Il s’agit de l’opération européenne EUNAVFOR Aspides, dont le but est d’assurer la sécurité du flux maritime à travers la mer Rouge et le détroit de Bab-el-Mandeb. Ce transit est quotidiennement perturbé par les attaques menées plus intensément par les Houthis depuis décembre 2023, et la France a tiré 30 missiles Aster pour intercepter des drones qui survolaient ces navires, y compris la frégate multimissions Alsace et plusieurs navires engagés ou parfois directement ciblés.
Ainsi, la France est de facto impliquée militairement dans la protection d’Israël depuis le 7 octobre dernier. Cependant, il y a différents niveaux d’implication. Les Américains sont beaucoup plus impliqués, ayant déployé un groupe aéronaval en mer Rouge, ainsi que la 6e flotte en Méditerranée orientale. Cela représente deux groupes aéronavals, soit deux porte-avions et environ six frégates américaines dans la région.
De plus, il y a les deux frégates françaises (Alsace et Languedoc), les frégates britanniques et italiennes, navires danois, néerlandais et les avions britanniques décollant de leurs bases à Chypre, sous pavillon de l’OTAN. Cette coalition comprend donc non seulement Israël et les pays mentionnés, mais également les pays voisins tels que la Jordanie, l’Égypte, et d’autres, qui ont contribué, par le partage de renseignement, à l’instar de l’Arabie Saoudite, à consolider un front israélo-arabo-occidental inédit par sa composition et sa robustesse. La Jordanie a normalisé ses relations diplomatiques avec Israël en 1994, l’Égypte depuis 1978, et depuis octobre 2020, d’autres pays comme le Soudan, le Maroc et les Émirats arabes unis et Bahreïn ont également établi ou rétabli leurs relations économiques et diplomatiques avec Israël.
Alors, je vais répondre maintenant à la deuxième partie de votre question. C’est une excellente question que j’ai moi-même abordée dans un article paru dans la Revue politique et parlementaire (https://www.revuepolitique.fr/frappes-iraniennes-sur-israel-quelles-consequences-regionales-globales/). Dans les jours, voire les heures à venir, nous verrons inévitablement se poser la question du « deux poids deux mesures ».
La rapidité, la fluidité, la coopération et l’efficacité de la coopération internationale pour assurer une quasi-imperméabilité de l’espace aérien israélien ont été menées en quelques heures, avec une décision politique non concertée, mais convergente, de la part des États-Unis, de l’Union européenne, de l’OTAN et bien sûr d’Israël et de ses voisins arabes !
Le « deux poids deux mesures », comme l’a laissé entendre le président ukrainien Volodymyr Zelensky, consiste à dire que si la même détermination avait été prise dès le début du conflit pour sécuriser l’espace aérien ukrainien, une bonne partie des premiers missiles tirés il y a plus de deux ans n’auraient pas atteint le territoire ukrainien. En partant du principe que la plupart des missiles et des drones ont été abattus en dehors du territoire israélien, en Syrie, en Jordanie, au-dessus de l’Arabie saoudite et en Irak, cela signifie que la même chose aurait pu être faite pour sécuriser l’espace aérien ukrainien, notamment ceux tirés depuis les navires russes en mer Noire.
Donc, la question du deux poids deux mesures se posera inévitablement. Je n’ai pas de réponse à cela, mais puisque ce sont les mêmes types d’effecteurs, les mêmes types de missiles air-sol ou sol-sol, avec des distances similaires, entre 1500 et 2000 km, les mêmes drones, précisément les mêmes drones iraniens Shahed, que l’Iran a vendus en grand nombre aux Russes.
Il est donc tout à fait légitime que tout Ukrainien se pose la question en interrogeant l’Union européenne, en demandant : « Vous êtes prêts à fournir le matériel et les capacités militaires dont Israël a besoin pour sécuriser sa population, pourquoi ne le faites-vous pas quotidiennement pour sécuriser la population ukrainienne ? » Le déploiement de telles mesures interroge beaucoup et sera sans doute une vraie question politique à laquelle il faudra répondre. Ayons aussi l’honnêteté de rappeler que Kyiv pourrait, tout aussi légitimement poser la même question à Tel-Aviv, qui se refuse à livrer le système de couche basse du Dôme de fer, à l’Ukraine.
Voyons également comment les Ukrainiens vont tirer parti de cette situation pour essayer d’obtenir plus d’aide. Nous avons eu une réponse hier soir tardivement, lorsque Volodymyr Zelensky a appelé à une coalition internationale pour lutter conjointement contre la Russie et l’Iran. Partons du principe que ce sont deux régimes — ajoutons la Chine — trois régimes qui sont devenus des adeptes de la même stratégie visant à saturer, de manière cinétique et « hybride » l’espace démocratique européen et occidental.
Parlons du Maghreb : la France et le Maroc semblent repartir du bon pied. Quels sont les facteurs et le moteur derrière un tel rapprochement ?
Je suis un peu moins optimiste depuis quelques jours, sur ce sujet. Premièrement, parce que les signaux précurseurs que nous attendions tous, à savoir un rapprochement, voire une réaffirmation plus forte et une meilleure communication entre les diplomaties françaises et marocaines, qui avaient été quelque peu ternies depuis environ, un an et demi, semblaient indiquer un regain d’intérêt.
La visite de Franck Riester, ministre délégué français chargé du Commerce extérieur, au Maroc il y a quelques jours, encourageant les entreprises françaises à tirer parti du partenariat public-privé et des financements de Proparco, la branche de financement privé de l’Agence française de développement, pour tenter de remporter des marchés dans les provinces du Sud, également appelées le Sahara occidental, constituait une étape nécessaire mais non définitive. En effet, il s’agissait d’une façon habile de ne pas prendre position sur ce que les Marocains souhaitent que nous affirmions, à savoir la marocanité du Sahara, afin de sortir de la situation de statu quo. Il convient de rappeler que la France avait proposé cette option en avril 2007, suggérant que l’autonomie était l’une des solutions que la communauté internationale, notamment l’ONU, devrait envisager.
Cependant, nous ne sommes plus dans cette dynamique, car un certain nombre de pays considèrent désormais que l’autonomie est la seule solution viable pour ces territoires qu’ils considèrent de facto, à défaut de l’être de jure intégrés au Maroc. Il s’agit là d’une évolution majeure de la position diplomatique, marquée notamment par la décision des États-Unis d’ouvrir un consulat à Dakhla, en décembre 2020, sous la présidence de Donald Trump.
En outre, les récentes prises de position, notamment espagnoles et allemandes, méritent d’être mentionnées. Il est important de rappeler que l’Espagne devance désormais la France en tant que premier partenaire économique du Maroc. Cette situation pourrait expliquer en partie l’aggravation des tensions diplomatiques entre la France et le Maroc. Ainsi, la volonté française était mise à l’épreuve pour savoir si ce geste serait ou non mis en œuvre. Deuxièmement, il convient de noter que le président Emmanuel Macron et le roi du Maroc, Mohamed VI sont les seuls habilités à s’exprimer sur cette question, du moins sur le plan protocolaire.
Alors, oui, j’étais optimiste, il y a quelque temps lorsque nous en avions discuté. Cependant, ces dernières semaines, voire ces derniers jours, nous apprenons que le fameux déplacement symbolique du président français, qui était initialement prévu « urbi et orbi » par Stéphane Séjourné lui-même, est repoussé à septembre, après les Jeux Olympiques, en utilisant comme prétexte les Jeux Olympiques.
À Rabat, on commence à se demander si la position française ne vise pas essentiellement à temporiser, voire à éviter de prendre une décision, à retarder ce geste que tout le monde attend, en particulier les Marocains, comme un signe de bonne volonté. Si le report se fait en septembre, il est fort probable que, étant donné la tension internationale, la position et la décision française ne soient pas prises avant 2025.
Ainsi, je suis beaucoup moins convaincu que les relations entre les deux pays soient maintenant au beau fixe. Certes, elles s’améliorent, ce qui était nécessaire. Cependant, le roi du Maroc, Mohamed VI et le président de la République, Emmanuel Macron ne se sont pas vus depuis un an et demi, et les relations diplomatiques étaient plutôt tendues, voire très froides. En toile de fond, il y a l’affaire du soupçon d’espionnage avec le logiciel espion Pegasus, dans le cadre duquel un certain nombre de ministres français « auraient » été mis sur écoute par les autorités marocaines.
Il y a également le scandale de corruption généralisée au Parlement européen, injustement appelé le « Qatargate », mais impliquant de nombreux autres pays, dont le Maroc, initiateur présumé des largesses vis-à-vis de certains députés européens en échange de leur position prosélyte et affirmative en faveur du Sahara marocain, ou encore, pour éviter d’évoquer ou mentionner la question du Sahara occidental.
En résumé, bien que la situation s’améliore, la France semble prise au piège d’une « diplomatie de régate ». Elle navigue entre des positions contradictoires, un coup à bâbord, de l’autre, à tribord, et ce, pour ne pas mécontenter les Algériens tout, en envoyant des signaux positifs aux Marocains.
Une fois que ces signaux sont rejetés par l’Algérie, nous disons à l’Algérie que c’est contraire à leurs perceptions, et une fois que les Marocains nous font remarquer qu’il est impossible d’être à la fois dans une logique de complaisance envers les autorités algériennes et dans une logique de coopération avec le Maroc, nous nous retrouvons dans une politique du « en même temps » qui est intenable et qui, à un moment donné, devra être résolue et tranchée.
Nous ne sommes plus du tout dans la même situation qu’en 2003-2004, lorsque le président Chirac cherchait à améliorer les relations avec l’Algérie, ce qu’il pouvait faire beaucoup plus facilement que le président Macron parce que les relations avec le Maroc étaient excellentes.
Maintenant, ce n’est plus le cas, et pourtant nous cherchons à réchauffer les relations, à avoir de meilleures relations avec l’Algérie. Aujourd’hui, les Algériens mettent en œuvre leur stratégie de déstabilisation régionale, qui consiste désormais à être en conflit avec tous leurs voisins : la Tunisie pour des questions de sécurité, la Libye en raison de l’agenda du Maréchal Haftar qui diffère de celui du régime à Tripoli, lié aux Frères musulmans, caractérisée par une certaine complicité entre Alger et Tripoli.
Ils se fâchent également avec le Niger sur la question migratoire, avec le Mali concernant le soutien que les militaires et les services algériens apportent actuellement à l’imam Dicko, hébergé à Alger et impliqué dans le processus de négociation avec les terroristes, voire même des actions en amont contre certains terroristes djihadistes touaregs que nous avions combattus lors des opérations Serval et Barkhane.
Il y a également des tensions avec la Mauritanie, l’Algérie connaissant une chute libre de son taux de croissance tandis que la Mauritanie affiche le taux de croissance le plus élevé du continent africain, à 14%, selon les derniers chiffres rendus publics par le FMI. Alger et Nouakchott sont désormais en concurrence avec la découverte de gisements pétroliers et gaziers, au large des côtes mauritaniennes et sénégalaises, ce qui va réduire le caractère unilatéral de la puissance gazière africaine actuellement assumée par l’Algérie, qui possède 29% des réserves prouvées de gaz sur le continent africain.
Jusqu’au 14 avril 2024, l’Iran n’avait jamais attaqué directement Israël. Comment expliquer que Téhéran ait osé briser ce tabou ? Est-ce que cela signifie que depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le recours à la force devient de plus en plus acceptable ?
La réponse est implicitement contenue dans votre question, mais je vais la développer. Le monde actuel est de moins en moins sécurisé par le droit international. L’universalité des normes, établie par la communauté internationale avec la Charte de San Francisco en juin 1945, la création de l’ONU dans la foulée en octobre 1945, la Déclaration universelle des droits de l’homme de décembre 1948, et toute la gouvernance internationale, qui en découle (système onusien, institutions financières de Bretton Woods – FMI et Banque mondiale) bien que centrée sur l’Occident, dominait les relations mondiales pendant environ 75 ans. Cependant, les rapports de force ont évolué.
Nous sommes désormais dans une dynamique où l’universalité des valeurs et des normes est remise en question au profit des particularismes régionaux. Les valeurs sont régionalisées, essentialisées, et adaptées à chaque modèle gouvernemental, chaque espace prétendument civilisationnel, revendiquant avoir ses propres normes. Ainsi, on assiste à une régression de l’idée selon laquelle les mêmes droits devraient être défendus partout.
Les Droits de l’homme, la Démocratie, l’Etat de droit, la liberté d’expression, l’égalité des genres, la non-discrimination, la laïcité, l’intangibilité des frontières ainsi que le droit des peuples à disposer d’eux-même et leurs droit à l’autodétermination et, bien evidemment, la reconnaissance internationale des frontières ont été remis en question. L’exemple de l’Ukraine en est un parmi d’autres.
Par exemple, le président turc Recep Tayyip Erdogan remet en question des traités, notamment le traité de Paris de 1947, en affirmant que les îles grecques devraient être turques. De même, la Chine revendique, de manière excessive, plusieurs territoires qui, selon le droit international, ne lui appartiennent pas. Cela a été le cas avec le Tibet dans les années 50, le Xinjiang dans les années 70-80, et c’est actuellement le cas avec Hong Kong, Macao et Taïwan depuis presque 1921. La Chine s’inscrit dans cette même logique de remise en cause des frontières établies.
La Russie est également un exemple, comme l’illustre la question des îles Kouriles du Sud situées au nord du Japon. Ces îles, appartenant au Japon, sont également revendiquées et de facto contrôlées par la Russie, dans le cadre du Traité de San Francisco de 1951.
Nous observons ainsi un système international de plus en plus remis en question par le particularisme et la volonté d’individualisme. Cette idée est incarnée par le concept de « démocratie souveraine », promu par Vladislav Sourkov, souvent surnommé le « mage du Kremlin ». Selon ce principe, ce qui prime ce ne sont pas les droits et les normes internationales, mais plutôt les droits souverains de chaque pays.
De nombreux responsables politiques européens semblent également adopter cette logique. Des pays comme la Hongrie, sous la direction actuelle, et la Slovaquie, avec le président Peter Pellegrini et le Premier ministre Robert Fico, semblent suivre cette tendance. Cependant, ce phénomène ne se limite pas à l’Europe.
En effet, l’Iran adopte une approche similaire. Depuis la révolution islamique de février 1979, l’Iran affirme ses propres valeurs et cherche à les promouvoir, notamment en tentant d’imposer son interprétation rigoriste de l’islam chiite et celles de l’islam alaouite (Syrie) et zaïdite (Yémen). Cette stratégie vise à étendre son influence et à contrer d’autres expressions de l’islam, notamment celles des populations arabes musulmanes non chiites. Ainsi, l’Iran s’inscrit dans la même logique de remise en question des normes internationales.
Il faut donc partir du principe que si ce risque existe, la communauté internationale, composée non seulement des pays occidentaux mais également de ceux qui adhèrent à des principes fondamentaux du droit international, doit réagir. Ces principes sont défendus au sein du Conseil de l’Europe et de l’OSCE (du moins ce qu’il en reste) du G7, du G20, ainsi que par un certain nombre de pays non-alignés.
Parmi ces grandes puissances non-alignées ou multi-alignées, l’on peut citer l’Inde, qui devrait jouer un rôle plus affirmé pour souligner que la communauté internationale est effectivement une communauté ouverte et fluide, et non pas une union figée, un front ou un axe destiné à s’opposer à une autre partie du monde.
Donc, d’une certaine manière, assistons-nous à l’effondrement du système international ?
Oui, après 79 ans, nous constatons une véritable fatigue vis-à-vis des Nations Unies, et, étonnement, après 75 ans, nous assistons à une revitalisation certaine de l’OTAN, mais malheureusement de la pire manière possible. Cette revitalisation se produit dans le contexte d’un conflit qui contraint l’OTAN à se réarmer en vue de la guerre, plutôt que de chercher à l’éviter, comme cela était prévu dans les 14 chapitres de la Charte de Washington créant l’Alliance de l’Atlantique Nord, le 4 avril 1949. En parallèle, un certain nombre d’organisations liées au droit international, comme le Conseil de l’Europe, ont disparu des radars, ce qui est pourtant une conséquence directe de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 et des principes fondant la Convention européenne des droits de l’homme, entre novembre 1950 et septembre 1953, date de son entrée en vigueur.
L’OSCE a également échoué dans son rôle de médiateur, que ce soit à travers le groupe de Minsk entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, ou via le protocole de Minsk, incluant Minsk 1 (septembre 2014) et Minsk 2 (février 2015). Nous avons vu que cela n’a pas empêché l’invasion d’un pays souverain, en l’occurrence l’Ukraine, et que cela menace désormais également la Moldavie, ainsi que d’autres pays limitrophes de la Russie, qu’il s’agisse des pays baltes, voire le Kazakhstan.
Donc oui, nous sommes désormais entrés dans une logique où il est nécessaire de se réarmer militairement, mais il est tout aussi crucial de se réarmer moralement. Nous devons réaffirmer notre adhésion à un ensemble de valeurs, malgré ses imperfections, capable de rassembler un certain nombre d’hommes et de femmes dans les pays en conflit. Je suis convaincu qu’il faut promouvoir non seulement un non-alignement, mais aussi et surtout un multi-non-alignement, sous la forme d’un polymorphisme et pluralisme au sein de la communauté internationale. Les États ne doivent plus être les seuls à avoir leur mot à dire dans la gouvernance mondiale ; il est nécessaire de repenser cette gouvernance avec plus d’équilibre et de solidarité. Plus nous marginalisons certains pays, plus ces pays chercheront refuge auprès de ceux qui les écoutent, même de manière biaisée ou artificielle. Comme a tenu à le rappeler, le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky en mars 2022, devant les parlementaires européens, la démocratie ne « tient pas la route » face aux dictatures et régimes autoritaires. « Trop » libéral et démocrate, le processus décisionnel de nos démocraties, est trop long, argumenté et abondamment débattu. Les régimes autoritaires, décident, eux sans cette – nécessaire – concertation…
Il n’est donc pas surprenant que certains pays, dont nous contestons la légitimité en tant que stabilisateurs de la communauté internationale, bénéficient d’une aura considérable. Prenons l’exemple de la Chine : les pays qui cherchent à se faire entendre par les acteurs traditionnels et quelque peu enracinés de la communauté internationale, notamment nous, les pays du Nord, trouvent une écoute plus aisée et plus rapide.
Cela est également vrai pour la Turquie, l’Iran, la Russie et la Chine. Ainsi, le risque est grand que nous ne soyons pas vainqueurs dans une confrontation directe avec ces pays, avec lesquels nous avons de multiples raisons d’entrer en conflit, tant sur le plan économique que diplomatique, mais plutôt que nous perdions sur le terrain où nous étions traditionnellement forts, notamment en Afrique.
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