Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son homologue syrien Bashar al-Assad tentent de plus en plus de rencontrer Assad en Turquie ou dans un pays tiers afin de normaliser les relations avec la Syrie. Le président russe Vladimir Poutine et le premier ministre irakien Mohammed Shi’a al-Sudani ont été désignés comme médiateurs pour ces pourparlers.
Depuis lors, les médias progouvernementaux turcs ne cessent de spéculer sur les préparatifs possibles d’une telle rencontre à Moscou ou à Bagdad. Mais Assad a souligné qu’il n’était pas intéressé par une telle réunion à moins que la Turquie n’accepte de discuter d’un calendrier pour le retrait de ses troupes de Syrie.
Selon l’Observatoire de recherche de la région MENA, l’une des raisons des actions d’Erdogan est le ressentiment de la population turque face à la présence de plus de trois millions de réfugiés syriens. Récemment, l’hostilité s’est transformée en violence, avec l’attaque de commerces syriens dans plusieurs villes turques après un incident au cours duquel un Syrien aurait agressé une jeune fille turque. Le chef de l’opposition Özgür Özel a annoncé qu’il se rendrait prochainement à Damas pour « résoudre la question des réfugiés en Turquie » en discutant avec Assad. Bien qu’il soit peu probable que le rapprochement entre les deux pays entraîne le retour de nombreux réfugiés syriens, cette attente est largement répandue au sein de l’opinion publique turque, et Erdogan l’exploite pour tenter de faire gagner du temps à son gouvernement en vendant le rêve « nous nous réconcilierons avec Assad, les réfugiés reviendront ».
À Ankara, M. Erdogan craint que son partenaire ultranationaliste, Devlet Bahçeli et le Parti du mouvement nationaliste (MHP), n’utilise la question des réfugiés pour faire pression sur lui. Des partisans du MHP ont apparemment participé à des attaques contre des entreprises syriennes, appelant à la démission d’Erdogan. Quoique le parti ne cherche pas à forcer Erdogan à partir, il réclame une plus grande part de pouvoir depuis sa défaite aux élections municipales de mars. Avant les émeutes anti-syriennes, Bahçeli a appelé au retour des réfugiés pour la première fois depuis longtemps, et s’il réitère cette demande, cela pourrait poser des défis majeurs à Erdoğan, surtout avec l’influence du parti dans la police et ses liens avec les groupes mafieux. Le rapprochement avec Assad est une « mesure préventive ».
Avant les élections présidentielles de 2023, Erdogan a tenté d’organiser une rencontre avec Assad, mais celle-ci n’a pas eu lieu et la question a été gelée après sa réélection. Toutefois, des canaux de communication ont été ouverts au niveau ministériel : les chefs des services de renseignement et les ministres des affaires étrangères et de la défense des deux pays se sont rencontrés, avec la médiation de la Russie. Ce rapprochement s’inscrit dans la nouvelle stratégie régionale de la Turquie. Lors du printemps arabe, Erdogan a parié sur le succès des Frères musulmans et d’autres forces islamistes, et lorsque cela s’est avéré être un mauvais calcul, il a cherché à renouer avec l’Égypte et l’Arabie saoudite. Dans le cas d’Assad, il s’agit d’un revirement de sa position initiale : avant la guerre civile syrienne, Erdogan entretenait une relation étroite avec Assad, mais après l’éclatement de la guerre, il a soutenu les rebelles qui cherchaient à renverser Assad.
La démarche diplomatique d’Erdogan à l’égard de Damas est également liée à l’évolution de la situation mondiale, notamment au fait que la Turquie s’attend à ce que les forces américaines se retirent de Syrie si Donald Trump remporte les prochaines élections. Dans ce cas, les Kurdes syriens auront besoin d’un nouvel allié et pourraient se tourner vers le régime de Damas et la Russie. La Turquie cherche à anticiper cette évolution en concluant un accord avec Assad. Ankara considère la milice YPG comme la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), tandis que les États-Unis la considèrent comme un allié dans la lutte contre ISIS.
Une autre motivation est la crainte que la guerre de Gaza ne dégénère en conflit régional, incitant Erdogan et Assad à élargir leurs options. Dans ce contexte, l’offre de médiation du premier ministre irakien, allié de l’Iran, se distingue, suggérant que Téhéran n’est pas opposé à un rapprochement entre la Syrie et la Turquie. Néanmoins, il est actuellement peu probable que des progrès significatifs soient réalisés, d’autant plus que le retrait des troupes turques de Syrie, qui occupent environ 10 % du territoire, semble improbable, car la Turquie s’attendrait alors à une nouvelle vague de réfugiés fuyant les forces d’Assad.
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