On dit souvent que la politique étrangère ne décide pas des élections américaines. Apparemment, l’économie est censée être le facteur décisif : inflation, soins de santé, emplois. L’immigration est également une préoccupation majeure, comme le montrent les sondages combinés. La politique étrangère ne compte guère.
Cependant, tous les truismes finissent par s’évaporer. La position des candidats sur Israël-Gaza et Ukraine-Russie est désormais une référence incontournable. Tous deux contrôlent leurs propos. La tentative d’assassinat de Ryan Routh contre Donald Trump a d’ailleurs remis la question de l’Ukraine sur le devant de la scène.
La question Israël-Gaza intéresse la presse et les analystes : Kamala Harris a été moins engagée dans la ligne pro-israélienne que Joe Biden. Sur l’Ukraine et la Russie, Donald Trump et Kamala Harris sont assez clairs, même si le grand public n’est pas très passionné : aider l’Ukraine est une bonne chose, mais coûte cher ; la Russie de Poutine ne peut plus être une amie, elle devient une sorte de Saddam Hussein pour toutes les parties concernées, mais les Européens devraient s’occuper de ce problème. En résumé : les conservateurs et les nationalistes ont cessé de considérer l’homme fort russe comme une source d’inspiration. Heureusement pour le Parti démocrate, les gauchistes du parti n’ont jamais été fascinés par Poutine, et il leur suffit d’imaginer que les Républicains aiment l’homme pour qu’ils le fuient par dépit, Alexandria Ocasio-Cortez en tête.
Mais il y a un hic : Donald Trump prend ses distances avec la position pro-israélienne pure et dure. Il est peut-être sensible aux murmures des Arabes du Golfe. Car ces Arabes, politiquement si différents des Palestiniens, sont consternés par les bombardements israéliens à Gaza, avec toute la misère et la souffrance des civils. Ils comprennent certainement pourquoi l’État israélien est en guerre et quel est le plan cruel du Hamas. Ils ont été totalement horrifiés par le massacre d’Israéliens par le Hamas le 7 octobre, mais ils ne peuvent pas supporter le fait que leurs frères arabes et musulmans soient écrasés par les frappes aériennes israéliennes. Ils sont touchés sentimentalement, et leur opinion publique apprivoisée exerce une certaine pression sur eux. On voit ici Donald Trump influencé par les deux camps à la fois : ses amis d’Israël et ceux du Golfe, ce qui signifie que son alliance des accords d’Abraham est en train de se briser.
Finalement, il a eu le même problème que Kamala Harris. Il n’y a pas de solution facile, à peine un terrain d’entente. L’opinion publique américaine, dans les universités et les grandes villes, s’éloigne de la solide position pro-israélienne qui prévalait depuis 1949 et surtout 1967. Les élites, conservatrices et libérales, partageaient cette conviction. Les ennemis du sionisme étaient : les gauchistes, les partisans du Black Power, quelques intellectuels isolés et, bien sûr, le courant sous-jacent des néo-nazis et des membres du Ku Klux Klan – mais rien de plus. L’Église catholique américaine n’a jamais été totalement en paix avec l’État d’Israël, principalement en raison de ses revendications de primauté sur les différents sites de Jérusalem, mais elle s’est abstenue de toute dénonciation, et c’est toujours le cas. D’un point de vue électoral, ces exceptions n’avaient pas d’importance.
Aujourd’hui, les libéraux, force dominante de l’appareil du Parti démocrate, sont contournés sur leur gauche par une partie des forces anciennes, par les ouvriers et par l’addition de la composante arabe et musulmane. Même les libéraux de tous les jours, les professionnels qui ont réussi et qui soutiennent encore Israël, expriment leur désapprobation à l’égard des méthodes de guerre de Netanyahou.
Du côté républicain, même les conservateurs et les partisans purs de Trump sont en proie au doute, bien qu’à un niveau moindre. Ils répètent le mantra du soutien à l’État d’Israël, alors que le spectacle de la souffrance des civils de Gaza les a également atteints. Ils ne tiennent pas compte de ces horribles souffrances, qu’ils considèrent comme un sous-produit de la folie du Hamas. Si l’on creuse plus profondément dans le camp républicain, le phénomène culturel évangélique est très important, et il impose un soutien inconditionnel à Israël sur la base des écrits religieux et des prophéties bibliques. Il ne faut pas sous-estimer ce phénomène. Le rejet de l’islam radical violent est également très fort dans cette sphère, et il n’y a guère de distinction entre les différents mouvements et variétés de l’islamisme et même de l’islam en général. Sans les évangéliques, la cause d’Israël aurait pu être perdue.
Enfin, il y a un sentiment très en phase avec Donald Trump : les bombardements du gouvernement israélien sur des cibles du Hamas « ne sont pas de bonnes relations publiques », comme l’a dit le candidat lui-même. Comme la nouvelle élite économique trumpienne est en phase avec les combustibles fossiles et les investissements immobiliers, la voix des élites arabes du Golfe est également écoutée. Pour sauver les accords d’Abraham, l’élite politique trumpienne reste résolument belliqueuse à l’égard de la République islamique d’Iran. Cette élite est farouchement opposée aux agissements de l’Iran en Irak, en Syrie, au Liban et surtout au Yémen. En fait, le Yémen des Houthis est le seul endroit que les forces armées américaines osent bombarder directement. Encore une fois, d’un point de vue électoral, la guerre doit être menée contre l’Islam maléfique et c’est donc la constellation iranienne qui est la cible préférée, et non Gaza.
Ainsi, la politique étrangère est et sera un facteur majeur pour les deux candidats. Les électeurs diront que c’est l’économie qui les pousse à voter, ou « sauver l’Amérique », mais un nombre suffisant d’électeurs s’abstiendront s’ils n’aiment pas la position de leur candidat naturel sur la question Israël-Gaza. Dans plusieurs « swing states », en particulier le Michigan, le vote arabe et musulman pourrait coûter les quelques voix dont Kamala Harris a besoin pour gagner. Par conséquent, la politique étrangère est le seul domaine fluctuant qui pourrait tout changer, même s’il est à peine visible dans les sondages d’opinion. Les deux candidats en sont parfaitement conscients et continueront à faire de grandes déclarations sur la situation. Le Moyen-Orient devra attendre l’élection pour savoir ce qu’il en est : le vainqueur n’aura plus de soucis électoraux et pourra alors montrer son véritable visage.
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