L’importance de la région de la mer Rouge s’accroît à l’échelle mondiale, notamment en raison des tensions croissantes au Moyen-Orient, qui ont eu un impact négatif sur le trafic maritime mondial, et il semble que la Russie, malgré ses préoccupations liées à la guerre en Ukraine, ne négligera pas son vieux projet d’établir une base navale sur la mer Rouge, plus précisément au Soudan, puisque le vice-ministre russe des affaires étrangères a récemment confirmé les pourparlers en cours à ce sujet, tout en indiquant que l’accord n’est pas encore finalisé.
La relance de l’accord, qui a été proposé pour la première fois en 2017, indique clairement que la Russie considère le Soudan comme un allié à long terme, malgré la guerre en cours dans ce pays, où le « Corps africain », proche de la Russie, a soutenu les forces de sécurité soudanaises pendant le conflit actuel.
Le ministre soudanais de la défense désigné, le général de division Yassin Ibrahim, s’est rendu sur place pour participer au forum « Army-2024 » et à la 10e conférence internationale de Moscou sur la sécurité en août 2024, tandis qu’une délégation russe s’est également rendue à Port-Soudan, le siège du gouvernement intérimaire, le même mois.
Cette étude met en lumière l’évolution des relations entre l’armée soudanaise et la Russie, et son impact sur la poursuite de la guerre au Soudan et l’évolution du conflit dans ce pays, tout en passant en revue les intérêts mutuels russes et soudanais que les deux parties tentent d’assurer grâce à l’alliance commune.
La Russie jouerait un double jeu au Soudan : elle soutenait les FAR par l’intermédiaire du groupe paramilitaire Wagner, qui leur fournissait un entraînement militaire, et concluait en retour des accords pour l’exploitation de mines d’or au Soudan. Cette relation était basée sur des intérêts économiques et militaires communs. Récemment, la Russie a commencé à diversifier son soutien au Soudan et à changer de stratégie. Le vice-ministre russe des affaires étrangères, Mikhail Bogdanov, s’est rendu au Soudan et a annoncé que la Russie reconnaissait le gouvernement contrôlé par les forces armées soudanaises comme le seul gouvernement légitime. En retour, la Russie a promis de fournir un soutien militaire et sécuritaire à l’armée soudanaise. Des sources médiatiques ont indiqué que la partie soudanaise avait déjà reçu de nouvelles livraisons d’armes de la Russie en échange de l’acceptation de l’établissement d’une base navale russe, bien que Moscou refuse d’en faire la publicité.
Les discussions ont également porté sur la demande aux SAF de mettre fin au soutien de la Légion africaine aux RSF. Les représentants russes ont ensuite discuté de la présence de soldats ukrainiens du côté des Forces armées soudanaises. Il n’est pas encore certain que l’implication du Corps africain au Soudan prenne fin. Le Soudan et la Russie semblent avoir convenu d’établir une base navale russe près de Port-Soudan. Il s’agit d’un élément important de la stratégie russe en Afrique, auquel l’Occident n’a pas encore de réponse.
Pendant une grande partie du conflit, des mercenaires du groupe russe Wagner ont combattu aux côtés des forces de sécurité soudanaises, ce qui a conduit au déploiement de forces spéciales ukrainiennes aux côtés de l’armée soudanaise. Selon les services de renseignement américains, entre février 2022 et 2023, plus de 1,6 milliard de dollars d’or ont été passés en contrebande vers la Russie à partir des mines privées de Daglo.
Mais Moscou semble avoir retardé son soutien au FSR depuis le printemps. Fin avril, le vice-ministre russe des affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, a décrit l’organe de transition soutenu par l’armée, le « conseil de souveraineté », comme le seul véritable représentant du peuple soudanais. L’ambassadeur russe au Soudan avait auparavant tendu la main à l’armée et proposé de lui fournir des armes.
La première résolution explicite du Conseil de sécurité de l’ONU depuis le début de la guerre à la mi-juin 2024. La Russie s’est abstenue de voter sur le texte appelant à la fin du siège de la RSF et des combats autour de la ville d’El Fasher, dans l’ouest du Darfour. Le délégué russe a déclaré que le texte « contredit la réalité sur le terrain » et comprend des décisions discutables concernant la souveraineté et l’unité du pays. « Nous ne pouvons pas être d’accord avec l’appel proposé à toutes les parties soudanaises d’assurer le libre accès humanitaire », a-t-il déclaré, rappelant au Conseil que la question du contrôle des frontières nationales et du passage de toute marchandise « est une question souveraine qui relève des autorités compétentes ».
De son côté, le groupe Wagner a annoncé qu’il cessait toute activité militaire au Soudan. L’Institut pour l’étude de la guerre proche de l’industrie de défense américaine, estime que la Russie pourrait retirer des mercenaires pour renforcer le front ukrainien et que le changement de camp pourrait représenter un alignement sur l’Iran, qui soutient depuis longtemps les forces armées soudanaises.
L’importance de la base russe au Soudan:
Au départ, il était question d’une petite base russe uniquement à des fins logistiques, mais elle sera équipée pour être éventuellement utilisée par la marine russe à l’avenir. Plus précisément, jusqu’à 300 soldats seront stationnés dans cette base et jusqu’à quatre navires militaires russes pourront s’y amarrer.
On disait autrefois que l’Asie centrale était le nouveau grand jeu de la politique internationale, mais les faits sur le terrain suggèrent que les intérêts de nombreux autres acteurs ont culminé dans une très petite région de la mer Rouge. En dehors du Soudan, de nombreux acteurs s’intéressent à la mer Rouge. Les attaques des Houthis contre les navires marchands ont eu des conséquences, y compris militaires, et ont conduit à une implication accrue des États-Unis et de l’Europe. Il pourrait y avoir d’autres conflits dans la région, étant donné l’importance de cet axe géographique pour le commerce entre l’Europe et l’Asie.
La Russie dispose aujourd’hui d’une base navale en Méditerranée, à Tartous, sur la côte syrienne, qu’elle a obtenue en prenant le parti du président syrien Bachar el-Assad dans la guerre contre ses opposants. L’ambition de la Russie ne s’arrête pas là, car son objectif principal semble être de renforcer son influence en Afrique, puisque la Russie poursuit sans relâche ses opérations militaires en Afrique. Elle utilise le port de Tartous comme tremplin pour acheminer des fournitures logistiques vers l’Afrique, par exemple vers la Libye, qui à son tour sert à Moscou de tête de pont pour l’acheminement de renforts et de fournitures vers les pays d’Afrique subsaharienne. Le Soudan représente donc une autre pièce du puzzle de la stratégie africaine de la Russie, qu’il s’agisse du commerce des armes ou de la présence de la Russie en Afrique, en particulier dans l’ouest du continent, où la présence de la Russie au Soudan permet de contrebalancer l’influence des États-Unis, de l’Europe et de la Chine dans la région et de renforcer la position de la Russie en tant que puissance mondiale influente.
Elle permet également à Moscou de faciliter l’accès aux précieuses ressources naturelles du Soudan, telles que l’or et d’autres minéraux, et de renforcer la coopération économique. La présence militaire de la Russie lui donne l’occasion d’accroître ses exportations d’armes et de fournir une formation et une assistance militaires aux pays africains, stimulant ainsi son industrie de la défense et renforçant ses relations en matière de sécurité. En fin de compte, tout cela élargirait le réseau d’alliés de la Russie en Afrique, lui donnant une plus grande capacité à influencer les questions régionales, à arbitrer les conflits et à réaliser ses intérêts diplomatiques.
En bref, en établissant une base militaire au Soudan, la Russie cherche à renforcer sa présence internationale et à garantir ses intérêts stratégiques dans une région de grande importance géopolitique et économique, contribuant ainsi à la réalisation de ses objectifs à long terme aux niveaux régional et mondial.
Impact sur le conflit au Soudan:
Si l’on examine les expériences précédentes de la Russie en Syrie et en Afrique, on constate que la présence russe n’a pas conduit à une amélioration de la situation politique et militaire dans ces pays. Au contraire, certains experts estiment que les Russes exploitent le pouvoir du chaos dont ils jouissent dans divers pays africains, non seulement au Soudan, mais aussi en soutenant d’autres coups d’État, à savoir au Mali, au Tchad, au Burkina Faso et au Niger. La coopération avec les putschistes ne contribue pas à la stabilisation, mais au contraire à l’exacerbation des conflits internes, ce qui peut entraîner une aggravation de la crise des réfugiés pour l’Europe, car de nombreux Africains dont les pays sont en proie à des troubles seront contraints d’émigrer, surtout si le conflit se prolonge. Cela poussera les pays occidentaux à intervenir, ce qui pourrait conduire à lier l’aide au développement dans les pays contrôlés par les putschistes à certaines conditions. Par exemple, la coopération militaire avec les Russes pourrait avoir des conséquences sur la coopération au développement, voire sur la coopération humanitaire.
Le fait que Moscou soit parvenu à un accord avec les représentants de l’État soudanais marque un changement majeur dans le déroulement du conflit désastreux qui a éclaté en avril 2023 entre les Forces armées soudanaises (SAF) de l’armée régulière et les Forces de soutien rapide (RSF) des rebelles. Cela s’explique principalement par le fait que la milice russe semi-étatique Wagner s’est entendue sur les droits d’exploitation des gisements d’or du Soudan. Ces derniers constituent la dernière source de devises étrangères pour la Russie, qui fait l’objet de sanctions occidentales depuis le début de la guerre en Ukraine.
La situation militaire au Soudan reste floue selon de nombreuses analyses, mais il semble que la Russie veuille désormais diversifier son soutien au Soudan. De plus, Port-Soudan est situé dans la zone contrôlée par les Forces armées soudanaises (SAF). Si la Russie souhaite y établir une base navale, cela dépendra des pourparlers avec les Forces armées soudanaises. Les conséquences sur l’évolution militaire du conflit ne sont pas encore claires, mais les faits suggèrent que le soutien russe à l’armée soudanaise prolongera encore le conflit et pourrait encourager d’autres parties à soutenir les forces armées soudanaises.
En échange de cette présence navale, la Russie fournira un soutien militaire et sécuritaire aux forces armées soudanaises (SAF). L’envoyé spécial du président russe pour l’Afrique et le Moyen-Orient, Mikhail Bogdanov, a promis aux Forces armées soudanaises une « assistance militaire qualitative sans restriction », selon le magazine en ligne Understanding War.
Les années précédentes, l’armée soudanaise souhaitait que la Russie acquière, entre autres, des avions de combat Su-30 et Su-35 ainsi que des missiles antiaériens S-400.
On peut affirmer que plus le conflit s’éternise, plus les besoins en armement des forces armées soudanaises augmentent. C’est particulièrement vrai pour l’armée de l’air soudanaise, qui doit également opérer dans des zones reculées. À cet égard, elle peut faire un très bon usage des armes russes. Il en va de même pour le carburant, en particulier le diesel. Selon les experts, il y a depuis longtemps une pénurie de diesel. En revanche, les exportations vers la Russie font l’objet d’une interdiction similaire en raison des sanctions. La milice Wagner a importé du carburant via le Tchad, mais à l’avenir, la Russie pourrait l’acheminer via sa nouvelle base navale au Soudan.
L’armée soudanaise a souffert de problèmes d’armement, c’est pourquoi elle a cherché à se rapprocher de la Russie, en particulier avec l’expansion des combats, et le sentiment du gouvernement soudanais que Washington semble désormais plus proche du FSR, puisque certaines analyses suggèrent que les pourparlers de Genève parrainés par les États-Unis visent à trouver un avenir politique pour le FSR, ce que le gouvernement rejette, et il a donc décidé de se tourner vers la Russie. Le Soudan a choisi ses alliances loin de Washington et de l’Occident, en rétablissant ses relations avec l’Iran et en se rapprochant davantage de la Russie, ce qui signifie qu’il ne compte pas beaucoup sur la voie de la négociation et qu’il mise sur la résolution militaire. Depuis le 14 août, l’armée boycotte les pourparlers menés par les États-Unis à Genève, avec la participation de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, des Émirats arabes unis et de l’Union africaine, en vue de mettre fin à la guerre au Soudan, alors que la délégation de RSF y a assisté.
Le rapprochement peut également apparaître comme une manœuvre visant à faire pression sur les États-Unis et l’Occident pour qu’ils ne soutiennent pas la RSF, mais cette manœuvre n’est pas sûre, car elle pourrait avoir de lourdes conséquences pour le gouvernement soudanais. La communauté internationale pourrait décider que l’armée n’est pas sérieuse dans ses négociations et donc fermer les yeux sur tout approvisionnement extérieur de la RSF.
Les États-Unis espèrent que l’arsenal des bellicistes soudanais a été complètement épuisé de part et d’autre, ce qui permettrait enfin de mener des négociations de fond. C’est peut-être là la plus grande différence avec les tentatives de médiation précédentes. Alors que le commandant de la RSF, Mohamed Hamdan Daglo, mieux connu sous le nom de « Hemedti », a accepté de participer directement aux pourparlers, le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhan, a refusé.
Il est clair que Dagalo cherche à établir ses propres structures étatiques au Darfour, dans l’ouest du Soudan, qu’il contrôle désormais entièrement, ce qui explique pourquoi al-Burhan a catégoriquement rejeté les négociations par le passé. Selon les observateurs, Washington est déterminé à empêcher la propagation du conflit dans la région instable de la Corne de l’Afrique.
Par conséquent, les observateurs pensent que les États-Unis ne permettront pas facilement à la Russie d’établir une base militaire sur la côte soudanaise, car la région de la mer Rouge est déjà troublée par les attaques des Houthis contre les navires, et une telle évolution ne devrait pas être tolérée.
Plusieurs facteurs suggèrent que les relations entre la Russie et le Soudan pourraient ne pas aboutir à une forme d’alliance connue, car la Russie traite toujours avec les pays du tiers monde du point de vue de son histoire impériale et n’est pas encline à s’allier avec les pays africains, quel que soit le degré de coopération avec eux. Le Soudan ne peut pas utiliser le rapprochement avec la Russie comme un moyen d’équilibre pour neutraliser les pressions économiques et militaires des États-Unis, qui font pression pour mettre fin à la guerre et empêcher les militaires de prendre le pouvoir. L’approche de l’ancien président Omar el-Béchir pour défier l’Occident ne peut être suivie. Sa perception exagérée a été révélée lors de sa visite en Russie et de sa rencontre avec Poutine en 2017, lorsqu’il lui a demandé de le protéger des États-Unis en échange d’accords, y compris l’établissement d’une base militaire dans la mer Rouge.
Conclusion:
La Russie tente de jouer sur tous les tableaux, car elle entretient des relations bien établies avec les forces de sécurité soudanaises, que ce soit par des relations directes ou par l’intermédiaire du groupe Wagner. Moscou profite du fait que l’armée soudanaise a besoin d’armes et que le FSR est en avance sur elle dans la plupart des domaines de combat, de sorte qu’elle ne construira pas une relation totalement alignée avec elle, comme elle l’a fait avec le régime syrien. La Russie maintiendra ses relations avec les forces de sécurité soudanaises et leur fournira éventuellement des armes, à moins qu’elle ne soit certaine que l’équilibre des forces penche complètement en faveur de l’armée.
La période à venir sera marquée par une intervention politique intensive des États-Unis et de l’Occident au Soudan afin d’empêcher la Russie d’atteindre son objectif d’obtenir une base militaire dans la mer Rouge.
Sources :
- (Al Jazeera) le 5 juin 2024
- (BBC) le 20 juin 2024
- Alhurra le 16 mai 2024
- The Independent le 27 août 2024
- Site web allemand (der standard) le 25 juillet 2024
- Site de la BBC le 7 mai 2024
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