Quelle est la différence entre l’Algérie et les Emirats Arabes Unis ? Les deux pays sont diamétralement opposés sur le concept de Brand Nation et de la nécessité d’attirer l’attention de la planète ou par celle d’être dans la trending list des réseaux sociaux. Si le plus grand pays d’Afrique devait avoir une devise, ce serait celle-ci « Pour vivre heureux vivons cachés ».
Pourtant, le Nouvel ordre mondial, le Grand Moyen-Orient, les « Accords d’Abraham » et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, sont passé par là et ont eu très peu d’effet sur la politique étrangère de l’Algérie qui est restée sur des principes hérités d’avant son indépendance. D’ailleurs, 60 ans après avoir obtenu son indépendance, le poids de l’histoire se fait toujours sentir car les principales institutions sur lesquelles repose l’Etat algérien moderne (Armée, services de renseignement, diplomatie) sont toutes issues à l’élan révolutionnaire des années 50 et du début des années 60 qui a conduit au départ de la France, puis à 60 années de je t’aime, moi non-plus entre Paris et Alger et par extension entre l’Occident et l’Algérie.
Pour comprendre la difficulté de cette relation il faut comprendre les principes de cette vision algérienne du monde et de ce que l’Algérie considère comme étant des lignes rouges à ne pas dépasser.
Premier principe de la diplomatie algérienne: « le pays ne subit pas l’actualité, c’est toujours le temps long qui importe»
La politique étrangère de l’Algérie se caractérise par sa constance et sa vision à long terme, en lien avec son héritage de lutte pour l’indépendance. Cette lutte a été acharnée et a duré de nombreuses années, établissant ainsi le cadre des actions de l’Algérie. Elle ne se laisse pas influencer par les événements du jour au lendemain ou par les sujets d’actualité brûlants. Au contraire, elle persiste même lorsque les circonstances ne sont pas favorables. L’obstination des moudjahidin a été essentielle pour forger l’Algérie en un État fier, indépendant et souverain. Ainsi, l’Algérie doit demeurer déterminée, car cette approche a fonctionné par le passé et continuera de fonctionner aujourd’hui. On a pu le voir par exemple en mars 2022, après le revirement subite de l’Espagne sur le dossier du Sahara Occidental et de sa reconnaissance de la thèse marocaine. Alors que de nombreux observateurs ont vu en ce revirement un tournant capital dans le dossier avec une mise en infériorité numérique de l’Algérie, à Alger on est passé à la contre-attaque de manière lente et méthodique.
Cependant, l’attachement à cet héritage révolutionnaire est souvent utilisé pour masquer les problèmes de la bureaucratie ou de manque de stratégie en Algérie. Il sert aussi à imposer une légitimité historique à la population. Il reste que la primauté accordée à l’attachement au récit révolutionnaire indique que cette stratégie est axée sur des enjeux durables et essentiels, plutôt que sur les aspects brillants et éphémères de la géopolitique.
Un manichéisme en géopolitique
Encore une fois à cause du passé glorieux et douloureux ayant donné naissance à l’Algérie, les dirigeants de ce pays ont toujours eu la facilité d’utiliser une grille de lecture manichéenne, le bien et le mal étant absolus, la vérité à leur propos est la seule chose importante pour la diplomatie algérienne.
Cela explique le positionnement de l’Algérie vis-à-vis des questions palestiniennes et sahraoui, un positionnement resté inchangé malgré tous les bouleversements géopolitiques qu’a connu le monde. La diplomatie algérienne puise cette résilience, une fois encore dans son passé. Les maquisards du FLN avaient été vilipendés par la France, leur réputation entachée et leur population écrasée. Malgré une victoire militaire sur le terrain, les français ont fini par perdre sur le terrain de la diplomatie et de la négociation.
Il n’y a pas de petits pays, juste de petites causes
Après 1962 l’Algérie a porté sur ses épaules la responsabilité d’émanciper des dizaines de pays en Afrique et en Asie du joug colonialiste avec une conviction absolue que les peuples étaient égaux. Cette notion de souveraineté est un des principes fondamentaux de la diplomatie algérienne. Elle passe par la non-ingérence dans les affaires internes des pays et par l’autodétermination des peuples. La décennie dite noire (1990-2000) où l’Algérie a vécu une guerre civile d’une ampleur cataclysmique, a vu un isolement total du régime, étranglé par un embargo sur les armes et un prix du pétrole de 15 dollars, un régime isolé mais qui a refusé de faire appel à une quelconque aide internationale et en a tiré la leçon que les régimes faibles sont, de toutes les façons, condamnés.
Un principe mis à l’épreuve ces derniers temps par l’invasion Russe de l’Ukraine, que l’Algérie rejette tout en maintenant une « amitié » avec les deux pays, toute aussi incohérente cette attitude est, elle est aussi un des reflets de cette attitude de non-ingérence.
Maintenir l’amitié avec tout le monde
Seule façon d’appliquer les principes cités plus haut, cet effort constant de maintenir des liens positifs avec tout le monde, sans que ce soit de l’amitié, où dans le cas de pays riverains, moins puissants, de la domination. Cette position algérienne a survécu aux plus durs moments de sa période socialiste, où un minimum de bonnes relations et d’ouverture avait été maintenu avec les USA et l’Europe Occidentale. Non-alignement ou liberté, cette attitude a permis à la diplomatie algérienne de réaliser plusieurs coups, comme la libération des otages de l’ambassade américaine de Téhéran et la résolution de la guerre civile libanaise.
Cette attitude algérienne ne plaît pas à tout le monde, surtout si l’on considère qu’en matière de hiérarchie diplomatique, la puissance est très souvent liée aux moyens, des moyens qui ne sont pas toujours du niveau de l’Algérie. Ceci explique par exemple les mauvaises relations entre Alger et les pétro-monarchies du Golfe, ou même avec la logique Européenne prompte à donner le titre de bon et de mauvais élèves à ces interlocuteurs de l’autre rive de la Méditerranée et que l’impertinence algérienne dérange parfois.
L’essence de l’incongruité de la diplomatie algérienne se traduit parfaitement dans sa gestion du dossier du Sahara Occidental. Un dossier où l’on retrouvera l’expression de l’ensemble des points évoqués.
L’Algérie et la question du Sahara occidental
L’Algérie maintient une position intransigeante concernant la question du Sahara occidental, soutenant qu’un référendum est la seule voie pour résoudre ce conflit de manière juste et durable. Cette position est fondée sur deux raisons principales. Tout d’abord, l’Algérie considère la question du Sahara occidental comme une question de décolonisation, où le droit des peuples à l’autodétermination doit être respecté. L’occupation du territoire par le Maroc est perçue comme une continuation de l’héritage colonial et un déni du droit fondamental des Sahraouis à décider de leur propre destin.
Deuxièmement, l’Algérie insiste sur le fait qu’il y a eu un accord entre toutes les parties concernées, avec l’ONU comme garant, pour organiser un référendum sur l’avenir du Sahara occidental. Elle considère que toute autre solution serait une trahison de la Charte des Nations Unies et un mépris de la sacrosainte loi internationale. L’Algérie souligne l’importance de respecter les accords conclus et les résolutions de l’ONU, qui reconnaissent le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Dans cette perspective, l’Algérie considère tout pays soutenant la position marocaine comme se rangeant du côté ennemi. L’exemple de l’Espagne est souvent cité pour illustrer cette position. Lorsque l’Espagne a inversé sa politique de neutralité sur la question du Sahara occidental en 2021, l’Algérie a pris des mesures drastiques, suspendant même son traité d’amitié avec l’Espagne. Cette réaction souligne la fermeté de l’Algérie dans sa défense de la cause sahraouie et son engagement à soutenir les droits du peuple sahraoui.
L’Algérie considère que toute position favorable à la thèse marocaine est une remise en question de ses principes et de ses intérêts nationaux. Elle perçoit cela comme une atteinte à sa souveraineté et à son intégrité territoriale. En conséquence, elle n’hésite pas à prendre des mesures fortes, y compris des sanctions économiques, pour défendre ses positions et exprimer son mécontentement envers les pays qui soutiennent la thèse marocaine.
En appliquant des sanctions économiques à un pays de l’Union européenne, l’Algérie a marqué un précédent en tant que premier pays du tiers monde à prendre une telle mesure à l’encontre d’un État membre de l’UE. Cette décision reflète la détermination de l’Algérie à faire valoir ses principes et à défendre les droits du peuple sahraoui, même si cela implique d’adopter des mesures drastiques qui peuvent avoir un impact sur les relations économiques et politiques.
Cependant, l’Algérie reconnaît également l’importance du dialogue et de la diplomatie dans la résolution des conflits. Elle appelle à une solution pacifique et négociée qui respecte les droits du peuple sahraoui et les principes du droit international. L’Algérie est prête à jouer un rôle de médiateur et à soutenir tous les efforts visant à par. L’Algérie estime qu’elle n’a pas besoin de payer des lobbyistes pour défendre ses intérêts, car elle croit que la vérité prévaudra à long terme. Elle s’appuie sur l’interprétation dominante de l’héritage des moudjahidin, selon laquelle les actes ont plus de valeur que les paroles. Cependant, cette croyance peut limiter la capacité de l’Algérie à contrôler le récit et à communiquer efficacement sur la scène internationale.
Cette attitude brutale envers l’Espagne, n’empêche pas Alger d’entretenir d’excellents relations bilatérales avec d’autres pays de l’UE, l’Italie par exemple a été portée au rang de partenaire stratégique, l’Allemagne en principal fournisseur de technologies et malgré une relation chaotique, l’amitié entre Paris et Alger reste un objectif majeur de la stratégie diplomatique des Présidents Macron et Tebboune, qui ne cachent pas leur proximité de vue et leur amitié.
En conclusion, l’Europe gagnerait beaucoup à adapter son approche aux valeurs algériennes et à mieux comprendre les dynamiques qui font du plus grand pays d’Afrique un pays si particulier.
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