L’attaque iranienne sur Israël le 13 avril 2024 était un test d’une envergure énorme. Pourtant, la plupart des journalistes et des commentateurs avisés estiment qu’il s’agissait de la part de l’Iran d’un message politique et non pas d’un assaut frontal aux vues meurtrières. La réaction de Pékin et de Moscou ont été jugés significatifs, et même corrects : Pékin « prend note de la déclaration de l’Iran selon laquelle l’action entreprise était limitée et constituait un acte d’autodéfense », dit le gouvernement. Au cours d’un appel avec feu son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, Vladimir Poutine a, lui aussi, noté la volonté de l’Iran « d’éviter une escalade supplémentaire ». Attaque limitée et non-escalatoire, voilà ce que l’on devrait retenir. Et ce que trop de commentateurs ont retenu.
Que les gouvernements pro-iraniens minimisent l’importance de l’attaque aérienne iranienne « Opération Promesse honnête », voilà qui relève du stratagème classique. Par contre, ceux en Occident qui minimisent cette attaque et sous-estiment le danger existentiel vécu par l’État d’Israël commettent une erreur d’appréciation caractérisée. Ces Occidentaux vont plus loin encore dans l’autosuggestion : ils ignorent la signification de la mort de deux durs du régime iranien, le président Ibrahim Raïssi et Hassan Amir-Abdollahian, en hélicoptère alors qu’ils venaient de rencontrer Ilham Aliev, le président d’Azerbaïdjan et grand allié d’Israël. Il aurait fallu signaler l’ironie de cette rencontre, sans forcément entrer en conjecture sur un possible assassinat. Certes il y avait le brouillard !
Aussi les Occidentaux ne se focalisent-ils par sur la fuite en avant probable des Gardiens de la Révolution iranienne (Pasdaran, Iran Revolutionary Guard Corps). N’ont-ils pas vu le commandant en chef des missiles des Pasdaran, le Général Ali Belali, conduite le 1er mai sur les écrans de CNN le reporter Fred Pleitgen dans un hangar ou plutôt un showroom de missiles, en désignant les modèles tirés sur Israël ? Cette démonstration médiatique inouïe de confiance en soi fut couronnée par la phrase du Général Bilali : « je ne vous montre pas d’autres modèles plus avancés que nous n’avons pas utilisés ». Le Général semblait sûr d’avoir à recommencer si nécessaire.
Cet incident journalistique de CNN, méritoire et informatif, a produit des effets fort étranges : le reste de la presse n’a pratiquement pas réagi à cet étalage de missiles. Ainsi, les dirigeants politiques et une bonne partie des autres médias occidentaux ont inconsciemment participé à une mystification « light » : ne proclamant quasiment jamais la gravité de l’attaque du 13 avril, les spécialistes ont expliqué sobrement aux curieux la sévérité de celle-ci. Ainsi les sources françaises proches du dossier, pour ne parler que d’eux, ont tous estimé que l’attaque était massive. Selon certains, « un test grandeur nature », une tentative réelle de faire mal. Le message officiel du gouvernement français, concernant sa participation à la défense du ciel jordanien, dernier champ d’interception avant la terre israélienne qui était la cible : « la France, à la demande du gouvernement jordanien, a protégé les installations militaires françaises situées sur les bases jordaniennes ». Ce langage trivialise la dimension stratégique de l’attaque, et balaye même la qualité de la riposte français, modeste mais précise. L’aviation jordanienne est intervenue aussi, mais le gouvernement jordanien et sa presse fortement corsetée ont fait état de tirs sans même mentionner le fait que les cibles étaient des projectiles iraniens visant Israël !
Le célèbre journaliste israélien de guerre Ron Ben Yishaï a dit, lors d’un passage à Paris fin mai, que la préparation défensive d’Israël a été conduite au plus haut niveau : le commandant en chef du Centcom, le Général Michael Kurilla, et le chef d’état-major israélien Herzi Halévi, penchés pendant des jours sur des cartes à Tel-Aviv. Les Israéliens se sont assignés le ciel souverain,, et les Américains et alliés — dont les Français et surtout les Britanniques — intercepteraient au-dessus de l’Irak et de la Jordanie. La défense anti-aérienne israélienne est elle-même technologiquement américano-israélienne, et fortement subventionnée par le Trésor américain. La République islamique d’Iran était symboliquement en guerre avec l’Occident.
Dans le climat obsessionnel de guerre à Gaza, et de captivité des otages (dont la moitié peut-être ont péri), même les Israéliens ordinaires ne sont pas terrifiés par cette attaque iranienne, et n’ont sans doute pas les égards appropriés envers l’alliance occidentale et jordanienne qui a repoussé « Promesse honnête ». Le brouillard de la guerre est ici apparent : l’on ne soupèse pas la signification d’un évènement qui vient de se dérouler. Du point de vue israélien, le cas des malheureux otages a pris le pas sur la question stratégique d’une attaque apocalyptique en puissance. Du point de vue occidental et surtout américain, le désir de ne pas entrer en guerre avec la République islamique d’Iran a conduit à minimiser déraisonnablement ce pays que pourtant l’on estime comme l’ennemi numéro 1 au Moyen-Orient. Promesse honnête a fini par être Brouillard de guerre.
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