Les dirigeants du mouvement tunisien Ennahdha se sont réveillés sur l’impact d’un choc puissant représenté par la démission de 113 membres, dont des dirigeants connus, selon l’affirmation de l’ancien leader du mouvement, « Abdellatif Mekki », qui lie le grand mouvement des démissions aux contre-performances de la direction du mouvement pendant la crise politique, et son incapacité de traiter avec les décisions exceptionnelles du président tunisien, « Kaïs Saïed », ayant privé le mouvement de toute influence ou autorité au sein de l’État tunisien.
Mekki a indiqué : « La direction actuelle assume une part importante dans la responsabilité de la mauvaise situation générale qui prévaut dans le pays en ouvrant la voie pour le coup d’État contre la Constitution et les institutions qui en découlent », en ajoutant par ailleurs que la direction d’Ennahdha assume aussi la responsabilité de l’isolement totale que vit le mouvement en Tunisie.
Il convient d’indiquer que la liste des démissionnaires inclut un certain nombre de hauts dirigeants du mouvement, à commencer par l’ancien ministre de la Santé entre 2011 et 2014, « Abdellatif Mekki » et le député au parlement, Samir Dilo, « Mohammed ben Salem », « Jamila Ksiksi », « Toumi Hamrouni », Rabab ben Letaief et Nousaiba ben Ali.
L’échec de bloquer le président
Commentant l’annonce des démissions collectives, le chercheur dans les affaires des mouvements islamistes, « Mohamed Abdelhak », a indiqué que ces démissions ne sont pas spécifiquement liées à la question de la perte du pouvoir, autant qu’elles sont liées à l’échec de la direction du mouvement Ennahdha à faire face à la présidence de la République, qui cumulait la plupart des pouvoirs exécutifs et les pouvoirs du chef du gouvernement entre les mains du président de la République, en expliquant que les membres du mouvement y voient un indice de faiblesse de la direction actuelle du mouvement à mener des batailles politiques, sachant qu’elle est au pouvoir depuis 10 ans.
Abdelhak a dit : « Aujourd’hui, le président tunisien détient tous les pouvoirs et il a pu geler le mouvement et prendre des décisions exceptionnelles controversées. Il a par la suite prolongé à plusieurs reprises la période du gel du Parlement et s’est transformé en centre du pouvoir. Tout cela s’est passé en laps du temps. Là, un courant d’Ennahdha estime que ces mesures n’auraient pas dû être ou être prises sans la politique passive du mouvement et sa direction permettant au président de prendre ces décisions, surtout que les cercles du mouvement y voient un coup d’État », en soulignant que la question la plus importante dans les milieux du mouvement est : qu’est-ce que le mouvement a-t-il fait pour restaurer son influence ou faire face à la montée de l’influence du président après environ deux mois de la situation exceptionnelle ?
En outre, « Abdelhak » a attiré l’attention que celui qui lit le communiqué du groupe des démissionnaires, sera convaincu qu’il y a une situation de profonde séparation entre la direction du mouvement et ses cadres, notamment que le communiqué publié parlait franchement de grandes erreurs enregistrées au niveau de la politique interne du mouvement ou au niveau de la gestion et de la participation au pouvoir, en ajoutant que le mouvement était en train d’assister à l’émergence d’un courant dictatorial mené par son leader, « Rached Ghannouchi ».
Il est à noter que le communiqué du groupe des démissionnaires avait évoqué le dysfonctionnement de la démocratie interne du mouvement Ennahdha et la centralisation excessive en son sein, et l’appropriation de la décision par un groupe de loyaux à son seul président. Et cela n’est pas restée une affaire interne mais ses répercussions étaient des mauvaises choix et décisions conduisant à des alliances politiques sans logique ni intérêt contredisant les promesses données aux électeurs. Il a ajouté : « L’évaluation du mouvement Ennahdha dans les gouvernements et parlements successifs après la révolution nécessite une lecture critique franche et courageuse sans nous exclure de la responsabilité résultant de la contribution de certains d’entre nous à la décision partisane et gouvernementale dans des périodes spécifiques ».
effondrement retardé
Avec la continuation du mouvement de retraits et de tensions internes dans le mouvement Ennahdha, le politologue, « Mohammed Chaâlane » s’est interrogé si le mouvement se dirige réellement vers le stade de l’effondrement ou non, en poursuivant : « Ce que vit le mouvement maintenant, ce sont de grands chocs, mais on ne peut pas dire qu’il s’est complètement effondré, surtout qu’il s’agit d’un mouvement religieux utilisant la croyance comme moyen d’attraction et de construction de sa base populaire.
Chaâlane a expliqué : « Ce qui est important dans le mouvement de défections, c’est l’existence d’une situation de conflit sur le pouvoir et le leadership en premier degré, ce qui conduit à dire que le mouvement est sur le point de s’effondrer, mais il ne s’est pas encore effondré et que Ghannouchi a toujours de l’influence au sein du mouvement même si son pouvoir politique a diminué», en disant aussi que les semaines à venir seront charnières pour l’entité du mouvement dans son ensemble.
Chaâlane a encore affirmé que le mouvement démissionnaire estime que Ghannouchi n’était pas au niveau des évolutions constitutionnelles, juridiques et politiques que connaît le pays, d’autant plus que les déclarations du mouvement étaient confuses et contradictoires, qui a autrefois rejeté les politiques et décisions de Saïed et une autre fois il est prêt pour dialoguer avec lui, et une troisième fois il adopte la même orientation que le président.
En outre, Chaâlane a indiqué que Ghannouchi est soutenu par son courant parmi les leaders du mouvement et travaille à consolider son leadership sur le mouvement, surtout qu’il a pris une série de mesures soutenant sa pérennité dans sa position de leader, en considérant que Ghannouchi porte l’entière responsabilité de ce que vit le mouvement et qu’il a dû démissionner de son poste pour épargner la situation de conflit existante.
Reproduction de l’échec des prédécesseurs
En examinant l’ensemble des évolutions politiques dans la région nord-africaine en général au cours des dix dernières années, le politologue Amro Abdelaty a considéré que ce qui se passe en Tunisie fait partie d’une série d’échecs catastrophiques de l’islam politique représenté par les Frères musulmans au pouvoir, en commençant par l’Egypte jusqu’à la Tunisie, en passant par la Libye et le Maroc, en soulignant que le mécanisme de réflexion adopté par le groupe et basé sur l’obéissance au guide est la première raison de son échec.
Dans le même contexte, « Abdelaty » a estimé que la politique du mouvement Ennahdha et la situation de la domination totale du mouvement Ghannouchi n’ont pas affecté uniquement le mouvement, mais même le pays dans son ensemble, en affirmant que la situation exceptionnelle en Tunisie et l’ensemble des crises sont dues à la croyance dominante au niveau de la direction du mouvement qu’elle est capable d’imposer l’autorité du fait accompli au sein du mouvement et dans les institutions étatiques tunisiennes. Cela a conduit à l’isolement du mouvement et à son incapacité d’établir des alliances avec d’autres courants politiques loin du courant politique jusqu’à présent.
Il est à noter que le communiqué publié par le groupe de démissionnaires a mentionné que les mauvais choix politiques a mené le mouvement Ennahdha à son isolement et son échec à s’engager activement dans un front commun pour résister à la menace autoritaire imminente représentée par les décisions du 22 septembre.
Abdelaty a ajouté : « indépendamment de l’évaluation de la légalité et de la constitutionnalité des décisions du président, car elles relèvent de la compétence des juristes, les politiques du mouvement ont représenté le terrain qui a conduit le pays à ces décisions, car la situation par laquelle a traversé le pays l’a menacé d’une nouvelle révolution. Et Ennahdha s’est occupé de régler les différends politiques et les rivalités ainsi que d’essayer de consolider le système politique existant au lieu d’aller résoudre les crises économiques et de vie », en insistant que Ennahda qui a permis à la présidence de prendre ces mesures et de réunir tous les pouvoirs entre les mains du président.
Il est à rappeler que ce n’est pas la première fois que le mouvement Ennahdha enregistre des démissions collectives sur fond de crise politique que connait le pays, depuis que le président Kaïs Saïed a annoncé ses décisions exceptionnelles, le 25 juillet, et le gel, pendant 30 jours, des travaux du Parlement dont Ennahda détient le bloc le plus important, et le limogeage de son allié, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi », et l’appropriation du pouvoir exécutif.