La grande chute des taux de change de la livre syrienne par rapport aux devises étrangères se poursuit, malgré l’interdiction permanente par le régime d’Al-Assad de toute opération de transaction en devises étrangères, ainsi que plusieurs autres décisions qui annulent la subvention du gouvernement destinée aux matières de première nécessité des citoyens sous prétexte de soutenir l’économie déjà effondrée, et ce suite à la forte baisse du taux de change qui a causé une inflation historique dans le pays.
Entre Washington et la Banque centrale de Damas
Washington a pris une série de nouvelles mesures contre des entités et des individus appartenant au régime d’Al-Assad et en tête de la liste se trouve la Banque centrale syrienne dans le cadre des répercussions de la loi César…
De son côté, le Département du Trésor américain a considéré la dernière mesure prise contre la Banque centrale vient pour soutenir les efforts de Washington pour renforcer la responsabilisation et parvenir à une solution politique au conflit en Syrie.
Le Trésor américain a expliqué dans un communiqué que les sanctions ont visé le Bureau des avoirs étrangers et la Banque centrale de Syrie, de manière à décourager les investissements futurs dans les zones contrôlées par Damas, et dans le cadre de l’engagement de mettre en œuvre la décision 2254 émise par les Nations Unies.
Les nouvelles sanctions constituent la cinquième batterie de mesures depuis l’entrée en vigueur de la «loi César» le 17 juin. Cette loi a été baptisée la «loi César» en référence aux photos de détenus divulguées par le militaire dissident du régime et connu sous le nom de «César». Les photos montrent des détenus qui sont en train d’êtres torturés avec des formes de torture les plus graves et le bizutage physique. Cet incident a secoué l’opinion publique mondiale.
Quant au régime d’Al-Assad, il cherche à se débarrasser des sanctions et à échapper de l’embargo européen et américain grandissant depuis 2011, mais la ceinture devient de plus en plus serrée, notamment à cette époque du président américain Donald Trump qui a émis la loi des sanctions économiques contre la Syrie … et sa politique de sanctionner les individus, les pays et les institutions qui traitent avec le gouvernement syrien ou le financent, avec l’interdiction du commerce du pétrole et l’imposition des restrictions sur l’investissement. Tout cela a mené à geler les avoirs de centaines d’entreprises et d’individus.
Essais et bienveillance
La Coalition nationale syrienne des forces d’opposition a exprimé dans un communiqué publié mercredi dernier, le 23 décembre, sa satisfaction de la décision du Trésor américain et de nouvelle batterie de sanctions américaines, un an plus tard depuis la mise en application de la loi César.
Dans ce contexte, et avec l’accroissement des sanctions, toutes les tentatives du régime syrien d’éviter les sanctions ont échoué, même ses efforts de jouer sur la corde sensible des besoins humanitaires. La dernière en date était quand il a demandé de lever les sanctions lors des premiers jours de la fermeture mondiale à cause de l’épidémie de Coronavirus.
Un haut responsable au ministère syrien des Affaires étrangères a qualifié ces récentes mesures de «violation flagrante des valeurs du droit international et équivalentes aux crimes de guerre et à un génocide», selon l’agence de presse officielle du régime Al-Assad (SANA).
Deuxième effondrement de la monnaie
La valeur du dollar américain a presque atteint 3000 livres syriennes, suite à une série d’effondrements, deuxième de son genre, depuis le 22 décembre courant. Cette baisse brutale de la monnaie du pays a affecté les marchés et les échanges commerciaux, en laissant une confusion de pratique au niveau des flux de marchandises et de fournitures en parallèle de la stagnation des transactions commerciales en Syrie après l’émission de loi César.
Les économistes ont attribué de leur côté les causes de la nouvelle baisse au cours des derniers jours à l’émission d’une nouvelle liste de sanctions imposées par le Département du trésor américain, qui comprenait des entités et des individus, ainsi que la Banque centrale de Syrie, considérée comme responsable effectif et direct de superviser et de décider la politique monétaire du pays.
Feuilleton répété et accéléré
Cette baisse est, comme nous l’avons indiqué, la deuxième de son genre au cours de la dernière période, puisque la livre avait déjà franchi la barre de 3000 contre un dollar le 17 juin, suite à la mise en application de la loi César. Mais elle a pu se redresser partiellement, en se stabilisant à 2500 et une vague de fluctuation montante descendante liée aux tentatives de la Banque centrale d’intervenir pour consolider la valeur de la monnaie au cours de la dernière période. (Avec cette série de descente, le régime a maintenu le taux de change officiel à 1256 contre un dollar mais sans l’appliquer réellement).
Depuis le début de cette année, le pouvoir d’achat de la monnaie locale a diminué d’à peu près trois fois, tandis que la livre a perdu près de deux fois sa valeur par rapport au dollar américain.
Avec le début de l’année 2020, la valeur du dollar se situait entre 900 et 1000 livres syriennes au premier mois de l’année, pour atteindre en février 1050 livres syriennes, puis 1250 livres fin mars, 1300 livres fin avril et 1850 livres fin mai. L’effondrement accéléré a eu lieu au début de juin 2020, lorsque le dollar valait 1900 livres, mais seulement une semaine après le taux de change a atteint 2700 livres contre un seul dollar.
Puis, du 10 au 17 juin, le dollar a dépassé les 3000 livres, pour baisser de nouveau après en terminant le mois à 2500 livres contre un dollar.
La fluctuation de change a dominé la scène, et la valeur de la livre s’est appréciée du coup lorsque le dollar a atteint 2000 livres à la troisième semaine de juillet, mais elle n’a pas tardé à revenir à sa position antérieure pour perdre de la valeur lorsque le prix du dollar a terminé le mois de juillet à 2250 livres.
Au début du mois d’août, la valeur de la livre n’était pas stable, puisque le dollar a atteint 2300 livres, pour tomber après à 2000, et clôturer le mois à 2250 à l’instar du mois précédent. Et la même situation s’est maintenue en septembre jusqu’à mi-octobre où le change s’est stabilisé à 2500 livres par dollar.
Le mois de novembre a été le mois d’une nouvelle tendance, puisque le dollar n’a pas baissé au-dessous de 2500 livres. Et il a continué à augmenter pour atteindre 3000 livres, puis il est revenu à la baisse, en terminant le mois dernier à 2650 livres. Puis, le cours du dollar a débuté le mois de décembre à 2700 livres et avec une moyenne de 2920 livres par dollar jusqu’au 25 dollar du mois courant.
Difficile de prédire
L’observation des fluctuations de change et du marché des devises est devenue la principale préoccupation des Syriens surtout avec les charges en augmentation de la vie liées directement à la dépréciation de leur monnaie. La flèche (rouge) descendante et ascendante est par ailleurs devenue constamment un indicateur d’inquiétude qui pèse sur le citoyen conscient des douleurs et des répercussions de cette baisse de la valeur de la monnaie et son impact sur la hausse des prix qui l’accompagne.
«Jad Abou Madi», spécialiste des affaires bancaires, dans une interview à The Independent Arabic, a estimé qu’«en dépit de nombreux facteurs causant cette baisse, dont le jeu des spéculateurs que la Banque centrale poursuit, la liste des nouvelles sanctions a laissé son impact négatif. En effet, les coûts des importations ont augmenté, et cela aura un effet rétroactif sur les marchés locaux.
L’expert a déclaré en outre qu’il sera difficile de prédire à quoi aboutira cette hausse successive, espérant qu’il y aura de nouvelles politiques pour faire face à cette urgence puisque les sanctions n’ont pas constitué une nouvelle surprenante pour la Banque centrale syrienne. Il est donc probable que les devises seront injectées pour atténuer la gravité de l’effondrement et pour l’arrêter à un niveau maitrisé en imposant d’effectuer les transactions avec les devises seulement.
(On rappelle ici que ces procédures sont récurrentes et sont considérées comme des moyens d’intervention urgents. Par exemple au mois de juin, qui a connu une stabilité de change et la baisse du dollar dues à plusieurs facteurs que le chercheur économique, Manaf Quman, attribuait dans une précédente interview à «Alsouria Net» à plusieurs facteurs dont notamment que le régime avait obtenu de l’aide financière de la part du «Hezbollah» libanais par le biais de la contrebande, ainsi que l’arrivée des pétroliers iraniens aux ports syriens. Il s’agit en outre de l’intensification du contrôle et les campagnes de sécurité contre les spéculateurs sur le marché noir, et d’interdire les transferts des mandats étrangers sauf via les banques. (Toutefois, ces mesures n’ont pas pu pas continuer)
Facteurs et causes
Les raisons de l’effondrement de la livre syrienne s’interfèrent sous le coup de la transformation de l’économie du pays en une économie de guerre, où la scène économique de la livre syrienne est régie par trois facteurs principaux, selon des rapports spécialisés : économique, politique et administratif.
Arrive en tête de liste des facteurs économiques, la baisse des prix du pétrole sur le marché international qui a eu un impact négatif sur les pays soutenant le régime, en raison de leur dépendance au commerce du pétrole dans leurs économies. Par conséquent, l’aide financière de l’Iran à la Syrie a diminué.
De plus, la Banque centrale de Syrie ne possède pas de liquidités en devises ni de l’or, car l’existence de réserves en devises et en or sont les principaux piliers sur lesquels reposent les monnaies nationales particulièrement avec l’arrêt des revenus provenant du transit des transports terrestre, maritime et aérien, et des mouvements de l’export, principal contributeur en termes de revenus en devises.
À un niveau plus profond, l’arrêt presque total de la machine de production a eu un impact direct, de sorte que le régime a été contraint d’importer les biens nécessaires de l’étranger, car les achats étaient effectués en devises étrangères particulièrement le dollar. Cela a entraîné une hausse de la demande sur ce dernier et une pénurie sur le marché et, par conséquent, une augmentation de sa valeur contre la dépréciation de la livre locale.
Le non contrôle désormais du régime sur le pétrole, le blé, les légumineuses et sur un certain nombre de produits stratégiques a également joué un rôle prépondérant dans les problèmes d’épuisement des devises.
Quant aux facteurs politiques qui ont marqué cette crise, ils étaient liés aux sanctions économiques contre les pays soutenant le régime syrien. Il s’agit d’abord de l’Iran puis la Russie. A cela s’ajoute l’instabilité au Liban et en Irak, qui constituaient un exutoire au régime syrien, notamment le Liban, à travers les banques libanaises considérées comme un dépôt de devises pour les commerçants qui traitent avec le régime en sécurisant les devises, car ces banques ont empêché le décaissement de grosses sommes d’argent à leurs clients. Cela a créé une crise de trésorerie et de liquidité pour le régime.
A cela s’ajoutent les sanctions américaines et européennes imposées sur des personnalités-clés du régime syrien, considérées comme les bras économiques d’Al-Assad à l’instar de Rami Makhlouf, Samer Al-Fouz, Wassim Kattan, et pas mal de responsables et de commerçants qui assurent les besoins du régime de l’étranger.
Le financement des campagnes militaires contre les forces de l’opposition et l’insistance sur l’option militaire pendant neuf années consécutives ont privé le régime de toutes ses capacités économiques.
En parallèle, la diminution de l’activité des organisations internationales, tant dans les régions de l’opposition que dans les régions du régime a eu un rôle dans l’épuisement de la livre syrienne, parce que ces organisations donnaient des subventions et ouvraient des projets de secours en devises. Ceci constituait l’une des sources importantes de devises en Syrie.
En profondeur, l’aggravation du différend entre Makhlouf et Al-Assad a provoqué l’arrêt de plusieurs activités économiques liées aux entreprises de Makhlouf, et ses entreprises ont commencé à convertir leurs dépôts de monnaie locale en devises, pour les transférer après à l’extérieur du pays. Par conséquent, la demande sur cette dernière a augmenté. L’offre de la livre syrienne a augmenté, donc son prix a diminué selon un rapport économique de l’Agence Anadolu.
Toutes ces intersections ont poussé les seigneurs de la guerre à détourner leurs fonds de dollars de la Syrie notamment avec l’approche de l’application de la loi César. Cela a constitué un autre facteur de pression sur la scène de la livre syrienne, qui était lié aux inquiétudes par rapport aux tensions au Moyen-Orient, avec la faiblesse de l’Iran et son incapacité à soutenir l’économie syrienne.
Au troisième niveau des facteurs influents sur la livre, étaient les facteurs liés à l’absence du sens de l’Etat chez les institutions gouvernementales depuis que le modèle iranien s’est imposé en Syrie, de sorte que l’État / régime syrien est passé d’institutions à de simples milices qui se prennent pour des protecteurs de la patrie, ne respectant pas la loi et n’appliquant pas les politiques et les instructions. L’économie est devenue prisonnière des seigneurs de la guerre composés des commandants de l’armée du régime et des milices qui ont gagné une fortune de la guerre. Les institutions de l’Etat sont devenues paralysées et ont perdu leur capacité à prendre leurs décisions de manière indépendante, selon le même rapport économique spécialisé.
La banque centrale était parmi les premières institutions étatiques paralysées et incapables de prendre la décision souveraine appropriée. Il n’était pas en effet en mesure de faire face au problème de la chute de la livre syrienne.
A tout cela s’ajoute une série de mauvaises politiques monétaires qui ont mené au cours des années de guerre à la détérioration de la valeur de la livre par rapport au dollar, et par la suite a perdu sa valeur par rapport aux autres devises.
L’inflation « facteurs interdépendants »
Les observateurs ont insisté sur la nécessité de se concentrer sur les facteurs internes, avec les facteurs externes, à l’instar de l’embargo américain et ses répercussions, pour décrypter et expliquer la baisse du taux de change de la livre syrienne, malgré les mesures gouvernementales strictes à Damas pour empêcher les transactions à l’intérieur du pays en devises ainsi que la criminalisation des détenteurs de devises.
Selon une étude économique locale, intitulée : « La valeur de la livre syrienne aux alentours de trois cents par rapport au dollar », en 2016 au plus fort du conflit, rapportée par le « The Independent », l’effondrement du taux de change de la livre a causé une très forte inflation.
L’expert bancaire, le Dr Ali Kanaan, a estimé que «l’inflation est incontrôlable et ses variations sont très élevées avec un rythme dépassant les 1200%».
Dans le même contexte et parmi les défis de la scène économique, et avec l’augmentation de la valeur des devises, le gouvernement d’Al-Assad a enlevé les subventions sur de nombreuses matières subventionnés, tels que le carburant et certaines denrées alimentaires.
Cependant, les économistes ont souligné que l’absence de la capitale libanaise, Beyrouth, de la scène économique syrienne constituait un barrage impénétrable pour le commerce actif et la perte de l’arrière-jardin de Damas et du commerce syrien.
On notera que le régime d’Al-Assad a essayé à plusieurs reprises de tirer l’attention dans les déclarations médiatiques données par Al-Assad lui-même et ses grands collaborateurs que plusieurs facteurs ont conduit à l’effondrement de la livre syrienne, dont particulièrement la récession économique dans les pays voisins de la Syrie, ainsi que les sanctions de la « loi César » imposées par les États-Unis sur le régime d’Al-Assad au milieu de cette année.
Le chef du régime syrien a indiqué dans ses dernières déclarations, le mois dernier, que « la cause de la crise économique n’est pas liée à l’embargo sur la Syrie, mais plutôt le problème est lié à l’argent détourné par les Syriens vers des banques libanaises ».
Conséquences profondes
Récemment, le Centre de recherche Carter a publié un rapport préparé par Samir Aita, président du Forum des économistes arabes, qui a abordé la question de la multiplicité des sanctions américaines et européennes contre le régime d’Al-Assad depuis le début de la révolution jusqu’à la loi César.
Le rapport a affirmé que : « Les sanctions ont freiné la croissance des banques privées, avant même que ces banques ne soient classées dans la liste des sanctions, car elles sont toutes liées à des banques libanaises et jordaniennes qui ont perdu leurs relations avec les banques occidentales à cause de la conformité et pour éviter les risques ».
Il a également souligné que «les banques islamiques et traditionnelles du Golfe ont dominé le secteur bancaire en Syrie», notant que : «l’économie reposait sur des transferts financiers informels provenant des pays voisins, notamment le Liban et la Turquie, ce qui a rendu la Banque centrale dans un état d’incapacité à intervenir pour protéger le taux de change de la livre contre le dollar ».
Il a mis également l’accent sur le développement des réseaux commerciaux illégaux contrôlés par les services de sécurité responsables de la répression.
Quant à l’embargo américain sur les importations de pétrole de la Syrie de l’étranger, il a poussé le régime à s’approvisionner en pétrole iranien et russe, ainsi que le recours à toutes les parties y compris même l’opposition pour faire la contrebande de pétrole en provenance de régions sous le contrôle de Daesh. Des problèmes se sont posés après pour obtenir du carburant via les pompes. Cela a engendré par ailleurs une autre crise liée à l’eau potable, selon le rapport.
Il a également fait le lien entre l’économie syrienne et la crise libanaise, puisque «les actifs appartenant aux personnes de la classe moyenne et aux hommes d’affaires syriens ont été perdus dans les banques libanaises, y compris celles appartenant aux petites et moyennes entreprises en Syrie». La Syrie a toujours appuyé sur l’économie libanaise.
De plus, la crise financière au Liban a eu des effets négatifs sur la Syrie vu qu’environ 30 milliards de dollars appartenant aux Syriens ont été saisis parmi les capitaux des petites et moyennes entreprises. Ceci a entraîné des problèmes pour la croissance des entreprises et la concentration des projets sur la production alimentaire uniquement.
Quant à la baisse de la production en viande et en blé en Syrie, elle a conduit à de grandes difficultés pour satisfaire les besoins particuliers en termes de sécurité alimentaire et de disponibilité de pain. Les sanctions ont de même imposé l’arrêt total des importations d’engrais en Syrie, ainsi qu’à une baisse de la valeur des fruits et légumes, car ils ne sont plus exportés avec la même cadence et la même quantité.
Le rapport a finalement confirmé que suite aux sanctions occidentales grandissantes, la Syrie a perdu sa capacité de produire ou d’exporter les médicaments essentiels.