Votre Excellence, comment décririez-vous les processus se déroulant au Moyen-Orient, en particulier en ce qui concerne le rôle du Royaume d’Arabie saoudite dans cette région, ainsi que les facteurs clés qui contribuent à l’évolution du paysage géopolitique?
Les développements turbulents auxquels nous assistons aujourd’hui au Moyen-Orient témoignent du fait que la région se concentre actuellement sur la résolution de problèmes et de conflits profondément enracinés, tout en empêchant l’apparition de nouveaux conflits et crises. Le 32e sommet de la Ligue des États arabes, qui a eu lieu le 19 mai à Djeddah, est devenu le point culminant de ce processus. Le groupe des pays arabes a défini les points sensibles qui doivent figurer en tête de l’ordre du jour. Les cas palestinien, soudanais, syrien, yéménite et libanais en font partie. Les États ont souligné l’importance de renforcer les actions communes et ont insisté sur la nécessité de la solidarité et de la coopération pour maintenir la sécurité, la stabilité et la protection de la souveraineté des pays régionaux.
Le Royaume d’Arabie saoudite est un leader régional évident, un acteur politique convaincant et une économie à croissance rapide. Le pays déploie un maximum d’efforts pour éliminer l’insécurité et l’instabilité dans la région tout en établissant une zone de sécurité autour du pays afin de convertir toutes les ressources et les capacités en transformation interne conformément à l’ambitieuse Vision 2030 de l’Arabie saoudite.
Quelles sont les conséquences de la réélection d’Erdoğan en Turquie pour votre pays?
L’Ukraine considère la Turquie comme un partenaire important et vital. Nous sommes intéressés par le développement stable et cohérent du pays et par un soutien croissant à l’Ukraine. De même, nous espérons que le prochain mandat de la présidence d’Erdoğan permettra de renforcer l’alignement de la Turquie sur l’Ukraine – en résistant à l’agression russe – et sa participation au redressement de notre pays après la guerre.
Comment évaluez-vous les implications de l’intention de l’Afrique du Sud de se rapprocher des BRICS, voire de les rejoindre ? Comment cela pourrait-il influer sur les processus dans la région?
Nous suivons de près la manière dont le Royaume d’Arabie saoudite étudie et traite les options de partenariats futurs avec les BRICS. Outre la Russie, qui est ouvertement agressive à l’égard de notre pays, l’organisation comprend certains membres qui ne maintiennent pas non plus une position favorable à l’Ukraine. Par conséquent, les conclusions à tirer sur les relations du Royaume avec les BRICS dépendront de la manière dont l’Arabie saoudite va développer ses relations avec la Russie, qui commet des crimes de guerre en Ukraine, et avec les États qui n’apportent pas à l’Ukraine le soutien politique, sécuritaire et économique qui lui est dû, à mon sens, en particulier dans les circonstances actuelles. Nous pensons que les décisions politiques finales du Royaume seront prises sur la base du droit international et de son engagement, maintes fois prouvé, envers les dispositions de la Charte des Nations unies.
Quant à l’Ukraine, Votre Excellence, comment pourriez-vous décrire les relations bilatérales entre l’Ukraine et l’Arabie saoudite, en particulier à la lumière de l’agression russe de 2022 contre votre pays ?
Nous observons une synergie politique croissante entre l’Ukraine et l’Arabie saoudite, qui se manifeste de manière éloquente par l’engagement du Royaume à l’égard des résolutions clés de l’Assemblée générale de l’ONU en faveur de l’Ukraine, par un dialogue politique intensif au plus haut niveau, ainsi que par des intentions conjointes de mettre en œuvre les dispositions de la formule de paix sur la base du droit international. La position de l’Arabie saoudite est confirmée par sa contribution humanitaire sans précédent au soulagement des souffrances de la nation ukrainienne. Nos pays ont également maintenu un niveau considérable d’échanges commerciaux et ont progressé dans l’élargissement des possibilités pour les petites et moyennes entreprises ukrainiennes d’entrer sur le marché du Royaume. Nous sommes également impatients d’instaurer un partenariat efficace avec l’Arabie saoudite sur la voie du redressement économique de l’Ukraine après la guerre. Le potentiel et les capacités de l’Arabie saoudite viendront compléter de manière significative les efforts communs dans ce domaine.
Par ailleurs, l’Ukraine a aujourd’hui besoin d’une coalition solide de partenaires qui se consacreront au rétablissement de la paix et de la stabilité dans le monde entier. Cet objectif ne sera atteint que par des efforts mutuels et des actions collectives. Le régime de sanctions qui a été imposé à la Russie devrait être dûment maintenu et considérablement élargi. L’Arabie saoudite devrait s’assurer du respect des mesures restrictives introduites en réponse à l’agression de l’Ukraine par Russie et prêter l’attention nécessaire aux tentatives du Kremlin de les contourner. De même, l’OPEP+, sa plateforme et ses capacités ne devraient pas être utilisées par des régimes agressifs pour financer de nouvelles actions militaires sur le territoire d’États pacifiques. Le contexte des événements actuels constitue une base solide pour l’établissement d’une coopération à grande échelle entre l’Arabie saoudite et l’Ukraine dans le domaine de la défense. Tout en recherchant une assistance urgente en matière de sécurité, l’Ukraine est intéressée par la mise en œuvre pratique de l’accord de coopération en matière de défense récemment conclu avec le Royaume. Il faut souligner que nous avons beaucoup à offrir en termes d’expertise et d’expérience éprouvées au combat.
Les pays de la région MENA expriment souvent leur volonté d’adopter une position plus neutre et non alignée. On sait que la Russie a été proactive dans la région. Que fait votre pays pour contrebalancer cette influence?
L’Ukraine surveille et étudie méticuleusement les tendances politiques qui se manifestent et circulent dans la région. Chaque déclaration politique est soigneusement évaluée et traitée avec diligence avant qu’une action pertinente ne soit élaborée en réponse.
La participation, pour la première fois, du président ukrainien au sommet de la Ligue arabe le mois dernier est un exemple frappant de la position politique proactive de notre État. La présence de Volodymyr Zelenskyy à cet événement de haut niveau et les réunions bilatérales organisées en marge de celui-ci constituent un élément important de notre stratégie de politique étrangère, qui vise à étendre la présence géopolitique de l’Ukraine dans le Sud global, à renforcer ses relations avec le monde arabe et à attirer le soutien des États du Moyen-Orient et d’Afrique dans le contexte de la lutte contre l’agression de la Fédération de Russie à l’encontre de notre pays. L’initiative d’ouvrir de nouvelles ambassades dans la région élargie est conforme à nos objectifs et à nos ambitions dans ce domaine.
L’Ukraine dispose de leviers capables de neutraliser ce que nous considérons comme l’influence toxique de la Russie dans la région. Le premier est notre mission humanitaire qui comprend un engagement inébranlable en faveur du maintien de la sécurité alimentaire et de la stabilité au Moyen-Orient et dans les pays africains. Le deuxième élément de notre stratégie est axé sur la fourniture d’un soutien international aux pays qui supportent le fardeau de la crise ou qui sont confrontés à certaines menaces sécuritaires, en particulier au sein du forum des Nations unies ou d’autres plates-formes internationales et régionales. Le troisième levier concerne les avantages compétitifs de l’Ukraine dans de multiples sphères de la dimension économique, en étant invariablement présent pour les opportunités de coopération à venir. L’Ukraine défend l’idée de capacités égales pour tous les États, toutes les conditions étant réunies pour progresser.
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