La tension l’emporte toujours aux frontières irano-azerbaïdjanaises, après une série d’évolutions survenues l’été dernier et qui se poursuivent jusqu’à présent, tandis que les vives querelles entre les deux pays voisins s’accompagnent de manœuvres militaires et d’actions impliquant d’autres parties. Cela peut signifier que la relation entre Téhéran et Bakou pourraient se diriger vers une nouvelle escalade, avec des scénarios ouverts sur plusieurs possibilités.
Bien que le point central annoncé des causes de tension soit les relations de coopération entre l’Azerbaïdjan et Israël, et la possibilité que Tel-Aviv exploite ces relations dans sa guerre ouverte sur le dossier nucléaire iranien, les observateurs considèrent que la Turquie est l’une des causes de la récente escalade de la tension entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, en ajoutant que les manœuvres militaires conjointes effectuées avec le Pakistan en Azerbaïdjan semblent avoir provoqué Téhéran.
Nouveau front entre l’Iran et Israël
Bien que les tensions actuelles entre l’Iran et l’Azerbaïdjan se limitent à une guerre des mots et à des manœuvres militaires tout au long de leurs frontières de 700 kilomètres, les observateurs prévoient que les tensions pourraient se transformer en un conflit militaire entre les deux pays, tandis qu’un rapport de Middle East Eye estime que le la tension peut dégénérer en un conflit général.
L’Iran a commencé le 1er octobre des manœuvres militaires sur ses frontières avec l’Azerbaïdjan, les plus étendues depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991, auxquelles ont participé des unités blindées et d’artillerie, des hélicoptères et des avions sans pilote, outre des unités de guerre électronique. Il les a appelés « Fateh Khyber », en faisant référence du but de leur organisation, à savoir : faire face à tout mouvement israélien contre l’Iran à partir des territoires azerbaïdjanais.
Des analystes politiques et militaires mettent en garde contre la possibilité que les querelles se transforment en un affrontement militaire entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, dont l’impact direct touchera l’ensemble du Caucase, l’Asie centrale et certaines régions du Golfe Persique, en supposant qu’Israël mettrait en œuvre ses menaces de mener une frappe aérienne sur les installations nucléaires iraniennes, à laquelle s’impliquerait l’Azerbaïdjan.
L’analyste militaire Khalifa al-Hawazani n’exclut pas que Téhéran cible les intérêts israéliens en Azerbaïdjan, en considérant que les menaces constituent une réponse à ce qui est attribué à Israël de cibler les installations nucléaires iraniennes et de menacer les intérêts économiques iraniens par l’Azerbaïdjan.
Al-Hawazani a indiqué également que les manœuvres reflètent les inquiétudes de Téhéran suscitées par l’incursion d’Israël dans la région du Caucase et la consolidation de ses relations avec l’Azerbaïdjan, en considérant que ces manœuvres et menaces s’inscrivent dans le cadre du réarrangement des cartes de l’Iran et d’établir des stratégies après la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabakh l’année dernière.
En outre, l’analyste militaire a parlé des relations d’échanges commerciaux et l’achat d’équipements militaires entre Israël et l’Azerbaïdjan, en rappelant que ce dernier a acheté un système de missiles israélien et des drones fabriqués par la société israélienne « Elbit » pour les industries de défense et militaires. Plus tôt, , selon « Al-Hawazani », un accord était conclu entre les deux pays, à raison de un milliard de dollars par an, en contrepartie de ces transactions, du soutien et de l’aide israéliens, l’Azerbaïdjan permet à Tel-Aviv d’effectuer des entrainements de renseignement et militaire sur ses territoires sans révéler la nature de ces exercices militaires et manœuvres israéliennes.
Al-Hawazani estime que l’Iran considère l’armement de l’Azerbaïdjan par Israël comme une source de préoccupation, car le soutien et les conseils militaires d’Israël et des entreprises privées renforcent la puissance militaire de l’Azerbaïdjan et lui donnent ainsi la force d’exiger des avantages économiques et plus de ressources naturelles dont il pourrait partager avec l’Iran, ce qui menace les intérêts économiques de l’Iran en cas de différend avec l’Azerbaïdjan.
Il convient de rappeler que Téhéran, par son ministre des Affaires étrangères, Hossein Abdollahian, a mis en garde la partie azerbaïdjanaise contre le fait de permettre à une tierce partie d’agir contre l’Iran, en affirmant qu’elle sait comment défendre sa propre sécurité.
Le ministre iranien a ajouté que : « La présence des sionistes et des terroristes (en référence à Israël) est une source sérieuse de préoccupation pour nous, et nous n’accepterons pas que l’ingérence étrangère affecte nos relations avec nos voisins ».
Il est à rappeler qu’Israël a un certain nombre de bases militaires en Azerbaïdjan. La première base a été approuvée à la demande de l’ancien Premier ministre, Ehud Barak, en 2000, puis Israël a construit une deuxième base en 2003.
Les deux bases sont situées dans le sud de l’Azerbaïdjan et contiennent des aéronefs sans équipage et des systèmes d’espionnage de haute technologie dont l’Iran considère qu’ils sont déployés contre ses intérêts.
Cependant, le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères a affirmé qu’« il n’y a pas de troisièmes forces près des frontières irano-azerbaïdjanaises», en faisant allusion à Israël, sans mentionner son nom.
Les scénarios probables…
Le politologue et spécialiste des affaires iraniennes, Khaldoun Mahyoub, partage le même avis que Al-Hawzani sur la possibilité d’un affrontement militaire entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, mais il estime que l’évolution de la situation actuelle est liée à un certain nombre de scénarios, tous liés à ce que pourra faire Israël, en insistant que le point commun entre tous ces scénarios, c’est que la situation actuelle ne restera plus la même.
Le premier scénario, « selon Mahyoub », portera sur le fait que les deux pays se laissent entraîner dans un affrontement militaire en tant que résultat inéluctable d’une frappe aérienne israélienne sur les installations nucléaires iraniennes, alors que Téhéran estimé qu’il sera impossible de mener une frappe sans exploiter le territoire azerbaïdjanais comme une base fournissant le soutien logistique.
Toutefois, il convient de dire que ce scénario est exclu malgré les menaces israéliennes répétitives depuis l’an 2000 pour plusieurs raisons, dont la plus importante est qu’Israël ne peut prendre unilatéralement la décision sans le feu vert américain, selon « Mahyoub », qui juge que « même si Israël obtient l’approbation de Washington, ses propres capacités ne suffisent pas pour porter un coup décisif au projet nucléaire iranien, en raison des distances qui séparent les installations nucléaires iraniennes et leur fortification contre les éventuelles attaques.
Quant au deuxième scénario, il s’agit d’une frappe conjointe israélo-américaine dans laquelle une éventuelle riposte iranienne sera plus difficile, et « Mahyoub » s’appuie dans cette analyse sur les déclarations de hauts responsables américaines ayant menacé que l’administration de Joe Biden pourrait utiliser d’autres moyens si les voies diplomatiques ne parvenaient pas à empêcher l’Iran de posséder une arme nucléaire.
Des analystes militaires israéliens estiment qu’il est de l’intérêt d’Israël que les frappes contre les installations nucléaires soient menées sous la direction des États-Unis et sous la couverture des puissances internationales.
Mahyoub a ajouté que « le troisième scénario consiste à recourir par Israël à trois alternatives développées par le département stratégique et le troisième département de l’armée, commandées par le chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kokhavi, en janvier 2021, pour « saper les efforts nucléaires de l’Iran», en indiquant que Téhéran déterminera sa riposte en fonction de ce que fera Tel-Aviv unilatéralement ou en partenariat avec Washington.
Le Premier ministre israélien Naftali Bennett s’est engagé dimanche à empêcher l’Iran, à travers des actes, et non par des paroles, d’acquérir une capacité nucléaire, en disant que les autorités iraniennes avaient réalisé au cours des trois dernières années un pas important en avant dans l’enrichissement d’uranium, et il est aujourd’hui à un point très proche plus que jamais de posséder une bombe nucléaire.
Il est à rappeler que Bennett a considéré, dans un discours prononcé devant l’Assemblée générale des Nations Unies fin du mois dernier, que le programme nucléaire de l’Iran franchissait « toutes les lignes rouges », et il l’a accusé de chercher à dominer le Moyen-Orient, en créant un parapluie nucléaire sur la région, en soulignant que son pays ne permettra pas à Téhéran d’acquérir des armes nucléaires.
Colère iranienne contre l’expansion turque
Parallèlement à la mobilisation et aux exercices militaires inattendus menés par l’armée iranienne aux frontières avec l’Azerbaïdjan, et à la colère de Bakou contre l’escalade iranienne, le ministère turc de la Défense a annoncé l’organisation de manœuvres militaires conjointes avec l’Azerbaïdjan dans la région de Nakhitchevan près des frontières avec l’Iran, la plus récente manifestation de la crise croissante entre les trois pays.
Dans une évolution considérée par les observateurs comme étant la plus importante, le ministère turc de la Défense a annoncé qu’il continuera à travailler avec l’Azerbaïdjan « afin de soutenir l’armée azerbaïdjanaise », en ajoutant que : « nous continuerons à se tenir aux côtés de nos frères et sœurs dans L’Azerbaïdjan, que nous partageons avec eux la tristesse et la joie, avec tous nos moyens comme nous l’avons fait jusqu’à maintenant ».
Par ailleurs, les différents médias turcs ont abordé les informations des manœuvres iraniennes en tant que des messages de menace pour l’Azerbaïdjan, et des journaux turcs ont écrit des titres tels que « L’Iran joue avec le feu », « L’Iran fait des pas d’escalade dangereux » et « L’Iran fait des pas provocateurs inattendus ».
Le journaliste turc, « Yilmaz Ozrel », a insisté sur le fait que la tension iranienne avec l’Azerbaïdjan est survenue en raison de la colère persistante de Téhéran jusqu’à présent causée par « victoire turco-azérie » au Haut-Karabakh, et la crainte d’une montée de l’influence turque en Asie, en considérant que l’Iran est en colère contre l’influence croissante d’Ankara en Azerbaïdjan et dans le Caucase en général. Et il est de même contrarié à cause des résultats de la guerre du Haut-Karabakh, qui permettra bientôt l’ouverture d’un passage direct pour le commerce de la Turquie vers l’Azerbaïdjan et de là vers l’Asie. Cela fera diminuer l’importance de l’Iran par pour la Turquie. Par conséquent, il subira des pertes économiques en raison du changement attendu au niveau des lignes commerciales turques vers l’Asie.
Commentant les allusions de l’Iran selon lesquelles la principale raison de la colère de Téhéran envers Bakou est la relation croissante avec Israël, Ozrel a dit que les estimations azerbaïdjanaises et turques indiquent qu’il s’agit de la pure « propagande » à travers laquelle l’Iran essaie de dissimuler sa colère croissante face aux réalités imposées par la victoire au Haut-Karabakh et les changements géopolitiques vitaux qui en ont résulté au niveau de la zone frontalière entre l’Iran, la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Il est à noter que la Turquie a soutenu l’Azerbaïdjan il y a un an, dans sa bataille pour libérer la région du Haut-Karabakh, et après des combats acharnés ayant duré 44 jours, la Russie a annoncé le 10 novembre 2020 que l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont conclu un accord de cessez-le-feu, stipulant que Bakou reprend le contrôle des provinces occupées. Cela a permis l’ouverture d’un passage direct entre la Turquie et l’Azerbaïdjan qui traverse la région de Nakhitchevan, alors que l’Iran était pendant des décennies un passage obligatoire pour la Turquie pour atteindre l’Azerbaïdjan.
Outre les raisons économiques et géopolitiques, le journaliste turc évoque la peur iranienne à cause principalement de la tendance séparatiste croissante des Iraniens d’origine azérie, dont le nombre est estimé à 25% de la population, et ils habitent dans la zone frontalière avec l’Azerbaïdjan, où Téhéran accuse la Turquie et l’Azerbaïdjan d’attiser chez eux cette tendance séparatiste.
On rappelle aussi qu’une crise diplomatique a éclaté il y a environ un an entre Ankara et Téhéran à cause des vers de poésie récités par Erdogan considérés comme une incitation aux Iraniens d’origine azérie à se séparer de l’Iran.