Nous avons rencontré Harold Hyman, journaliste franco-américain, travaillant dans la presse française, pour discuter du Moyen-Orient, des États-Unis et de la France. Il travaille à CNews et couvre les dossiers internationaux. L’entretien a été mené par Denys Kolesnyk, consultant et analyste basé à Paris.
On observe la dégradation de la situation sécuritaire un peu partout dans le monde depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Nous pouvons évoquer le conflit entre le Hamas et Israël, la perturbation de la navigation maritime dans la mer Rouge et le golfe d’Aden par les Houthis au Yémen, la rhétorique chinoise durcie à l’égard de Taïwan, et on peut également mentionner l’Iran, le Pakistan, etc. Comment expliquez-vous l’émergence de tous ces conflits qui s’enchaînent ?
À la fin de la guerre froide et depuis la guerre d’Irak, on espérait que l’ordre international tiendrait. Cependant, il y a énormément de pression sur la digue et maintenant ça commence à sauter. Petit bout par petit bout, la digue commence à se craqueler de partout et même en certains endroits à se briser. Bien sûr, une fois que ça brise, c’est toute la digue qui est emportée, mais on n’en est pas tout à fait encore à ce point-là.
Autrement dit, une guerre s’emboîtant dans l’autre, les Américains en Irak, la montée de Daesh, Daesh et Al-Qaïda ont fait actionner l’arc chiite, qui a donné lieu à des combats énormes avec une ampleur internationale. Et tout ceci avance, et toutes les pièces de ce qui était contenu commencent à avancer, se débloquer. Donc, même si les guerres ne sont pas liées idéologiquement, elles sont liées géopolitiquement.
Bien sûr, il fallait la partie idéologique pour que l’on s’organise sur quelques lignes, on cherche les bons alliés. Mais, pour moi, il s’agit d’une guerre géopolitique et idéologique en même temps. Et peut-être avons-nous sous-estimé la partie idéologique. Donc, qu’est-ce qui se rajoute à la guerre entre la Russie et l’Ukraine ?
Bien sûr, les Houthis, mais les Houthis, c’est le cinquième pas après. La Chine regarde et se dit que, comme ça se passe avec l’Ukraine, ça peut se passer avec Taïwan. L’Ukraine devait être défendue, mais pas par l’article 5 du traité de Washington, et Taïwan est censée être défendue, mais pas par un traité international, seulement une législation interne américaine.
Donc, il y avait toutes les façons de se dérouter, tant en Ukraine qu’à Taïwan, pour les États-Unis et pour l’OTAN dans le cas de l’Ukraine. Et tout cela donne des ailes à la Chine et certainement beaucoup d’ailes à la Russie, tout en excitant l’arc pro-iranien qui est essentiellement chiite, avec de singulières exceptions comme le Hamas.
C’est évident que si la Russie démantèle l’Ukraine, le signal est donné pour Taïwan. C’est aussi un signal pour l’Iran d’entrer physiquement en guerre, envoyer des divisions et des divisions en Syrie et attaquer le Golan ou quelque chose en ce genre. Et quant aux Houthis, eux, ils sont en bout de chaîne pour l’arc iranien, et donc ils ont trouvé le moyen d’embêter tout le monde en bloquant la navigation, ce qui n’était pas vraiment prévu au départ. D’ailleurs, l’Arabie saoudite était censée les avoir contenus, mais cela ne s’est pas passé, l’armée saoudienne et émiratie, armées par la France et par les États-Unis, n’ont pas pu mettre à genoux les Houthis, et eux maintenant sont entrés dans la guerre autour de Gaza et d’Israël. Et étant donné que les Houthis font partie de l’arc iranien, on peut parler, à ce stade, de la dernière répercussion de ce qui s’est passé en Ukraine.
En parlant des répercussions, tout récemment l’Iran a effectué des frappes à proximité, ce qu’ils disent, des installations américaines à Erbil, au nord de l’Irak, donc au Kurdistan. Est-ce que l’on peut parler que cette attaque iranienne est une riposte aux frappes américano-britanniques contre les Houthis au Yémen ? Et que cela signifie pour l’Iran ?
On commence à attaquer des zones qui étaient considérées comme intouchables. Donc pour que la République islamique d’Iran tire directement sur Erbil, ce n’était pas vraiment considéré comme normal auparavant.
Autrement dit, on transgresse des lignes imaginaires que chacun s’est établi de manière empirique. Cela veut dire qu’un pays A et un pays B, qui sont ennemis, se disent on ne passera pas telle ligne, vous ne tirerez pas plus loin que, et pas plus fortement que des frappes chirurgicales ponctuelles. Mais le régime iranien a outrepassé cette ligne. Ils sont allé frapper à Erbil.
Alors là on tombe sur l’Irak qui est peut-être le pays le plus compliqué de tout le Moyen-Orient avec la Syrie, parce qu’on ne sait plus qui est qui. Par exemple, il y a Daesh, il y a les troupes régulières irakiennes, il y a des milices pro-iraniennes. puis il y a tout le nord Kurdistan qui lui-même est dans une autre logique avec ses propres forces armées. Bien sûr il y a les Américains et dans une très moindre mesure d’autres Européens, dont les Français.
Il est très facile de trouver une cible et donc le régime iranien a tapé sur Erbil, sans taper sur l’Irak au sens strict, qui est sans le Kurdistan, qui est une zone autonome quasi indépendante. Ils Le régime a tapé distinctement sur les Américains, donc ce n’est pas une agression directe contre l’Irak. Donc l’Irak a pu se contenter d’une riposte verbale. Ses autorités, son président, son premier ministre ont vite dénoncé en public le régime iranien, mais en fait ils sont tellement proches de ce régime iranien, que c’est le maximum qu’ils pouvaient faire.
Donc c’était pour viser les Américains. Mais qu’est-ce que ça fait à la position américaine ?
Parce qu’un tir du régime iranien sur Erbil, ça n’a rien à voir avec un tir des Houthis en mer Rouge. En mer Rouge, ils peuvent bloquer une partie du commerce international. Et c’est une provocation contre Israël aussi, qui dépend de la voie de la mer Rouge et du port israélien d’Eilat. Donc l’ampleur était beaucoup plus petite, mais le symbole était beaucoup plus fort. Les Houthis, après tout, tirent dans les zones internationales. L’Iran a tiré sur un pays souverain, directement, et depuis chez lui. Donc encore une fois, on a juste franchi un pas de plus.
Alors qu’est-ce qu’ils imaginent à Teheran ? Peut-être que demain, ils vont attaquer directement le quartier général américain en Irak, proprement dit, tirer peut-être sur les Français aussi. Mais s’ils font ça, quelle sera la réponse ? Donc on se teste dans la provocation. C’est une escalade de tests en quelque sorte.
On n’est pas dans la ruée des Mongols, on est dans une escalade de tests chirurgicales et scientifiques. Et suivant la réponse, on se dit « bon, on peut aller plus loin » ou « on ne doit pas aller plus loin ». Donc on reproduit la même chose ailleurs, ou bien on fait en plus petit, ou bien on se retient pendant deux mois. Voilà le genre de décision auxquelles fait face le régime iranien tous les jours.
Et les Américains ont le même problème puisqu’ils doivent eux aussi calculer quelle est l’ampleur de leur riposte. Sinon, ils peuvent bloquer le golfe Persique à tout bateau iranien. Mais là, ça devient compliqué parce qu’il y a tous les alliés golfiques qui sont dans la même zone. Donc comment on filtre ? C’est très difficile.
Alors que pour les Houthis, tout le monde est leur ennemi. L’Égypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, Israël, etc. Donc ils peuvent tirer sur n’importe qui, c’est banco pour eux.
Mais en revenant au golfe Persique, on ne peut pas. On va bloquer les Émirats, on va bloquer le Koweït, on va bloquer du pétrole. On ne peut pas le faire avec la même désinvolture. Donc la république islamique d’Iran a un avantage géopolitique là, au sens classique du terme, et l’utilise.
Mais la « riposte américaine », il n’y en avait pas. Est-ce que cela signifie que les Iraniens vont tester de nouveau, c’est-à-dire augmenter un peu l’escalade des tests, comme vous venez de le dire ?
Sûrement. Alors, ce n’est pas exclu qu’ils ont tiré sur quelqu’un qui les gênait. Ce n’était pas nécessairement un tir en l’air. Mais les Américains ne répondant pas, peut-être, j’imagine que pour eux c’est une façon d’éviter l’escalade. Mais Washington est dans cette logique d’éviter l’escalade qui peut-être, au final, produit une escalade, parce que l’on permet à l’autre de continuer les tests.
Par conséquent, les États-Unis bombardent de nouveau le Yémen et même en Syrie. Mais directement dans le ciel libanais, ça serait un peu nouveau. Ils pourraient. Ils préfèrent ça. En fait, il y a deux règles pour les Américains, ne pas bombarder le Hamas et si possible éviter le Hezbollah.
Parce que là, ils passeraient pour des ennemis du monde arabe. Non pas qu’ils manquent d’ennemis dans le monde arabe qui considèrent qu’ils sont redevenus le « grand Satan », mais parce que pour ces Arabes eux-mêmes ont une ligne rouge: ne pas attaquer directement des Arabes. Si les Américains frappent le Hamas, ils n’auront plus de légitimité symbolique face à Mahmoud Abbas ni personne. Donc, ils peuvent uniquement frapper sur l’arc pro-iranien, ce qu’on appelle l’arc chiite.
Je me demande ce qu’attendent les Américains, mais il y a quand même encore ce vague espoir qu’en évitant l’escalade pendant peut-être six mois, on peut caser un deal sur Gaza. Si on fait l’escalade aujourd’hui, il y a un double risque. Soit cela fait peur à Téhéran qui retire et commence à négocier tout de suite pour le Hamas, ou bien cela énerve Téhéran et là, il n’y a pas de deal sur le Hamas. Donc, aux États-Unis, on ne sait pas et c’est là que les facteurs internes commencent à jouer.
Alors, justement, la politique américaine. On considère que l’administration Biden s’est montrée peu déterminée en ce qui concerne d’assurer la victoire ukrainienne dans la guerre imposée par les Russes. Certains spécialistes et analystes américains ne sont pas contents de la réaction et la détermination américaine concernant le Moyen-Orient. Donc, comment vous pouvez caractériser la politique américaine envers la région, donc déjà Moyen-Orient et en général envers les États voyous sous l’administration Biden? Et puis, à votre point de vue personnel, comment est-ce que vous pouvez analyser la politique de Washington sous possible présidence Trump?
Alors, moi, j’appellerais ça la séquence politique intra-américaine, parce que Biden a deux problèmes. Dans son parti démocrate, il y a une aile pro-palestinienne et en face de lui, chez les républicains, il y a une aile pro-russe.
Donc, comment trouver un consensus? Les républicains eux-mêmes se battent entre eux, les démocrates peut-être un peu moins, car le sentiment pro-palestinien monte inexorablement. On ne peut pas demander à des démocrates de trouver que les bombardements de civils, même s’ils ont une logique militaire, soient acceptables. Ils ne peuvent pas le digérer, même s’ils se retiennent de le dire.
Chez les républicains, Poutine a toujours été un gars bien, mais l’Ukraine aussi, c’était un pays qu’il fallait protéger. Donc, ceux qui sont plus enragés pour le nouvel agenda de MAGA et d’une Amérique débridée à l’intérieur comme à l’ extérieur, eux, ils sont pro-russes, parce qu’ils aiment bien le côté « dépassons les entraves de la loi et des traditions constitutionnelles » et on frappe directement dans la société ceux qu’on n’aime pas, les gays, le droit des Noirs, les syndicats, enfin tout ce qu’on veut. Donc, toutes ces tensions pèsent sur Biden.
Les républicains paralysent le budget, en partie parce que les pro-russes républicains commencent à prendre tout le parti en otage. Et en face, chez les démocrates, Biden n’a qu’un nombre de jours déterminés avant qu’il y ait une scission dans son parti. Et les scissions dans les partis signifient des défaites électorales sûres. Donc, il doit composer avec ça.
Par conséquent, lui s’engage personnellement, il a une idéologie très claire, c’est la force plus le droit, plus les droits de l’homme dans la mesure du possible, plus les intérêts américains, plus l’économie libre, et tout cela fait un cocktail que des millions d’Américains comprennent sans même qu’on le leur explique.
Donc, il campe sur cette ligne, il est pro-Israël mais avec beaucoup de doute, et il est pro-Ukraine mais avec beaucoup de contraintes. Il navigue dans l’intérêt de l’Ukraine de manière serrée, et c’est difficile pour lui, car s’il est trop anti-Israël, là, les Républicains vont s’aligner de plus en plus sur leur aile pro-russe. En revanche, s’il est trop pro-ukrainien et il se fiche de Gaza, là, il va vers une scission.
Mais je dirais que la scission est moins imminente que la pression républicaine, donc il a le temps de rester sur sa ligne pro-ukrainienne quelques petites semaines de plus, suffisantes pour trouver un règlement accéléré de la guerre Israël-Hamas. Il va promettre la lune à Israël, sauf une chose, Israël ne pourra pas expulser la population. Netanyahu fera un cessez-le-feu, Biden et ses alliés européens et golfiques institueront une espèce d’autorité palestinienne.
On espère que le camp des pays arabes pragmatiques des accords d’Abraham reviendra vers Israël et les États-Unis, et que l’Arabie saoudite s’y associera, qu’on fera un deal pour les Palestiniens qui sauve la face à tout le monde, et cette éventualité laissera à Biden le temps de se retourner contre les Républicains sur l’Ukraine.
Les Républicains devront tous accepter cela le deal palestinien, même s’il y en a qui jouent la surenchère pro-Israël, comme Mike Pence qui va signer des missiles de l’armée israélienne de son propre nom, des choses qui sont de la provocation classique, mais ça existe dans les guerres, les movie stars qui signent des bombes, « bon baisers à Hitler », ce genre de choses.
Donc voilà, il doit régler le Hamas d’abord, et ensuite il peut pleinement venir au secours de l’Ukraine. Je pense que c’est pour ça qu’Anthony Blinken fait une grimace permanente, parce qu’il doit composer cette espèce de numéro de grand équilibriste. Il a l’air fatigué et il a l’air perplexe, mais sans faux pas pour l’instant. Il voit la lumière au bout du tunnel.
Est-ce qu’ils iront assez vite ? Je l’ignore. Moi je trouve qu’ils sont un tout petit peu lents. Cependant, plus on attend, plus les Israéliens gagnent sur le terrain. Les Israéliens avaient arrêté de parler d’expulsion massive de la population, puis c’est malencontreusement revenu sur le tapis avec une conférence provocatrice d’Itamar Ben Gvir ministre de l’intérieur.
Quelle est la politique étrangère américaine envers la région Moyen-Orient, sous l’administration Biden ?
En interne, les Juifs aux États-Unis sont très identifiés avec le parti démocrate. C’est cela que les Français semblent ignorer, car ils pensent que parce que Trump fait la cour à Israël et dit des choses super pro-israéliennes, les Juifs sont devenus républicains, mais ce n’est pas la tradition. Cela n’a pas marché sous George W. Bush. Donc Biden doit écouter l’électorat juif, voir comment il se manifeste. L’électorat, plus l’influence intellectuelle et plus l’influence pécuniaire pour financer les élections, Biden soupèse tout ça.
Mais franchement, les évangéliques et les surclassent ce qu’on peut imaginer comme l’argent juif. Ils sont beaucoup plus forts, beaucoup plus riches.
Ensuite, démographiquement toujours, il y a plus de musulmans que de juifs maintenant aux États-Unis. Ils sont concentrés dans le Michigan notamment. Donc s’il veut perdre le Michigan, il peut continuer à être super pro-israélien, ce qu’il n’est pas entièrement. Et là, il va perdre le Michigan. Donc ça, c’est impossible, car cet État est trop gros, trop de voix.
Et si on regarde qui est dans les entourages des présidents maintenant, moi, j’ai remarqué un nouveau facteur, c’est les Indiens qui commencent à monter dans tous les postes clés, les gens d’origine indienne. On voit ça avec Vivek Ramaswamy, on voit ça avec Nikki Haley, on voit ça avec le porte-parole de la Maison-Blanche, enfin, il y a une série d’indicateurs. Donc, je dirais que démographiquement, Biden est tiré vers les Palestiniens. C’est peut-être le dernier démocrate qui sera aussi sioniste.
Après, dans le domaine géopolitique, c’est la même chose. On s’accommode des régimes qui sont pragmatiques. On s’est lavé les mains de l’agenda démocratisant d’Obama.
On ne va pas retourner au Caire, à l’université à d’al-Azhar, et dire aux étudiants qu’ils devraient donner une fessée à leur président [Moubarak à l’époque] qui ne respecte pas les droits de l’homme. Cela ne va pas se reproduire.
Donc, il va maintenir les relations avec l’Égypte, l’Arabie Saoudite, c’est le pétrole. Pas besoin de parler du pétrole, on sait ce que c’est. Les Émirats, le Koweït, l’Irak. Mais à part ça, on fait de l’immobilisme. Il ne faut pas perdre la Turquie, même si la Turquie est un enfant de plus en plus mal élevé qu’on ne peut pas renier. Il faut attendre qu’Erdogan s’en aille, et il s’en ira après Biden. Donc, les Turcs ont gagné à Washington, et ils ont un lobby immense. Peut-être le plus gros lobby international qui soit à Washington est turc.
Il y a aussi les rapprochements turco-iraniens, mais cela ne sert strictement à rien. Parce que les Gardes Révolutionnaires sont en Syrie où ils se battent pratiquement contre ceux qui sont armés par les Turcs. Plus personne n’est loyal à personne. Il va garder la Turquie. Il va laisser 850 soldats américains vivoter en Syrie. Il veut stabiliser et non vaincre.
Avec Israël, il n’y a pas de problème. La Jordanie, par contre, ne doit pas connaître une révolution. Donc, on soutient par tous les moyens le roi Abdallah II. L’Arabie saoudite, on a complètement excusé l’assassinat d’Adnan Khashoggi par les sbires du prince. On n’en parle même plus alors que Biden était publiquement outré à l’époque.
Et l’Egypte, elle se tient tranquille. Elle réprime tout. On a un pharaon au pouvoir. C’est même le mot qu’utilisent nombre d’égyptiens. Il y a une espèce de stabilité égyptienne qui est un couvercle sur une cocotte minute sociale.
Donc, voilà ce qu’il a tout autour dans le Moyen-Orient. Si on englobe le Maghreb, on n’a pas de problème spécial. On est très proche du Maroc maintenant. Mais curieusement, l’Algérie aime les États-Unis aussi. Alors que Donald Trump a dit â ces collaborateurs au sujet du Royaume, « Give them the Western Sahara, they deserve it », parce qu’ils ont signé les accords d’Abraham.
Pour moi, les Américains pourraient faire deux choses, condamner Israël, mais ça n’arrivera pas, et deuxièmement, mettre une méga pression sur la Turquie. Ils ont trop peur de perdre la Turquie pour l’OTAN, et que la Turquie déstabilise encore plus. Donc ils ne le feront pas non plus.
D’accord. Parlons maintenant de la France, qui fut un acteur important au Moyen-Orient. Mais Paris est de moins en moins visible, même s’il y a eu quelques campagnes de relations publiques par rapport à la guerre entre le Hamas et l’Israël. Mais comment est-ce que la France pourrait participer dans la région afin de désamorcer la situation sécuritaire ? Et quelle pourrait être la politique, ou quelle devrait être la politique, selon vous, de la France ?
Alors permettez-moi de contredire un de vos présupposés. Je pense que cela fait très longtemps, depuis 1967, et certainement depuis le début des années 1980 avec le Liban, que la France n’a plus de puissance projetable au Moyen-Orient. Elle n’a même pas d’États clients.
Quand elle a lâché Israël, parce que De Gaulle voulait faire je ne sais pas quoi avec sa politique arabe, elle a perdu la main. On ne s’est pas mis dans la poche, ou en bons termes, l’Égypte, ni la Syrie, ni la Turquie. Donc on a perdu le seul pays qu’on avait fortement aidé, plus fortement que ne l’avaient fai les Américains, et c’est Israël.
Au début des années 80, les Libanais phalangistes, chrétiens, pouvaient s’attendre à une intervention française, et on n’a eu que des posturations droits de l’hommiste, tièdes et inefficaces, avec l’assassinat du Drakkar, la même chose pour les Américains, leur assassinat à eux, et puis tout le monde a quitté le Liban, la queue entre les jambes, enfin on ne pouvait pas faire pire.
La France n’est plus une vraie puissance au Proche-Orient, mais elle est un État facilitateur. Les États-Unis sont un empire qui perd les pédales, la France un facilitateur qui est suffisamment faible pour qu’on lui fasse confiance.
Et donc, ils ne vendent pas vraiment d’armes à Israël, ils donnent des armes à la petite armée libanaise qui n’ose pas s’en servir, sauf contre Al-Qaïda et Daesh, mais jamais contre Hezbollah.
Tout ce qui pouvait naître avec la Syrie, on l’a étouffé parce que c’était ça, l’espoir, c’était la Syrie dans les années 1990 et début 2000, mais on n’a pas aimé la répression de Bachar Al-Assad, c’était beaucoup trop violent. Donc on l’a lâché, mais regardez l’effet, tout le monde a tué et on continue de tuer encore. Donc on a lâché ça, donc on n’est plus même facilitateur concernant Bachar al-Assad.
Alors on a un petit rôle avec quelques pays du golfe, dont les Émirats, parce que les Émirats sont beaucoup moins duplices dans notre perception que le Qatar. On n’a pas besoin d’expliquer que les Émirats ne pratiquent pas de duplicité contre la France, alors que pour le Qatar, ils faut constamment l’expliquer.
Et paradoxalement, il restait l’Égypte, et l’Égypte pour être un petit peu détachée des États-Unis, se montrer moins fallote, et aussi pour punir les États-Unis du discours d’Obama à Al-Azhar, et tout ce qui s’en est suivi, le soutien américain à Morsi, le gouvernement frère musulman qui a duré à peine deux ans,et bien ils ont choisi la France. Et la France, elle combat l’islam, politique, et cela leur fait plaisir.
Pour résumer: la France a l’Égypte, quelques pays du Golfe, un tout petit peu l’Arabie Saoudite. Avec la Turquie, il n’y a rien. Le Liban, c’est une coquille vide ou un trou sans fond. La Syrie, c’est « out ». On essaye d’avoir une présence en Irak, mais on n’est rien à côté des Américains, on n’a qu’un petit ticket d’entrée dans le théâtre. Et c’est tout.
Donc, on est à peu près respecté, parce que se rapprocher de la France est une façon de parler à l’Occident sans parler aux États-Unis. Et on a une connaissance, on croit qu’on a une connaissance, mais on a paradoxalement une connaissance qui s’accroît avec Israël, parce qu’avant il y avait les Russes à tous les coins de rue, maintenant c’est les francophones à tous les coins de rue à Tel Aviv, à Jérusalem.
On a encore l’oreille libanaise, on n’a plus l’oreille palestinienne, c’est fini. Quand j’étais là-bas en octobre, les Palestiniens disaient, j’ai eu 3 ou 4 conversations, mais c’est toujours pareil. La France c’est fini. On vous aime encore, mais vous êtes fini, vous avez rejoint votre patron à Washington. Macron, c’est le petit chien-chien de Biden.
Alors qu’on va à Washington, et c’est qui ce Macron, qu’est-ce qu’il fait ? Il ne nous écoute pas, il fait ce qu’il veut, il va à contre-courant. Voilà la perception.
Récemment, il y a eu la législation migratoire, qui a été adoptée en France. Sachant qu’on a quand même des communautés musulmanes et nord-africaines assez nombreuses, et qui soutiennent bien évidemment la cause palestinienne, et il y en a eu aussi une partie qui soutien le Hamas – l’organisation que la France ainsi que le monde considère comme terroriste. Et donc, comment est-ce que cette nouvelle législation pourrait influencer les relations avec le Maghreb ?
Il ne faut pas confondre migration et islam. Je parle politiquement, et diplomatiquement. Sociologiquement et idéologiquement, c’est une autre affaire et je n’y touche pas.
Donc politiquement, il est très facile pour la diplomatie française d’expliquer à celle du Maroc, qui au moins nous écoute, et un peu à celle de l’Algérie, qui ne nous écoute pas mais qui nous comprend, que ce n’était pas fait pour, je dirais, humilier l’islam. Que c’est une question d’équilibre démographique.
Et eux comprennent cette logique parce que le Maroc et l’Algérie subissent les migrants du Sahel et d’Afrique subsaharienne qui montent vers l’Europe, mais en route s’installent souvent au Maroc et en Algérie. Donc, au Maghreb il y a le phénomène de villages et de campements de migrants. Et ces régimes sont moins tendres que nous.
Par conséquent, ils acceptent le principe de blocage de ces gens-là. Ils aiment moins qu’on bloque leurs ressortissants, ça c’est juste un orgueil passager, mais en fait ils le comprennent, parce que quand vous avez des migrants qui viennent du Rif au Maroc, ce n’est pas une zone cotée dans le système marocain. Et en plus, les mineurs non accompagnés peuvent être orphelins, sachant qu’un orphelin du Rif est socialement discriminé.
Le cynisme est en marche: ces sociétés maghrébines, qui parfois sévissent contre les clandestins, ne semblent pas malheureux de les voir arriver en Europe. Ensuite ces personnes souvent sans papiers sont difficiles à expulser, car l’administration française traîne, et les consulats délivrent les laisser-passer à contre-cœur. Mais ça n’a pas secoué les relations. Ce qui fait mal, ce sont les restrictions que la France a placées sur la délivrance de visa depuis les consulats français au Maroc.
Et pour l’Algérie aussi, il y a eu une espèce de quasi indifférence, y compris sur l’accord de 1968 entre l’Algérie et la France, qui donnait automatiquement environ 38000 visas à des Algériens par an, sans critères. C’était un codicille aux accords d’Evian et dans la pratique cela voulait dire que ces gens-là allaient ensuite chercher une épouse ou de la famille dans le pays d’origine, donc ça revenait à doubler les entrées.
C’est-à-dire qu’il y a une espèce de société franco-algérienne qui se maintient en France, qui n’est pas vraiment liée à la nation française, mais qui vit en expatriés.
Ce qui pourrait gêner davantage dans le dossier de l’immigration, ce sont les lois sur la laïcité. Je crois que pour la Malaisie, notre loi sur l’immigration, ils ont trois fois plus stricts. Il y a peu de clandestins en Malaisie. Et au Pakistan, le gouvernement fédéral a expulsé un million et demi d’Afghans il y a quelques mois!
Donc, l’immigration ne dérange pas. La laïcité, en revanche, est un problème. Et particulièrement, pour le Machrek et l’Asie musulmane.
Le gros problème au Maghreb est le Sahara Occidental. La France joue dans les deux sens, toujours une »puissance d’intermediation ». C’est juridiquement correct, mais très inefficace puisque la France est vue comme une puissance agissante et capable. La France a accepté le plan de l’ONU sur le Sahara Occidental, donc elle n’y reconnaît pas encore la pleine souveraineté marocaine. L’Algérie n’en remercie point la France, mais le Maroc fulmine.
Et il y a une espèce de référendum qui se balade là-dedans, qui devrait être appliqué par l’ONU. C’est toujours la formule de l’ONU. C’est la même formule pour Jérusalem-Est, c’est la même formule pour le Cachemire. On fait des régimes qui sont impossibles à appliquer. Même en temps de paix, ça serait difficile, mais on dit, allez, un petit référendum au Cachemire, mais il y a un million de Cachemiris qui sont partis. Au Sahara occidental, il y a une dizaine de milliers de Sahraouis qui vivent à Tindouf en Algérie. Et puis il y a des nouveaux arrivés, je n’ose pas dire colons marocains, qui arrivent et vous allez compter qui, ça va faire les listes électorales, ça va être une guerre en elle-même.
Donc, la France est un peu punie pour ne pas avoir immédiatement accepté tout ce que voulait le Maroc, à partir du moment où Donald Trump l’a fait. Avant que Donald Trump le fasse, ça n’allait pas forcément si mal.
Donc, on a fait une erreur qu’on a comprise il y a trois, quatre mois. Et depuis le tremblement de terre, juste avant le tremblement de terre, à Marrakech, on était sur le point de dépasser la fâcherie franco-marocaine. Et là, le roi du Maroc nous a un petit peu ignorés, pour ne pas dire méprisés.
Mais la relation s’améliorera avec le voyage attendu de Macron au Maroc. Là, on aura de la grosse réparation. Et la loi sur l’immigration semblent être comprise au Maroc. Je ne sais pas comment Rabat a réagi au fait qu’on ait quasiment interdit l’islam consulaire. Cela m’a étonné.
Et parfois, je me demande si le gouvernement français a relié les dossiers, car pour le Maroc, la France c’est tous ces dossiers à la fois. J’ai l’impression que notre diplomatie mes les dossiers dans des tubes et traite un tube sans regarder l’autre. Ce n’est pas un gouvernement qui débat beaucoup en interne. La Ve république a créé un système impérial, des dieux de second ordre autour du « Jupiter » présidentiel qui heureusement a beaucoup de talent diplomatique. Mais je n’ai pas l’impression que c’est un gouvernement où il y a de l’interaction, où on peut vraiment discuter de ces dossiers.
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