Robert Czulda, professeur assistant à l’université de Lodz (Pologne)
L’effondrement du régime de longue date de Bachar al-Assad, et avec lui de la République arabe syrienne, a été considéré par de nombreux commentateurs comme un développement positif. En réalité, si plusieurs avantages peuvent être identifiés, il est impossible d’ignorer les dangers qui y sont associés.
Bachar al-Assad, qui dirigeait la Syrie depuis 2000, était sans aucun doute un dictateur brutal et impitoyable. Il ne fait aucun doute que, même avant le printemps arabe, il violait fréquemment les droits de l’homme. Pendant la guerre civile, l’armée syrienne a commis des crimes de guerre, notamment des actes de torture et des exécutions d’opposants au régime. De ce point de vue, il est difficile de sympathiser avec le dictateur qui s’est exilé. On ne peut que regretter qu’il ne sera probablement jamais traduit devant un tribunal international et que sa famille vivra dans le luxe grâce aux richesses volées au peuple syrien.
Du point de vue occidental, l’échec d’un allié clé de la Russie et de l’Iran – deux pays qui s’opposent ouvertement à l’ordre international actuel – est avantageux. Un exemple notable de leur position conflictuelle est leur coopération active dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine.
En ce qui concerne l’Iran, l’échec en Syrie est à la fois indéniable et significatif. Il y a quelques années à peine, lorsque Téhéran, aux côtés de la Russie, soutenait activement Assad, l’Iran promouvait une vision du démantèlement de l’ordre régional et de la formation d’une force chiite de 150 000 hommes pour combattre « l’arrogance mondiale » sous l’égide des États-Unis. À l’époque, les Iraniens qualifiaient la Syrie de « 35e province de l’Iran » et divers médias mettaient en garde contre l’influence sans précédent de l’Iran dans quatre capitales régionales : Damas (Syrie), Beyrouth (Liban), Bagdad (Irak) et Sanaa (Yémen). L’Iran a investi des dizaines de milliards de dollars en Syrie, et de nombreux soldats, tant iraniens que volontaires chiites de toute la région, ont perdu la vie ou la santé dans la guerre.
Aujourd’hui, l’Iran assiste, impuissant, au pillage de son ambassade à Damas. Les décideurs de Téhéran ont toutes les raisons de craindre que l’Iran soit désormais sur la défensive et perde sa réputation dans le monde musulman et dans ce que l’on appelle la « rue arabe ». Jusqu’à récemment, l’Iran se présentait comme un défenseur efficace de la cause musulmane et des opprimés. Cependant, le Hamas et le Hezbollah, éléments clés de l’axe de résistance iranien, ont été considérablement affaiblis. Il n’est pas improbable qu’Israël cherche maintenant à exploiter cette opportunité pour augmenter la pression directe sur la République islamique. À plus long terme, l’Iran pourrait également être confronté à une recrudescence des activités djihadistes, qui ont déjà donné lieu à plusieurs attentats ces dernières années. Sur le plan intérieur, il faut s’attendre à une répression accrue, le régime se sentant plus que jamais menacé.
La chute d’Assad en Syrie est également un coup dur pour la Russie qui, comme l’Iran, s’est engagée militairement et a investi massivement pour renforcer sa position en Syrie. C’est l’influence de la Russie en Syrie qui l’a récemment rapprochée d’Israël, qui cherchait à établir des liens étroits avec le Kremlin pour répondre à ses besoins en matière de sécurité. Aujourd’hui, l’importance de la Russie aux yeux d’Israël a encore diminué.
Pour la Russie, les pertes ne sont pas seulement liées à sa réputation, elles sont aussi très concrètes. Les installations militaires en Syrie, en particulier la base aérienne de Khmeimim au sud-est de Lattaquié, sont cruciales pour les opérations de la Russie en Afrique. Ces dernières années, le « front africain », y compris les opérations au Sahel, est devenu essentiel pour la Russie dans la construction de son influence régionale et de son impact sur l’Europe (les vagues de migrants en provenance d’Afrique ont longtemps été inspirées et coordonnées par les Russes). En Afrique, la Russie a effectivement sapé la position de la France (son retrait du Sahel en est le meilleur exemple). De plus, l’Afrique est vitale pour la Russie et en particulier pour le groupe Wagner pour des raisons financières, car ils ont obtenu des contrats miniers dans divers pays africains.
Si la Russie perd l’accès à la base aérienne de Khmeimim, son réseau logistique reliant la Russie à ses bases avancées en Afrique sera interrompu. La base aérienne de Khmeimim est un point de transit essentiel et, sans elle, l’approvisionnement des bases et l’exportation des ressources à partir de l’Afrique deviendront beaucoup plus difficiles. La perte de la base navale de Tartous, d’autre part, signifierait que la Russie ne dispose plus d’installations permanentes en Méditerranée. Toute opération dans la région devrait alors s’appuyer sur des bases éloignées en Crimée (mer Noire).
Il est probable que la Russie tentera de contrer cette situation. Il est encore trop tôt pour savoir si elle en perdra effectivement l’accès. Selon des informations non confirmées, le Kremlin négocie déjà avec les combattants syriens pour maintenir l’accès aux bases, ce qui n’est pas un scénario impossible. Des spéculations suggèrent que Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) pourrait accepter un tel accord si la Russie cède Bachar al-Assad. Il est également possible que les négociations permettent au Kremlin d’obtenir des conditions favorables, comme le maintien des bases en échange d’une aide économique.
D’autre part, il est impossible d’ignorer les aspects négatifs de la chute du régime d’Assad. Tout d’abord, un État auparavant stable et relativement modéré, proche de l’Europe, s’effondre sous nos yeux. À sa place, un trou noir de chaos interne est en train d’émerger. La probabilité d’une nouvelle phase de guerre civile est très élevée. Il existe un risque important que la Syrie devienne une nouvelle Libye.
Une nouvelle vague de violence, plus probable qu’une nouvelle Syrie pacifique, signifierait une nouvelle vague de migrants. Comme l’Europe n’a créé aucun mécanisme de défense et reste totalement incapable d’agir, il est très probable que ces migrants se dirigeront vers l’Europe, contribuant ainsi à la déstabilisation.
De plus, le pouvoir est désormais entre les mains des insurgés, principalement le groupe islamiste et djihadiste Hay’at Tahrir al-Sham, déjà cité. On ne peut ignorer que son chef, Abu Mohammad al-Julani, était auparavant à la tête du Front Al-Nusra, une organisation salafo-jihadiste responsable de nombreuses atrocités en Syrie. Al-Julani a changé d’apparence ces dernières années, se présentant comme un modéré, mais il est difficile de penser qu’il a changé d’avis.
Les deux phénomènes – la zone chaotique en Syrie et la victoire des groupes dominés par les djihadistes en Syrie – représentent une menace mortelle pour des pays comme la Jordanie. Mais il existe également un risque plus large qui ne peut être ignoré. La montée en puissance des groupes antigouvernementaux en Syrie, y compris des islamistes, servira d’inspiration à de tels mouvements dans le monde entier, et pas seulement au Moyen-Orient. Elle motivera et encouragera de nouveaux combattants, ce qui aura probablement un impact à long terme plutôt qu’immédiat. La chute du Shah en Iran en 1979 et la défaite soviétique en Afghanistan dix ans plus tard ont été des facteurs qui ont incité d’innombrables personnes à embrasser le djihadisme.