Patrick Martin Genier, enseignant à Sciences Po, spécialiste des questions européennes et internationales, auteur de « L’Europe _a-t-elle un avenir » aux éditions StudyRama. L’entretien a été mené le 10 mai 2024 par Denys Kolesnyk, consultant et analyste français basé à Paris.
Hier les États-Unis ont menacé Israël d’arrêter les livraisons d’armes si les Israéliens continuent leur opération à _Rafah. Pourquoi cette décision surtout tenant compte du fait que les États-Unis c’est l’appui le plus important d’Israël, qui a même redirigés la livraison d’obus vers Israël au détriment de l’Ukraine à partir du 7 octobre 2023 ?
_Je crois que plutôt qu’une menace, c’est un avertissement limité. À savoir qu’effectivement, les _États-Unis ne souhaitent pas que Israël et le Premier ministre Benyamin Netanyahou fassent une offensive sur Rafah, parce qu’ils sont partis du principe selon lequel il était d’accord pour qu’éliminer le mouvement terroriste Hamas, il n’en demeure pas moins que depuis le début de cette offensive, les dommages c’est essentiellement à la population civile, premièrement.
Deuxièmement, on a bien vu que ce conflit, cette guerre avait embrasé _nos sociétés occidentales, notamment américaines. On l’a bien vu sur les campus universitaires, on l’a vu à Columbia, on l’a vu à l’université de Los Angeles, on l’a vu dans d’autres universités américaines, on l’a vu à Sciences Po à Paris et en province _en France. _On voit bien qu’il y a une sorte d’embrasement. Et naturellement, Joe Biden est en campagne pour sa réélection à la présidence des États-Unis, et l’électorat démocrate est très largement favorable à un arrêt de cette guerre, en tout cas à un cessez-le-feu.
_Donc, Biden est sous la pression internationale, il est sous la pression de son électorat, de ses électeurs, et c’est ce qui le conduit effectivement à menacer, comme vous dites, à _avertir _Israël de cesser toute offensive sur Rafah. Et s’il ne le fait pas, de suspendre la livraison d’obus, qui par ailleurs ne seraient pas nécessairement efficaces sur Rafah.
Vous venez de dire qu’il y a eu également des manifestations à _Sciences Po Paris. _Et quelle est la position de la France dans tout cela ? Parce qu’auparavant, enfin encore dans le XXème siècle, la France était un acteur assez important au Moyen-Orient.
Historiquement, depuis le général de Gaulle, la France a toujours eu une position _équilibrée au Moyen-Orient. D’abord, la France est un soutien sans faille d’Israël et nos présidents successifs se sont toujours rendus à _Tel Aviv. Les présidents français, notamment François Mitterrand, se sont exprimés devant le Parlement israélien, la Knesset.
Mais en même temps, il est vrai que la France a toujours aussi une position favorable à un État palestinien. Paris a toujours eu des relations cordiales avec le chef de l’autorité palestinienne, notamment Yasser Arafat. Notre pays a toujours milité pour la création de deux États, un État en tout cas vivant pacifiquement à côté d’Israël. C’est vrai que la France a toujours soutenu la cause palestinienne.
Et donc c’est la difficulté de la diplomatie française d’essayer de faire un _équilibre entre ces deux exigences. Premièrement, la sécurité _d’Israël. La sécurité d’Israël n’a jamais manqué _pour Israël dans son soutien. Mais en même temps, une position favorable à la création d’un État palestinien.
Et donc une position au Moyen-Orient qui a toujours été équilibrée, mais qui n’a pas toujours été comprise, notamment sous le président actuel, _Emmanuel Macron. Tantôt, on est un soutien sans faille, mais en même temps, on est devenu très critique vis-à-vis d’Israël, comme l’ensemble de la gauche. Donc, d’un côté une position de soutien sans faille à Israël, et de l’autre côté une position qui a pu susciter certaines interrogations, notamment par rapport à l’Allemagne, qui elle-même est un soutien sans faille à Israël.
Donc c’est vrai que notre position équilibrée n’a pas toujours été _comprise. Mais en réalité, ça a toujours été _la position de la diplomatie française dans le Moyen-Orient.
Dans les pays occidentaux, dans les démocraties, l’opinion publique joue un rôle important. Alors, à votre avis, quel est le poids de minorités, notamment des minorités nord-africaines ou musulmanes, dans l’élaboration ou la prise de position _en France à l’égard de certaines crises internationales ? Est-ce que nous avons également notre « rue arabe » avec laquelle on doit compter ?
Vous savez, dans tous les pays, dans toutes les démocraties, naturellement, qu’on a une attention particulière vis-à-vis de votre _électorat. Ce qui est tout à fait normal aux États-Unis également.
Quant à la _France, nous avons une tradition historique avec des liens particuliers avec le Sahel, avec le « monde arabe » puisque nous avons eu nos anciennes colonies _dans ces zones. Nous avons des accords particuliers avec ces États, notamment en la matière de l’immigration et il y a des accords avec la Tunisie, _l’Algérie et le Maroc. Et au-delà de l’Afrique du Nord, avec l’Afrique francophone nous avons naturellement des accords, _puisque vous savez que la francophonie est très importante pour la France, c’est un ensemble considérable.
On fait toujours attention à cet _électorat en particulier. La France, qui est un pays laïque, fait très attention à entretenir des relations avec les différents cultes et le ministère de l’Intérieur est chargé _des cultes. Et donc, au-delà de cette liberté d’expression de la religion, naturellement, il faut que la France ait des relations équilibrées, encore une fois, avec les différents pays arabes, mais ce n’est pas toujours facile.
Cependant, je n’irais pas assez loin pour dire que les minorités jouent un rôle dans notre politique _étrangère. Je dirais plutôt que la France tente toujours d’avoir cette diplomatie équilibrée, dans le respect de toutes les religions, de toutes les communautés ethniques. Mais _ce n’est pas déterminant dans la conduite de la diplomatie française. Et enfin, encore une fois, la France n’a jamais manqué d’appui à Israël.
Je voudrais insister sur le fait qu’il faut bien faire la distinction entre l’importance des minorités et la conduite de la diplomatie internationale, ainsi que l’intérêt de l’État. Cet intérêt _de l’État est guidé par son histoire, mais aussi par la nécessité de contrôler l’immigration.
Comme vous le savez, Israël a éliminé quelques généraux iraniens en Syrie avec une frappe sur une _enceinte diplomatique iranienne. _Les Iraniens ont répliqué et c’est pour la première fois qu’ils ont répliqué directement avec des frappes sur le sol israélien. Les Occidentaux ont appuyé Israël et ont abattu beaucoup _des vecteurs. Comment est-ce que vous expliquez le fait que l’Iran a osé _de frapper Israël directement ?
Tout à fait, auparavant, c’était toujours le jeu qui se déroulait avec les proxies et en applicant le principe du _déni plausible, autrement dit : « c’est nous, mais ce n’est pas nous ».
En outre, je crois que fondamentalement il ne s’agit pas d’un changement d’approche, mais d’un _changement de stratégie. Il y a un débat au sein du régime _des mollahs, qui est une dictature sanguinaire. Et, par conséquent, il y a une concurrence entre les différentes factions à Téhéran.
Il semble qu’il y avait cette volonté de répliquer, qui était une exigence de la faction la plus radicale. Il faut noter que ce ne fut pas la première fois qu’Israël frappait les cibles et éliminait les haut-gradés iraniens, mais là, la différence qu’il s’agissait d’une frappe sur une enceinte consulaire iranienne en Syrie, où se retrouvait le général du Corps des Gardiens de la révolution islamique, commandant de la force Al-Qods au Liban et en Syrie, Mohammad Reza Zahedi, qui a fait son centre des activités terroristes.
Ainsi, le fait d’avoir touché une institution diplomatique a pu effectivement entraîner ce changement provisoire de stratégie et pousser le régime de Téhéran à _frapper directement Israël. En conséquence, le régime s’est senti obligé de mener ces frappes. Je crois que, idéologiquement, militairement et politiquement, les factions les plus dures l’ont emporté et le régime des Mollahs était obligé de riposter.
En effet, c’était une riposte nécessaire, mais ils ont précisé ensuite qu’elle était unique et ne se reproduirait pas. Effectivement, comme vous l’avez mentionné, jusqu’à présent, l’Iran a utilisé ses proxies, les trois « H » _: le Hezbollah, le Hamas et les Houthis, pour mener ses actions. Ces groupes sont effectivement des exécutants de l’Iran, même si certains disent qu’ils n’obéissent pas toujours aux ordres de Téhéran. Il n’en reste pas moins que le Hezbollah représente une véritable menace pour Israël, agissant souvent en son nom.
Cependant, l’attaque sur une institution consulaire a créé une obligation d’intervenir directement pour l’Iran. Ainsi, l’Iran a montré par ces frappes qu’il constitue un véritable danger pour l’existence même d’Israël.
Et alors que vous venez d’évoquer ces trois « H », les Houthis, le Hezbollah, le Hamas. Il faut dire qu’il y a la multiplication des conflits au _Moyen-Orient actuellement. Les Houthis contrôlent de facto quasi majorité du Yemen et _perturbent énormément la navigation maritime. Mais jusqu’à présent, les frappes américaines et britanniques n’ont pas été _efficaces. Alors, à votre avis, d’un côté, est-ce que l’Iran est vraiment derrière cette histoire ou cet un enjeu propre aux _Houthis, ou s’agit-il _de concordance des intérêts ? Et deuxième élément, comment est-ce qu’on peut régler cette crise ?
_C’est une grande difficulté, une grande interrogation, effectivement. Au début, j’étais persuadé que quelques bombardements sur des zones contrôlées par les Houthis allaient régler la situation. Cependant, il est évident que ce n’est pas le cas. Les Houthis sont bien implantés et contrôlent une bonne partie du pays, notamment les zones montagneuses, en opposition aux autorités officielles.
Pour moi, il est incontestable qu’ils obéissent également aux ordres de l’Iran et qu’ils servent les mêmes intérêts. Ils ont même visé des navires se rendant en Israël, ce qui constitue un réel danger. En perturbant le trafic maritime, ils servent les objectifs de l’Iran, qui cherche à exercer une pression directe sur Israël.
Comme le trafic maritime dans la mer Rouge représente une part importante du commerce mondial, les puissances occidentales, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, ne peuvent se permettre de laisser ce genre d’actions terroristes se poursuivre. Elles ont tout intérêt à contrer ces perturbations pour maintenir la sécurité de cette route maritime cruciale.
Ainsi, bien que les Houthis aient leurs propres intérêts, ils partagent des objectifs communs avec l’Iran, qui cherche à déstabiliser le trafic maritime mondial. Les frappes occidentales, bien qu’importantes, ont un impact très limité.
Et c’est là que la diplomatie internationale peut peut-être jouer un rôle. Des contacts officieux avec les États-Unis, bien sûr, mais aussi avec d’autres puissances telles que la Chine, qui n’a pas nécessairement intérêt à ce que le trafic soit perturbé dans cette partie de la mer Rouge. En effet, la Chine, avec sa propre Nouvelle route de la soie qui passe par là, ainsi que des pays comme le Japon et l’Inde, n’ont aucun intérêt à voir le trafic maritime sérieusement perturbé. Et face à l’inefficacité des bombardements occidentaux, la diplomatie pourrait donc jouer un rôle crucial.
En effet, nous avons vu que la Chine a essayé, dans une certaine mesure, de convaincre ou au moins de discuter avec l’Iran pour qu’il influence les Houthis au Yémen afin qu’ils cessent de perturber la navigation. Cependant, ces efforts n’ont pas donné _beaucoup de résultats. La question demeure : à quel point les moyens diplomatiques peuvent-ils réellement influencer l’Iran ? Et jusqu’où pouvons-nous exercer une influence réelle sur l’Iran ?
C’est également une question importante. Même si la Chine n’est pas vraiment une alliée de l’Iran, elle fait partie des puissances qui contestent l’ordre occidental. Cependant, elle n’a pas trouvé les arguments nécessaires pour influencer l’Iran, ou bien l’Iran n’a pas suffisamment d’influence sur les Houthis, ce qui nous ramène à la question précédente.
Il y a parfois des inconnues et des équations non résolues dans cette partie du monde. Ce que nous savons, c’est que la Chine remet en question l’ordre mondial et cherche à jouer un rôle significatif sur la scène internationale, notamment au Moyen-Orient. Elle n’est pas entièrement alignée avec la Russie et souhaite suivre sa propre voie, comme en témoigne son implication croissante en Afrique.
Récemment, un événement peu médiatisé a eu lieu : une délégation du Hamas a été reçue à Pékin par le ministre adjoint des Affaires étrangères chinois, pour tenter de réconcilier le Hamas et le Fatah. Dans quel but ? Cela montre bien que la Chine mène une diplomatie indépendante et, en échange d’investissements et de financements, elle pourrait potentiellement exercer une influence sur l’Iran. Pour l’instant, cette influence n’est pas encore pleinement effective, et la diplomatie chinoise semble encore tâtonner.
Cela se voit également dans la préparation de la conférence internationale sur l’Ukraine prévue pour le mois prochain, où les propositions chinoises ont été réitérées cette semaine par Xi Jinping lors de sa visite en Hongrie. Le dirigeant hongrois a déclaré qu’il comptait beaucoup sur les propositions de la Chine pour la paix en Ukraine. Ainsi, la Chine est présente sur la scène internationale, mais il reste à voir si ses initiatives seront couronnées de succès.
Parlons des intérêts des puissances étrangères dans la région. Les États-Unis, malgré des annonces de retrait de troupes, maintiennent une présence significative depuis leur invasion de l’Irak en 2003. La Russie, après une période de relative inactivité post-URSS, est revenue en force en Syrie. L’Iran joue également un rôle majeur, et la Chine, bien qu’elle n’ait qu’une seule base militaire à Djibouti, cherche à augmenter son influence. Alors, à votre avis, quels sont les intérêts de ces puissances et quelles sont leurs motivations dans la région aujourd’hui ?
La situation telle que je la vois, c’est un jeu des grandes puissances, c’est la remise en cause de la puissance américaine dans la région, on voit bien les jeux de puissance, par exemple vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, mais en réalité, chacun joue son jeu, chacun avance ses pions.
On sait très bien que l’Arabie Saoudite aspire à devenir un acteur majeur dans cette région. Riyadh a été favorable au rapprochement d’Israël avec certains pays du Moyen-Orient à travers les accords d’Abraham. Mais pour s’ériger en leader régional, en concurrence directe avec d’autres régimes, tels que l’Iran, qui est un régime dictatorial sanguinaire, la Syrie de Bachar al-Assad, qui est qun paria parmi les nations, mais qui réintègre peu à peu le concert des nations dans cette région, parce qu’on n’a pas réussi à le déloger.
Les États-Unis, quant à eux, cherchent à préserver leurs intérêts. Sous l’administration Trump, ils ont adopté une position extrêmement offensive avec les accords d’Abraham, mais cette diplomatie a porté ses fruits, contrairement à ce que l’on dit. Le seul problème majeur est que la _question de l’État palestinienne n’a pas été résolu, ce qui pourrait être considéré comme une faille de ces accords. Washington souhaite continuer à jouer un rôle majeur, car une fois qu’une grande puissance se retire, cela entraîne une perte de poids considérable pour ce pays.
S’agissant de la Russie, on a bien vu que Vladimir Poutine, au pouvoir depuis plus de 20 ans et qui souhaite rester jusqu’en 2036, cherche à _reconstituer l’influence de l’empire soviétique. L’Union soviétique a toujours joué un rôle important et entretenu des relations privilégiées avec les régimes du Moyen-Orient, et cela ne change pas. Poutine soutient activement Bachar al-Assad en Syrie et d’autres dictatures dans la région. Il a également accueilli en grande pompe des dirigeants iraniens à Moscou.
Ainsi, la diplomatie russe semble être une continuité de la diplomatie soviétique, avec pour objectif de reconstituer son empire et de maintenir une forte influence au Moyen-Orient.
Quant à la Chine, c’est plutôt quelque chose de nouveau. Elle démontre qu’elle est devenue une puissance militaire croissante, avec une montée en puissance de son arsenal. Elle semble également vouloir continuer à développer son arsenal nucléaire, montrant ainsi des aspirations impérialistes. Cela se reflète notamment en mer de Chine méridionale, en mer du Japon et vis-à-vis de Taïwan.
En tant que grande puissance, la Chine dispose de moyens financiers considérables pour investir à l’étranger. Lorsqu’elle entre dans un pays, elle ne se limite pas à une influence diplomatique, mais propose également des investissements dans des infrastructures et c’est également le cas au Moyen-Orient.
Donc, il y a un jeu impliquant trois grandes puissances qui cherchent à étendre leur influence dans cette région, sachant que, par exemple, même en Turquie, Vladimir Poutine est allé proposer l’installation de centrales nucléaires. On constate ainsi la présence d’une puissance nucléaire et militaire significative.
Au-delà du Moyen-Orient, cette lutte d’influence s’étend jusqu’en Afrique, notamment en Afrique subsaharienne, comme on l’a observé dans les pays du Sahel avec l’investissement de Prygojin. La Chine, quant à elle, propose des solutions clé en main. J’ai rencontré des Africains qui m’ont dit : « Les Chinois construisent une usine, ils viennent avec leur propre personnel, ils font moins de discours mais sont plus efficaces ».
Il est donc évident qu’il existe un affrontement entre ces trois grandes puissances, avec le Moyen-Orient comme terrain principal de confrontation, mais également une extension de cette rivalité en Afrique subsaharienne.
Et pour terminer, à votre avis, _s’agit-il d’un déclin des anciennes grandes puissances, telles que la France? Sommes-nous quelque part remplacés par de nouvelles puissances ?
Mais encore une fois, il y a des puissances qui tentent de mettre en question, voire de revoir les règles du jeu. Et je pense qu’il y a une diminution considérable de l’influence des anciennes puissances coloniales.
J’ai écouté l’interview accordée la semaine dernière par Félix Tshisekedi, le président de la République démocratique du Congo, à _Darius Rochebin, où il lui a dit : « Je vais accueillir la Russie et la Chine à bras ouverts, je ne veux plus de mon ancienne puissance coloniale ».
La France a des conflits historiques avec l’Algérie. Le président de la République a tenu des propos qui ont déplu à Alger concernant la rente mémorielle, ce qui a suscité _la méfiance du président algérien qui se tourne désormais vers la Russie et la Chine. Les relations avec l’Algérie ne sont pas au beau fixe, bien que la France cherche à ménager ce pays.
De même, les relations avec le Maroc sont tendues en raison du conflit autour du Sahara occidental. Bien que la plupart des pays reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, la France adopte une position plus modérée et prudente pour ménager l’Algérie. Ainsi, les relations avec le Maroc sont également difficiles. Mais récemment, Stéphane Séjourné, le ministre français des Affaires étrangères, s’est rendu au Maroc pour tenter de rétablir les relations avec la diplomatie marocaine.
Enfin, nous avons été chassés du Sahel. Regardez ce qu’il se passe au Mali, par exemple. Et cela n’a pas été sans l’aide de nos « amis » russes d’ailleurs. Ils ont mené des campagnes de désinformation assez importantes en manipulant la population, en alimentant la haine dirigée contre la France.
Regardons aussi le Niger, comment la France, d’une certaine façon, a tenté de maintenir son ambassadeur dans ce pays. Ça s’est très très mal passé et la France a littéralement été chassée.
Si je ne me trompe pas, les États-Unis _également quittent le Niger ?
Oui, ils quittent le Niger, mais en nommant un représentant spécial. Mais c’est évident que la Russie prend désormais pied dans cette partie du monde.
La France a fait preuve d’un courage considérable en déployant la force Barkhane pour lutter contre le terrorisme islamiste. Nous avons perdu plus de 50 soldats français sur le terrain. Nous n’avons pas réussi à éliminer le terrorisme islamiste, qui reste un défi majeur. Cela a été une action très courageuse, mais, malheureusement, nous avons dû partir.
La situation a abouti à un échec parce que le concept de « Franceafrique » n’est plus d’actualité. Depuis le général de Gaulle jusqu’à François Mitterrand, _il existait cette cellule « Franceafrique » à l’Élysée, qui tentait de maintenir des relations officielles, mais aussi des liens parfois ambigus, notamment pour des affaires commerciales. Nous avons été accusés de néocolonialisme à cause de cela. Et c’est précisément ce que ces pays veulent éviter avec les puissances qui y prennent place aujourd’hui.
Lorsque Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir en 2017, quelque chose qu’il a dit m’avait frappé. Il avait déclaré : « Je veux la fin de la Franceafrique ». Mais en réalité, nous avons continué nos méthodes comme avant, et le fait que nous ayons été chassés d’une partie du Sahel montre en réalité que les vœux d’Emmanuel Macron ont été exaucés.
Nous avons été chassés du Sahel, en grande partie de l’Afrique noire. On nous en veut, alors que la francophonie reste un élément très important de la culture française. Néanmoins, cela signifie bel et bien la fin d’une certaine façon de procéder avec ces pays, la fin du colonialisme et du néocolonialisme.
En revanche, ce que ces pays-là n’ont pas bien perçu, c’est qu’ils allaient remplacer le néocolonialisme par un nouveau colonialisme, avec la Russie et la Chine. Mais ils s’en apercevront après.
En outre, il faut quand même souligner que la France demeure une grande puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité. Nous avons souvent été critiqués, mais il est tout à fait légitime que le président de la République s’exprime en tant que grande puissance nucléaire. Cela ne plaît pas toujours, mais nous avons la possibilité de faire valoir notre point de vue parmi les États-Unis, la Russie, la Chine et les autres grandes puissances.
En réalité, nous sommes une puissance moyenne, mais du fait que nous possédons l’arme nucléaire, nous pouvons peser dans les discussions et nous asseoir à la table des grands. Notamment dans le conflit israélo-arabe, il serait très intéressant que la France puisse faire une proposition ambitieuse en faveur de la création d’un État palestinien vivant pacifiquement aux côtés d’Israël.
La France conserve encore une certaine influence et peut encore faire entendre sa voix, mais il est vrai que notre pouvoir et notre rayonnement ont quelque peu diminué dans le monde entier.
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