Le Liban fait face à une nouvelle crise qui s’ajoutera à ses crises politique et économique. Cependant, cette fois ses pertes ne seront pas récupérables à court-terme, et elles laisseront des séquelles retentissantes dans la société pendant de nombreuses années, ce qui menace le pays d’un avenir sombre, selon des observateurs.
Bien que l’orientation vers la migration soit l’une des caractéristiques les plus marquantes de la société libanaise à travers l’histoire, le Liban se prépare actuellement à une nouvelle vague de migration à cause des répercussions de la pire crise économique de son histoire, et la plus compliquée à l’échelle mondiale, selon les affirmations de la Banque mondiale.
Cette vague a commencé à se faire sentir clairement au niveau des différentes institutions et différents secteurs. Elle se traduit publiquement par les longues files d’attente pour des milliers de citoyens, se déplaçant entre les centres d’octroi de passeports et les lieux où régler les papiers et les transactions, ainsi que devant les ambassades, dont les rendez-vous dans certains cas ont été repoussés à 2022 en raison du volume de demandes, en arrivant à l’aéroport, qui regorge quotidiennement de voyageurs libanais voulant quitter le pays, et les navires de la mort (migration clandestine, Ndlr) qui ont commencé à transporter les Libanais vers l’Europe.
Des indicateurs inquiétant annonçant une catastrophe
Autour de ce phénomène, le « Crisis Observatory » libanais de l’Université américaine de Beyrouth a préparé un rapport pour l’observation de ce qu’il a appelé la « troisième vague de migration », en considérant que le Liban est en fait entré dans une troisième vague de migration, le pays ayant connu une hausse remarquable des taux de migration et de ceux qui l’essaient depuis des mois, en mettant en garde contre ses conséquences à long-terme sur le sort du Liban.
L’observatoire a également mentionné 3 indicateurs inquiétants concernant l’entrée dans une vague de migration de masse, qui devrait durer pendant des années, dont le premier est l’augmentation des chances de migration chez les jeunes Libanais, en précisant que 77% parmi eux pensent à la migration et tentent de d’immigrer, et ce pourcentage est le plus élevé parmi tous les pays arabes selon le rapport du sondage d’opinion des jeunes arabes publié l’année dernière.
La volonté de l’immigration s’explique chez l’écrasante majorité des jeunes Libanais par la baisse des opportunités d’emploi décent. La Banque mondiale estime qu’une personne sur cinq a perdu son emploi depuis l’automne 2019, et que 61% des entreprises au Liban ont réduit leurs effectifs permanents de 43% en moyenne.
Selon l’observatoire, le deuxième indicateur est la migration massive de spécialistes et de professionnels, en particulier les employés masculins et féminins du secteur de la santé en tant que médecins et infirmiers, et du secteur de l’éducation, y compris les professeurs d’université et les enseignants, à la recherche de meilleures conditions de travail et des revenus meilleurs. A titre d’exemple, le syndicat des fermiers et des fermières ont estimé que plus de 1600 entre fermiers fermières ont quitté le pays depuis 20219. De même pour les membres du corps éducatif, dont des centaines ont immigré vers les pays du Golfe et en Amérique du Nord. A l’Université américaine de Beyrouth seule, on a enregistré le départ de 190 professeurs pendant une année, soit environ 15% du corps de l’enseignement.
Quant au troisième indicateur, il est prévu la crise libanaise va durer dans le temps.La Banque mondiale estime qu’il faut au mieux 12 ans au Liban pour retrouver le niveau du PIB de 2017, et dans le pire des cas 19 ans, et avec l’absence d’une décision politique de traiter sérieusement la crise libanaise, ce qui indique un effondrement voulu. Il n’est pas écarté que les institutions de l’Etat disparaissent peu à peu et que le pays tombe dans une spirale meurtrière durant deux décennies. Cela va constituer un facteur de pression pour que des centaines de milliers de personnes quittent leur pays d’origine à la recherche d’investissements, de travail, d’études et de la retraite.
Les préparatifs du départ des Libanais peuvent être observés à travers la ruée sur les bureaux de la sécurité générale libanaise, dont les statistiques ont montré que le nombre de passeports délivrés depuis le début 2021 à fin août s’élevait à environ 260000 passeports, contre environ 142 mille passeports au cours de la même période en 2020. Cela représente une augmentation de 82%. Les catégories de ces passeports délivrés sont parmi les catégories avec a durée la plus longue, c’est-à-dire la catégorie de dix et cinq ans, au détriment de la baisse des catégories des durées courtes, comme la catégorie d’un an ou la catégorie de trois ans.
Des répercussions à long-terme
Le chercheur en sciences politiques, Khalil Al-Akari, estime que la troisième crise migratoire se répercutera longtemps sur le Liban, car elle « lui fait perdre l’élément créatif et professionnel capable de gérer et de faire progresser les secteurs, d’autant plus que cela va priver ces secteurs de leurs avantages et de leur progrès, dont le facteur humain représente l’élément principal », en ajoutant que le Liban perdra des secteurs fondamentaux qui représentent le levier économique du pays, tels que les secteurs de la santé, bancaire, de l’éducation et de la technologie, ainsi que les nouveaux diplômés qui partent à la recherche d’opportunités à l’étranger vu leur absence à l’intérieur du pays. Et ceux-ci sont les moteurs de l’économie.
En outre, Al-Akari a indiqué que la vague migratoire ouvrira la porte aux milices, aux trafiquants de drogue et d’armes et aux trafiquants de carburant pour contrôler économiquement le Liban, en estimant que cela aura également un impact profond sur la situation politique, car la classe moyenne et les jeunes sont le moteur du changement démocratique positif partout dans le monde. En effet, la migration de ces catégories affectera la capacité d’apporter le changement politique souhaité au Liban. Cela signifie que le pays vivra sous le règne de la force des armes et de la domination des milices, surtout en l’absence des services de sécurité et de la police appartenant à l’État.
Le «Hezbollah» et le rôle moteur
Le ministre de l’Intérieur du gouvernement intérimaire libanais, le général « Mohammed Fahmi », a annoncé hier, lundi, l’augmentation le taux élevé des éléments parmi les forces de sécurité intérieure qui désertent leur travail en raison de la pression de la vie et sous le poids de la nécessité de chercher des sources de revenus supplémentaires, en soulignant que les institutions sécuritaires et militaires constituent la dernière ligne de défense de l’État et qu’elles doivent donc être immunisées par tous les moyens possibles.
Commentant cette affaire, « Al-Akari » a affirmé qu’une grande partie de ceux qui abandonnent les corps de sécurité intérieure se sont réfugiés en Europe à travers des bateaux de la mort, qui ont fortement repris l’activité au cours de la dernière période avec le soutien et la facilitation des milices du Hezbollah. Il a considéré dans ce contexte que le parti cherche, en affaiblissant les forces de sécurité libanaises, à imposer son autorité au Liban, et à éviter les inspections menées par l’armée et la sécurité contre les contrebandiers du carburant et de la drogue.
Al-Akari a encore dit que la migration clandestine est un phénomène ancien, mais son renouvellement soulève des questions et soulève des hypothèses sur le sort du peuple libanais étant donné les difficultés économiques depuis plus d’un an, en considérant que ce qui se passe prouve que les Libanais prennent à la légère le fait de quitter leur pays via les navires clandestins comme les réfugiés syriens à certain moment en se posant la question « quand le refugié met sa vie en danger, à quel point serait-il désespéré? ».
Al-Akari a conclu son discours en disant que certains pays punissent les Libanais et les font payer pour les actions des milices du Hezbollah, qui s’assoit sur le dos de tous les Libanais, et pas seulement sur les sièges du pouvoir en le contrôlant.
Il est à noter que le vice-président du parti Kataëb (Phalanges), l’ancien ministre, le Docteur « Sélim el-Sayegh », avait prévenu que « si le Hezbollah continue de lier le sort du Liban au sort de ses armes, nous assisterons, soit à la migration du reste des chrétiens et des Libanais libres, ou à la division (du pays) ».
El-Sayegh a dit, lors d’une réunion convoquée par la division des Phalanges libanaises dans la ville de Deraaoun à Kesrouan pour discuter de la manière de répondre aux préoccupations des citoyens et de faire face aux défis nationaux. « Si le Hezbollah continue de lier son sort et le sort du Liban avec le sort de ses armes, nous assisterons à un moment donné à la migration du reste des chrétiens et des Libanais libres ou à la division et à la disparition de l’Etat du grand Liban, mais nous ne voulons ni œuvrons à l’une de ces deux options ».