Vu les développements de la crise en mer Rouge et la situation tendue au Moyen-Orient, nous nous sommes entretenus avec David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l’Institut français d’analyse stratégique, chercheur associé à l’IRIS et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques chez l’Harmattan. L’entretien a été mené par Denys Kolesnyk, consultant et analyste français.
La situation humanitaire dans la bande de Gaza continue de s’aggraver, tandis que l’Égypte construit un mur à sa frontière, n’accueillant pas non plus les réfugiés. Comment expliquez-vous cette incapacité ou cette absence de volonté de la part du Caire d’accueillir les réfugiés ? Quelle est la politique de l’Égypte concernant le conflit entre le Hamas et Israël ?
En effet, des médias comme le New York Times et le Wall Street Journal ont relayé en février l’information corroborée par la Sinaï Foundation for Human Rights selon laquelle l’Egypte aurait entamé les travaux d’un mur à la frontière de Gaza au début du mois de février. Il s’agirait d’un mur de 7 mètres de haut et de 5 mètres de profondeur qui devrait s’étendre sur 14 kilomètres depuis la pointe sud-est de Gaza avec le terminal de Kerem Shalom (Karam Abu Salem) jusqu’au terminal de Rafah, en le prolongeant jusqu’à la mer Méditerranée.
Selon cette ONG, il serait destiné à créer une « zone fermée de haute sécurité et isolée du reste du Sinaï » qui servirait de zone tampon de 3 kilomètres de large destinée à absorber les flux de réfugiés « en cas d’exode de masse » en provenance de Rafah où s’entasse près de 1,4 million de déplacés de l’enclave. Par conséquent, il servirait de sas pour empêcher un déversement incontrôlé de ces flux de personnes dans le Sinaï.
D’ailleurs, le gouverneur du Nord Sinaï, Mohamed Abdel Fadil Choucha démentait encore le 19 février un tel projet, pourtant confirmé par des images-satellites de Maxar révélées mi-février.
En réalité, la position de l’Égypte est complexe, se déclinant en deux niveaux explicites et implicites. Explicitement, l’Égypte veut affirmer son soutien à la cause palestinienne en refusant ostensiblement de cautionner un supposé calcul israélien poussé par certains ministres extrémistes du gouvernement israélien comme le ministre de l’économie, Bezalel Smotrich, ou de la Sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, préconisant ouvertement dans leurs déclarations faites début janvier dernier le transfert encouragé, sinon forcé, des palestiniens hors de la bande de Gaza, préalablement vers le Sinaï égyptien, ce qui serait assimilé à une nouvelle Nakba (« catastrophe » en arabe) pour le monde arabe en général, et les Palestiniens en particulier, en référence à l’exode des premiers réfugiés de 1948.
Cette posture égyptienne de principe vise aussi à rassurer sa propre population viscéralement pro-palestinienne qui risquerait de déstabiliser le pouvoir égyptien, lequel entend affirmer sa souveraineté en montrant que l’Egypte n’entend pas à céder au chantage d’une pression démographique sur sa frontière avec Gaza. Mais il y a parallèlement une autre dimension moins avouable. Implicitement, l’Égypte ne souhaite évidemment pas voir affluer un flux potentiellement massif et incontrôlé de réfugiés dans la région du Sinaï, déjà considérée comme un « trou noir » sécuritaire difficile à contrôler.
A fortiori, parce qu’il y a l’inquiétude sourde que des activistes du Hamas, organisation terroriste islamo-nationaliste issue de la matrice historique des « frères musulmans » égyptiens, puissent se fondre parmi ces flux potentiels de réfugiés. Une mouvance « frériste » qui fait l’objet d’une féroce répression de longue date en Egypte encore renforcée par le président Abdel Fattah al Sissi depuis son putsch de 2013 qui l’avait conduit à renverser le président « frériste » élu, Mohamed Morsi avec le soutien financier des pétro-monarchies du Golfe, à l’exception notable du Qatar — soutien médiatique et financier de cette mouvance « frériste » et donc du Hamas.
Mais d’aucuns évoquent l’hypothèse pour l’heure largement spéculative qu’un plan d’accueil des réfugiés serait tout de même en gestation en contrepartie d’un marché passé avec les États du Golfe et les États-Unis pour effacer une grande partie de la dette égyptienne – de l’ordre de 42 milliards de dollars en 2023 – associée à un accord renouvelé avec le FMI.
Et quant à Israël, on sait que l’Égypte, bien évidemment, même si on ne peut pas qualifier ce pays d’allié d’Israël, mais on peut quand même dire que l’Égypte est peut-être le pays le moins anti-israélien de tout le Moyen-Orient. Comment expliqueriez-vous cela ?
Si l’on parle du gouvernement égyptien, il faut rappeler que l’Égypte est le premier État à avoir signé un traité de paix avec Israël le 26 mars 1979 à Washington, dans le prolongement des accords de Camp David préalablement signés le 17 septembre 1978 entre le président égyptien Anouar el-Sadate et le Premier ministre israélien de l’époque Menahem Begin avec la médiation du président américain Jimmy Carter. Par conséquent, ce fut le premier État arabe à prendre le risque de signer un traité de paix avec l’État hébreu qui restituera effectivement en 1982 à l’Egypte le désert du Sinaï conquis par Tsahal lors de la « Guerre des Six Jours ».
L’Egypte allait être ostracisée par les autres pays arabes et même exclue de la Ligue arabe et le siège de l’organisation déplacé du Caire à Tunis. Et surtout, le président Anouar el-Sadate paiera de sa vie la signature de cet accord de paix lorsqu’il sera assassiné lors d’une parade militaire par un commando du djihad islamique égyptien fondée par d’anciens membres des « frères musulmans », qui s’opposaient à toute négociation avec Israël.
Il demeure que depuis 1979, des relations étroites ont été développées entre l’Egypte et Israël, notamment en termes sécuritaires entre les services de renseignements égyptiens et les services de renseignements israéliens. Cette relation privilégiée était supervisée par le général Omar Souleiman sous le président Hosni Mubarak qui avait succédé à Anouar el-Sadate jusqu’à son renversement en février 2011, et désormais par le général Abbas Kamel, homme de confiance du président Abdel Fattah al-Sissi.
Israël est conscient de la nécessité de préserver ces relations privilégiées avec Le Caire. D’ailleurs, Yoav Gallant, le ministre de la Défense israélien, s’est senti obligé de déclarer le 16 février dernier que l’L’État d’Israël n’avait aucune intention d’évacuer les civils palestiniens en Egypte, en ajoutant que l’accord de paix avec l’Egypte était la « pierre angulaire de la stabilité dans la région ».
Parlons des Houthis au Yémen, qui entravent la liberté de navigation dans la mer Rouge en attaquant des bateaux. Les Américains, soutenus par les Britanniques, ont lancé une campagne de bombardements visant des cibles houthies. À son tour, la France a déployé la FREMM Alsace dans la mer Rouge et l’Allemagne a suivi. Comment expliqueriez-vous la volonté des Européens d’appuyer les Américains dans cette histoire ? À quel point la protection du commerce dans la mer Rouge est-elle importante pour Paris ?
Tout d’abord, il n’y a pas à proprement parler de volonté des Européens d’appuyer les Américains en mer Rouge. Il faut rappeler que les États-Unis ont décidé d’établir, le 18 décembre 2024, une coalition maritime encadrée par l’US Navy et intitulée Prosperity Guardian destinée à protéger la liberté de navigation et le commerce maritime international perturbé par les attaques répétées des Houthis pro-iraniens du Yémen.
Une coalition multinationale comprenant une dizaine de pays avec — outre le petit royaume du Bahreïn, siège de la 5ème flotte américaine dans le Golfe persique — certains pays européens dont le Royaume-Uni particulièrement concerné avec Londres qui se trouve être la première place mondiale (notamment maritime) de l’assurance avec la Lloyd’s, et la Norvège, mais aussi des pays membres de l’Union européenne comme le Danemark concerné au premier chef avec l’impact économique direct sur l’armateur Maersk, deuxième armateur mondial, les Pays-Bas, et enfin l’archipel des Seychelles situé sur les grandes routes de commerce maritime.
La France, particulièrement concernée par le problème de sécurité maritime avec des tirs ayant visé des navires de l’armateur français CMA-CGM, deuxième armateur mondial et présente sur zone avec la frégate FREMM Languedoc depuis le 8 décembre 2023, laquelle avait déjà abattu le 12 décembre avec un missile sol-air Aster 15 — une première pour la Marine nationale — un drone visant le pétrolier norvégien Strinda, avait décidé, tout en collaborant étroitement avec ladite coalition maritime, de ne pas passer sous commandement américain et de demeurer sous commandement national, à l’instar de l’Italie du reste.
L’Espagne avait pour sa part décidé de ne pas être partie prenante de cette police des mers en prétextant qu’elle était déjà engagée dans une opération de ce type avec le commandement espagnol de l’EUNAVFOR menant l’Opération Atalante au large de la Corne de l’Afrique contre la piraterie, mais surtout pour éviter ce qui risquait d’être perçu en politique intérieure comme un alignement sur les États-Unis.
Il y avait de fait des hésitations européennes à s’aligner sur l’initiative navale américaine. Le même raisonnement a prévalu pour l’établissement décidé par l’Union européenne, le 22 janvier suivant, d’une mission maritime européenne, parallèle mais non concurrente de celle mise en œuvre par les États-Unis comprenant d’ailleurs déjà la participation modeste de certains États européens comme la Norvège ou les Pays-Bas.
C’est pourquoi l’Union européenne a finalement décidé, après de nombreuses tergiversations et débats à la fin de l’année 2023, de la mise en place, le 22 janvier 2024, d’une coalition « européenne » intitulée Aspides (en référence au « bouclier » grec pour souligner sa dimension purement défensive et non pro-active) — en parallèle à la coalition largement anglo-saxonne. Cette coalition purement européenne est devenue opérationnelle depuis le 19 février 2024, et se trouve placée sous commandement italien avec sa frégate Virginio Fasan, avec la participation effective de plusieurs pays européens importants, dont la France déjà présente avec désormais deux frégates FREMM Languedoc depuis début décembre et Alsace envoyée sur zone le 20 janvier dernier, mais aussi l’Allemagne dont les navires du cinquième armateur mondial, hambourgeois Halpag-Lloyd, la Belgique avec l’envoi programmé de la frégate Marie-Louise, et la Grèce pays historique des armateurs.
L’enjeu est de fait reconnu comme majeur. Il n’est pas inutile de rappeler quelques chiffres concernant l’importance du trafic maritime en mer Rouge transitant via le détroit du Bab el Mandeb (« porte des lamentations » en arabe) qui porte bien son nom en la circonstance : 12 % du trafic commerce maritime mondial, plus d’un tiers du commerce de porte-conteneurs, 10 % des produits pétroliers raffinés, entre 5 % et 6 % du pétrole brut, 8 % du GNL (gaz naturel liquéfié) en provenance notamment du Qatar — dont la compagnie QatarEnergy a annoncé que certaines livraisons pourraient être retardées du fait d’un déroutage par le Cap de Bonne-Espérance entraînant une dizaine de jours supplémentaires de navigation sans parler du coût accru du transport, 7 % des vraquiers (céréaliers ou autres).
Les Houthis ont annoncé fin octobre 2023 avoir débuté leur guerre de drones et de missiles par solidarité avec la cause palestinienne en général et le Hamas en particulier du fait de l’offensive israélienne à Gaza en s’inscrivant dans al-Milhwar al-Mouqawama (ladite « axe de la résistance à Israël ») regroupant les proxies iraniens dans la région. Cette guerre balistique visant spécifiquement les navires israéliens ou ayant des liens commerciaux avec Israël s’est développée au mois de novembre avec l’acmé du détournement du Galaxy Leader, le 19 novembre 2023, un « roulier » naviguant pour le compte de la compagnie japonaise Nippon Yusen Kaisha et appartenant à Ray Shipping, une société pour partie détenue par l’homme d’affaires israélien Abraham Ungar.
Cette stratégie fait qu’après deux mois d’attaques en mer Rouge, fin décembre 2023, le port d’Eilat en Israël se retrouve concrètement à l’arrêt dans la mesure où les compagnies maritimes sont réticentes à venir y commercer. Les Houthis affirment ne viser que des navires ayant des liens avec Israël mais leur stratégie affecte en réalité l’ensemble du trafic maritime, tous navires confondus, ce qui a justifié la mise en œuvre de la réponse américaine qui s’est effectuée en trois phases à partir de décembre 2023.
Jusque-là il y avait une forme de logique prudente consistant à abattre les drones et missiles tirés par les Houthis en se contentant d’intercepter dans l’espace aérien les tirs des Houthis dans une forme d’ « aérogénisation » de la réplique militaire et ce, afin d’éviter d’alimenter une escalade potentielle. Dans un premier temps, l’US Navy s’était contentée d’abattre les drones et missiles lancés par les Houthis. À partir de la fin décembre, il y a eu une deuxième phase d’ « extension du domaine de la lutte » avec une logique de réplique de confrontation « maritimisée » qui a conduit l’US Navy à être amenée, le 31 décembre 2023, à couler trois embarcations des Houthis faisant une dizaine de victimes, une quatrième embarcation parvenant à s’échapper.
L’US Navy, avait précisé le CENTCOM (Commandement central américain basé à Doha au Qatar), de répondre à une demande d’assistance du Maersk Hangzhou, un porte-conteneurs battant pavillon de Singapour, appartenant à l’armateur danois Maersk. Le Maersk Hangzhou avait signalé avoir été attaqué pour la deuxième fois en 24 heures alors qu’il naviguait en mer Rouge. Le navire avait auparavant été visé par deux missiles balistiques lancés depuis le territoire yéménite contrôlé par les Houthis, que l’armée américaine avait abattus.
Le 3 janvier, les États-Unis et un groupe de 14 pays dont ceux composant la coalition maritime, avaient lancé un dernier ultimatum aux Houthis pour qu’ils mettent fin à leurs activités portant atteinte à la liberté de navigation. Les frappes étaient donc attendues, mais elles allaient prendre une nouvelle forme.
Une troisième phase de « territorialisation » de la réplique a été inaugurée à partir de janvier 2024. Les États-Unis ont estimé qu’une ligne rouge avait été franchie le 9 janvier avec le lancement d’une vague de 21 tirs ne visant d’ailleurs pas seulement des navires commerciaux mais également les bâtiments militaires présents pour protéger le trafic maritime. En outre, la Résolution 2722 votée le 10 janvier du Conseil de Sécurité de l’ONU intimant aux Houthis de cesser leurs actions déstabilisatrices sur la liberté de navigation et la sécurité de la région, offrait désormais une couverture juridique. En outre, les Houthis n’incarnent pas la légalité gouvernementale du Yémen.
D’ailleurs, dans l’US Navy, il y a un adage selon lequel « on n’abat pas seulement la flèche, mais aussi l’archer ». Ce principe est mis en œuvre aujourd’hui, avec une multiplication de cibles visées sur le territoire yéménite. Ce que certains observateurs, y compris militaires, pensaient impossible, est désormais avéré.
Lors d’une conférence de presse le en date du 16 janvier dernier, Emmanuel Macron a affirmé que la France ne se joindrait pas aux frappes contre les Houthis. La France entendait ainsi manifester le souci de ne pas s’aligner sur les Anglo-saxons, notamment sur l’initiative militaire américaine en considérant que la problématique relevait plus d’une « logique diplomatique » que d’une « logique militaire ». Une manière de ne pas se retrouver indexé sur le principal soutien occidental d’Israël que sont les États-Unis mais aussi l’expression de la crainte d’une logique d’engrenage qui n’est d’ailleurs pas forcément dissuasive. Le président Joe Biden a reconnu le 18 janvier que l’enjeu n’était pas la dissuasion en tant que telle, mais plutôt de mettre en œuvre une logique d’attrition capacitaire des Houthis.
Le fait est que les Houthis sont devenus, en un cours laps de temps, un acteur géopolitique à part entière susceptible de porter atteinte à la sécurité du commerce maritime international. Cette situation les a placés au devant de la scène internationale de manière totalement inédite en ne posant pas un problème seulement aux Occidentaux. Les Houthis ont annoncé réserver un traitement de faveur aux navires russes et chinois au motif que la Russie et la Chine sont considérés comme des pays « non-hostiles ».
Les rebelles yéménites Houthis, dont les attaques plombent le trafic maritime en mer Rouge, ont ainsi affirmé garantir un « passage sécurisé » aux navires russes et chinois sur cette voie stratégique. Mais le problème est que l’insécurité générale en mer rouge affecte le commerce maritime mondial tous navires confondus. Et la Chine est très contrariée par la situation qui affecte une voie essentielle du trafic maritime mondial en impactant la chaîne des flux logistiques des exportations chinoises dont les entrepôts portuaires commencent à se remplir de stocks et entraînent des surcoûts du fait du déroutage des navires via le Cap de Bonne-Espérance au Sud de l’Afrique pour éviter la mer Rouge.
L’ « Usine du monde » s’inquiète. D’où les mises en demeure formulées le 19 janvier dernier par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois appelant « à la fin du harcèlement ainsi qu’au maintien des chaînes d’approvisionnement mondiales fluides et de l’ordre commercial international ». Mais la Chine est quelque peu piégée par son souci de ménager son allié iranien. Cela ne l’aurait toutefois pas empêché de signifier à l’Iran qu’il était indispensable à Téhéran de faire pression sur les Houthis, faute de quoi cela serait susceptible de nuire aux relations commerciales iraniennes avec Pékin. Un message parfaitement reçu à Téhéran mais pas forcément entièrement audible de la part des Houthis qui suivent aussi un agenda qui ne coïncide pas totalement avec celui de Téhéran.
Et nous allons justement aborder l’Iran, puisque Téhéran a été évoqué. L’Iran adopte une posture de plus en plus assertive, que ce soit dans la prise d’action ou les campagnes d’intimidation, tout en évitant un conflit direct avec les États-Unis et leurs alliés. Quelle est la politique de l’Iran dans cette région compliquée ?
La stratégie iranienne, est une stratégie subtile, que l’on pourrait qualifier de « stratégie persane ». C’est une stratégie indirecte de guerre hybride, via des mandataires, ses proxies régionaux regroupant une myriade de mouvements le plus souvent chiites, comme le Hezbollah au Liban, les milices pro-iraniennes en Syrie (la Liwa Fatemyoun composée de chiites afghans et la Liwa Zainebiyoun composée de chiites pakistanais) et en Irak (nébuleuse de la résistance islamique en Irak) ainsi évidemment que les Houthis zaydites du Yémen, tout en prenant soin d’éviter tout affrontement direct avec les États-Unis et leurs alliés.
Téhéran sait très bien que dans le cas d’un affrontement direct, ce serait catastrophique pour les Iraniens. En réalité aucun des acteurs concernés ne souhaite un affrontement direct. Les Américains ont pris soin de le dire d’ailleurs explicitement à plusieurs reprises. Cette stratégie s’appuie sur le principe – paradoxalement anglo-saxon – de déni plausible (plausible deniability) quant à leur éventuelle responsabilité dans l’instabilité régionale.
Concernant les Houthis notamment, le 22 décembre 2023, Adrienne Watson, la porte-parole du Conseil de sécurité nationale avait, en effet, pointé du doigt l’implication de l’Iran dans les attaques récentes de navires par des rebelles Houthis du Yémen en mer Rouge, en indiquant que ce pays a été « très impliqué dans la planification » de ces attaques.
D’après le Wall Street Journal, les rebelles utiliseraient des renseignements fournis en temps réel par un navire espion lié au régime iranien, en l’occurrence le Behshad qui avait pris la relève en août 2021 du Saviz, lequel avait été durablement endommagé en avril 2021 par une opération non revendiquée, vraisemblablement israélienne. L’Iran a immédiatement rejeté le lendemain 23 décembre les accusations des États-Unis sur son implication dans les attaques menées par les Houthis contre les navires commerciaux en mer Rouge.
Plus tôt, le ministre des affaires étrangères de l’Iran, Hossein Amir Abdollahian, avait pour sa part indiqué que les États-Unis avaient déjà demandé à son pays de recommander aux rebelles yéménites de ne pas agir contre les intérêts américains et israéliens dans la région, en indiquant que ces groupes agissent en fonction de leurs intérêts et niant toute responsabilité.
Même s’ils insistent sur le fait que leurs proxies sont autonomes, qu’ils agissent de leur propre initiative et que le combat est légitime, il y a évidemment un agenda iranien derrière, un agenda géopolitique, même si les proxies, comme le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, ont aussi leur propre agenda national.
Mais cette stratégie, aussi habile soit-elle, peut aussi être dangereuse. Le problème de ce type de configuration réside dans le fait que, dans la mesure où il y a une marge de manœuvre laissée aux proxies, au moins en termes opérationnels, on n’est jamais à l’abri d’un mauvais calcul et d’un dérapage incontrôlé.
Mais que souhaite l’Iran réellement ?
L’Iran, ostracisé sur le plan international, souhaite être reconnu comme un acteur géopolitique central de la région. C’est-à-dire faire comprendre à tous les autres acteurs régionaux et les grandes puissances que la sécurité de la région ne sera pas possible si on ne discute pas avec l’Iran.
Cela concerne aussi quelque part l’Arabie Saoudite, n’est-ce pas ?
Bien sûr. Parce qu’il y a une rivalité géopolitique de longue date, évidemment, entre la puissance pétrolière arabe-sunnite et la puissance également pétrolière persano-chiite. Il y a néanmoins eu une forme de rapprochement en mars 2023 entre les deux pays sous la houlette de Pékin, ce qui est tout sauf anodin.
Pour Téhéran, ce rapprochement, qui impliquait un rétablissement des relations diplomatiques rompues depuis janvier 2016, était censé montrer que discuter avec l’Iran permettait un apaisement régional. Ainsi, la stratégie iranienne vise à démontrer que l’Iran est incontournable pour parvenir à une stabilisation régionale. Et que cela passe aussi par l’expulsion des acteurs extérieurs jugés indésirables, notamment les États-Unis.
Parlons de la France, qui fut une puissance importante au Moyen-Orient, mais ces temps semblent être loin derrière nous. Quels étaient les facteurs de la perte d’influence de la France dans la région ? Et quelle est la politique actuelle de Paris à l’égard des acteurs majeurs régionaux ?
Il est vrai que la voix française est quelque peu diminuée. Aujourd’hui, elle n’est pas inaudible, mais elle a beaucoup moins de portée, notamment auprès du monde arabe. On est loin de la geste présidentielle chiraquienne restée dans les mémoires avec son apostrophe adressée à des membres de la sécurité israélienne lors d’une visite dans le quartier musulman de Jérusalem, effectuée en octobre 1996, dans le cadre d’un voyage officiel en Israël : « Qu’est-ce qu’il y a encore comme problème ? Je commence à en avoir assez ! What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France, is that what you want ? Then let them go. Let them do. No that’s… no, no danger, no problem. This is not a method. This is provocation. That is provocation. Please you stop now ! ».
Ceteris paribus, certains ont vu un parallèle dans la visite du président Emmanuel Macron à Beyrouth au Liban après l’explosion du port le 4 août 2020. Il s’était affiché aux côtés des habitants, deux jours seulement après l’explosion qui avait fait près de 200 morts et près de 6500 blessés, promettant de tout faire pour favoriser un changement dans le pays en mettant en demeure la classe politique libanaise de mener les réponses indispensables. Mais face au blocage que lui a immédiatement opposé la classe politique libanaise, il n’est pas parvenu à traduire en actes concrets la fermeté de ses discours.
En réalité, la France dispose de peu de moyens pour promouvoir ses intérêts et est désormais concurrencée par d’autres puissances. Ce qui faisait la spécificité française auparavant, aujourd’hui, porte moins. Ce que l’on a qualifié de politique arabe de la France, parfois un peu abusivement d’ailleurs, se voulait une politique d’équilibre, notamment dans le conflit israélo-palestinien. C’est cette politique d’équilibre qu’entendait maintenir le président Macron après le 7 octobre dernier. Mais cela s’est traduit par des déclarations parfois contradictoires dans leurs attendus, entraînant un déficit de lisibilité de la position française auprès des parties en présence.
Et quels sont nos partenaires principaux dans la région, alors ?
Pour ce qui est du Liban, la France est engagée avec les États-Unis pour éviter que la situation ne dégénère et qu’il y ait un deuxième front au nord sur la frontière israélo-libanaise. Donc cela manifeste le fait que l’on garde encore des relais. Le chef de la diplomatie française Stéphane Séjourné, en visite au Liban le 7 février, soit quatre mois après le 7 octobre, aurait averti Beyrouth qu’Israël pourrait déclencher une guerre contre le pays. Un message destiné à convaincre les Libanais de faire en sorte que le Hezbollah se retire en-deçà du fleuve Litani conformément à la Résolution 1701 en date du 11 août 2006 adoptée juste après les guerre dite des « 33 jours ».
Mais il n’est pas sûr que cela soit suffisant car la France n’a plus l’influence qu’elle a pu avoir dans la région. Et c’est difficile à admettre du côté français car il y a un certain sentiment de déclassement diplomatique qui est douloureux par rapport à l’histoire de nos anciennes relations avec cette région. C’est un geste inédit dans l’histoire récente de la diplomatie française dans le monde arabe.
Selon Georges Malbrunot du journal Le Figaro, Une dizaine d’ambassadeurs de France au Moyen-Orient et dans certains pays du Maghreb ont collectivement rédigé et signé une note, regrettant le supposé virage pro-israélien pris par Emmanuel Macron dans la guerre de Gaza. Cette note commune a été adressée au Quai d’Orsay, avec des destinataires à l’Élysée. La note se veut lucide sur le constat et mesurée dans la formulation et peut-être empreinte d’une certaine forme de nostalgie. Elle établit une perte de crédibilité et d’influence de la France, et constate la mauvaise image de notre pays dans le monde arabe. Ensuite, sous une forme assez diplomatique, elle laisse entendre que tout cela est le résultat des positions prises par le président de la République.
En réalité, le centre de gravité de la diplomatie française s’est déplacé du Proche au Moyen-Orient depuis deux décennies en développant nos liens avec les pétro-monarchies du Golfe. On pourrait même dire qu’un « tropisme golfien » s’est développé après les deux mandats présidentiels de Jacques Chirac (1995-2007). Il y a eu plus spécifiquement un « tropisme qatari » avec le président Nicolas Sarkozy, puis un « tropisme saoudien » avec le président François Hollande, enfin un « tropisme émirati » avec le président Emmanuel Macron et ce, même si c’est durant le mandat de Nicolas Sarkozy qu’a été inaugurée, le 26 mai 2009, la grande base interarmes française à Abu Dhabi avec l’ambition de préserver nos intérêts stratégiques dans la région du Golfe en synergie avec d’autres puissances occidentales et notamment les États-Unis qui demeurent omniprésents dans la zone en dépit d’un retrait très « relatif » qui avait été commandé par leur fameux « pivot asiatique ».
Néanmoins, on constate de manière flagrante avec la guerre à Gaza qu’ils ne peuvent se soustraire – nolens volens – à leur responsabilités de première puissance mondiale. On le voit d’ailleurs en mer Rouge où c’est l’US Navy qui fait la « police des mers ». Leur rôle demeure incontournable et constitue une charge qui les détourne momentanément de leur agenda « Indo-Pacifique ».
Et justement, hormis la France et les États-Unis, il y a d’autres puissances qui sont en compétition au Moyen-Orient. Et ici j’entends la Chine et la Russie. Quels sont les objectifs et les stratégies de ces pays dans la région ?
Il y a une compétition et une concurrence avec deux autres acteurs à savoir la Russie et la Chine, mais qui ne sont pas au même niveau. La Russie est « revenue » au Proche-Orient, à la faveur de son engagement notamment aérien en Syrie à partir de septembre 2015 afin de sauver le régime de Bachar al Assad.
Elle a consolidé le maintien de sa base navale de Tartous et aménagé une nouvelle base aérienne, celle de Khmeimim. Moscou entendait absolument se garantir un accès aux mers chaudes, a fortiori avec les incertitudes planant sur l’utilisation optimale de la base de Sébastopol en mer Noire qui ouvrait sur les détroits du Bosphore et la mer Méditerranée.
Cette intervention a en outre permis à la Russie de se montrer un partenaire fiable en capitalisant sur un vif sentiment anti-américain des opinions publiques mêmes – non sans un certain paradoxe – de celles d’États de la région qui avait soutenu l’insurrection sunnite contre Bachar al-Assad.
Et puis il y a la Chine, qui a des nombreux intérêts économiques à faire prévaloir dans la mesure où la région d’Asie du Sud-Ouest constitue un des débouchés des « nouvelles routes de la soie ». Ce n’est pas un hasard si la Chine dispose d’une base militaire à Djibouti, celle de Doraleh, donnant sur la mer Rouge et qui constitue la seule véritable base Outre-Mer de la Chine.
Or, en dépit de sollicitations américaines, Pékin a refusé de participer à la coalition maritime mise en place pour sécuriser le trafic maritime en mer Rouge parce que la Chine ne veut pas donner l’impression qu’ils s’alignent sur des intérêts supposés occidentaux. Les Chinois veulent être bien avec tout le monde, sauf que dans cette région c’est très difficile.
Ils maintiennent des bonnes relations avec l’Iran, puisque c’est un partenaire important avec lequel il y a un « partenariat stratégique global » confirmé le 16 février 2023 lors d’une visite du président Ebrahim Raïssi. La Chine est le premier client de l’Iran sous sanctions qui exporte clandestinement son pétrole décoté d’un tiers (30 % des exportations iraniennes). La Chine est aussi le deuxième fournisseur de l’Iran (avec 25 % des importations iraniennes). Les produits chinois inondent le bazar de Téhéran.
La Chine entretient également d’excellentes relations avec l’Arabie saoudite. Pékin est le premier client en tant que premier importateur de brut avec 25 % des importations chinoises de pétrole. Les échanges économiques entre Pékin et Riyad sont 4 à 5 fois plus importants qu’entre Pékin et Téhéran. L’objectif de Pékin, c’est de montrer que la Chine est une puissance d’équilibre, stabilisatrice pour la région.
Et c’est surtout pour stigmatiser en creux d’autres puissances qui seraient déstabilisatrices, c’est-à-dire, de leur point de vue, les États-Unis. Et c’est d’ailleurs dans ce cadre que les Chinois ont activement participé à la normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran. C’est l’accord du 10 mars 2023 qui a été signé à Pékin, même s’il avait été négocié pendant deux ans dans la région, notamment à Bagdad. C’était un pied de nez, fait notamment aux Américains et aux Occidentaux.
Malgré les intérêts extérieurs à la région, les acteurs régionaux façonnent eux-mêmes le paysage politique du Moyen-Orient, et la guerre russo-ukrainienne n’a fait qu’accroître la marge de manœuvre de l’Arabie saoudite dans sa quête du leadership régional. Quels sont les acteurs principaux, leurs intérêts et stratégies dans la région ?
Ce qui est nouveau depuis une dizaine d’années, c’est qu’il y a une forme d’autonomisation stratégique des acteurs régionaux. C’est-à-dire qu’ils cherchent à s’affirmer en tant que tels ou se sont de plus en plus émancipés des grandes puissances mondiales. Pas totalement néanmoins.
C’est notamment l’Iran, qui a l’ambition d’être la grande puissance du Moyen-Orient avec ses quelque 80 millions d’habitants. Mais on le voit aussi avec l’Arabie saoudite par rapport au « protecteur » américain même si Riyad sait pertinemment qu’en dernier ressort la sécurité du royaume est garantie par les États-Unis. Non sans ironie, les deux rivaux géopolitiques que sont l’Iran et l’Arabie saoudite ont intégré simultanément les BRICS le 1 janvier 2024.
D’où encore la diversification des relations sinon des alliances pour relativiser une trop forte dépendance même si elle n’a pas totalement disparu en matière d’armements comme pour l’Arabie saoudite avec les États-Unis. Mais cela n’empêche pas Riyad d’entretenir aussi des relations étroites non seulement avec Pékin mais aussi avec Moscou, notamment dans le cadre de l’accord dit OPEC+ pour garantir le prix des cours du baril de brut.
Cette émancipation est également le cas des Émirats Arabes Unis qui développent leur propre stratégie de projection géopolitique au sud du Yémen et en mer Rouge. Et même du Qatar, d’une certaine manière, qui se présente comme un acteur incontournable et donc « courtisé » pour servir de hub de négociations dans le cas de la guerre à Gaza. Chacun joue sa partition, et c’est ça qui est nouveau aujourd’hui. L’Arabie saoudite qui fait partie du G20 a l’ambition de devenir une grande puissance du XXI siècle, avec le plan « Vision 2030 ». La Turquie, avec ses quelque 80 millions d’habitants, entend également faire partie des « pays émergents ».
Et que faire avec la réintégration de la Syrie de Bachar Al-Assad dans la Ligue arabe ? Comment expliquer la logique derrière ?
La Syrie n’aurait pas pu revenir dans la Ligue arabe si le veto saoudien n’avait pas été levé. Donc ce n’est pas un hasard si cette réintégration a été officialisée de manière spectaculaire lors du sommet de la Ligue arabe à Riyad, le 19 mai dernier, avec l’invitation faite à Bachar al-Assad d’y participer.
Les pétro-monarchies du CCG ont acté le fait que Bachar Al-Assad avait remporté la guerre civile, sur un champ de ruines certes, mais qu’il avait réussi à se maintenir au pouvoir. Compte tenu de cette situation, il s’agissait alors de définir quelle stratégie adopter avec un certain nombre de calculs en arrière-plan.
De la part de l’Arabie saoudite, il y avait deux calculs qui ont justifié la réintégration de la Syrie de Bachar al-Assad. Le premier, c’était d’essayer de faire en sorte que Bachar Al-Assad prenne peu ou prou ses distances avec Téhéran. Non pas qu’il coupe les liens entièrement, parce que Riyad sait que ce n’est pas possible, mais au moins qu’il se rappelle à son « arabité ». Le deuxième calcul renvoyait à la problématique du Captagon, cette amphétamine dont le premier producteur mondial est la Syrie de Bachar Al-Assad, une drogue qui fait des ravages en Arabie saoudite, premier pays consommateur et qui rapporte plusieurs milliards de dollars par an au régime syrien.
C’est un trafic qui permet de pallier les manques de revenus dus aux sanctions dans un pays ruiné par une décennie de guerre civile. Il s’agissait de faire comprendre au régime de Damas que la réintégration dans le giron de la Ligue arabe impliquait un engagement résolu dans la lutte contre la production et le trafic du Captagon.
Ce calcul à double détente a moyennement été couronné de succès. D’abord parce que la Syrie de Bachar al-Assad ne peut pas se permettre de prendre trop de distance vis-à-vis de l’Iran dont il se trouve être débiteur pour l’appui direct apporté par Téhéran à Damas en envoyant hommes se battre pour sauver son régime durant la guerre civile. Ensuite, en ce qui concerne le Captagon, l’engagement attendu de la part de Riyad dans la lutte contre la production et le trafic de cette drogue est en réalité conditionné pour Damas en contrepartie par une aide financière qui ses substituerait aux revenus du Captagon dont il n’est pas en mesure de se passer aujourd’hui. Un jeu de dupes en somme.
C’est un effet très complexe. Juste avant l’attaque du 7 octobre dernier par le Hamas contre Israël, il y avait un processus de normalisation au Moyen-Orient avec Israël. Ce processus impliquait également l’Arabie saoudite, mais maintenant, il est gelé, et la première puissance qui semble en profiter est l’Iran. En considérant que toute escalade forte de la part d’Israël dans la question de Gaza et de la Palestine pourrait enterrer le processus de normalisation crucial pour Israël, comment percevez-vous cette situation ? Comment Israël envisage-t-il ses prochaines étapes ?
C’est un élément non négligeable qui pourrait conditionner la manière dont Israël prend en compte les pressions des opinions internationales. C’était un objectif stratégique du premier ministre Benjamin Netanyahou. L’attaque du 7 octobre n’a pas annulé cette dynamique de normalisation, déjà à l’œuvre avec les « accords d’Abraham » signés entre Israël et les Emirats Arabes Unis et Bahreïn depuis septembre 2020 et en cours avec le Royaume d’Arabie saoudite.
De fait, après le déclenchement de la guerre à Gaza, le processus de normalisation qui était bien avancé avec l’Arabie saoudite avait été suspendu, mais pas annulé. Cette coïncidence de calendrier a d’ailleurs alimenté des spéculations sur l’éventuelle inspiration de Téhéran dans ces tragiques événements dans la mesure où cette normalisation potentielle constituait un cauchemar géopolitique pour Téhéran. L’Iran avait probablement accéléré la normalisation avec l’Arabie saoudite, devenue effective par l’accord du 10 mars 2023, en espérant que cela pourrait entraver la normalisation avec Israël. Or, cela n’avait pas été le cas.
La guerre à Gaza n’a pas annulé, et n’annulera pas, le processus de normalisation qui était à l’œuvre tout simplement parce qu’il relève d’une nécessité intrinsèque pour les pétro-monarchies du CCG. Mais sa temporalité et ses modalités s’en trouvent modifiées.
Avant le 7 octobre, la question palestinienne n’était pas le critère prioritaire de cette putative normalisation. La première condition saoudienne était d’obtenir un traité de sécurité avec les États-Unis. La deuxième condition pour formaliser ce rapprochement était l’attente d’une autorisation par les Américains de développer une filière d’enrichissement pour le nucléaire civil avec évidemment tout ce que cela implique pour le futur quand on sait que sait que la filière d’enrichissement est duale. La troisième condition concernait la question palestinienne.
Après le 7 octobre, la question palestinienne est officiellement revenue au premier rang des priorités. Dans un communiqué en date du 7 février dernier le Royaume a fait part à l’Administration américaine de sa ferme position selon laquelle il n’y aura pas de relations diplomatiques avec Israël tant qu’un État palestinien indépendant ne sera pas reconnu « dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale ». Soit les conditions établies par le fameux Plan Abdallah de 2002 présenté en mars 2002 lors du 14ème sommet de la Ligue arabe à Beyrouth.
C’est évidemment un facteur qui pourrait potentiellement jouer dans l’ajustement de la réponse militaire israélienne, car Israël avait placé de grands espoirs dans cette normalisation, pas seulement avec les Émirats et Bahreïn, mais plus encore avec l’Arabie saoudite. En effet, une normalisation avec l’Arabie saoudite — pays gardien des deux Lieux Saints pour la Oummah — cela parachèverait cette dynamique de normalisation. Cela signifierait qu’Israël serait pleinement intégré dans l’espace régional.
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