Bien que les déclarations du ministre turc des Affaires étrangères, «Mevlüt Çavuşolu», mercredi, sur la positivité qui ait marqué les négociations avec la partie grecque, les doutes demeurent importants en ce qui concerne la possibilité de parvenir à un accord final entre les deux parties autour des dossiers litigieux, notamment que les négociations n’ont pas été accompagnées de pas concrets de rapprochement entre les deux voisins.
Les pourparlers entre Ankara et Athènes ont été relancés lundi dernier, après une rupture de cinq ans, dans le but de trouver des solutions aux conflits maritimes qui persistent depuis longtemps.
Le chercheur spécialiste des affaires turques, Omar Khairi, commentant les «déclarations de Çavuşolu», a indiqué : «Ce n’est pas nouveau, les deux parties ont tenu des dizaines de réunions de négociation ces dernières années qui sont achevés par des déclarations similaires mais sans résultats. Au contraire, les relations entre elles ont connu plus de crises». Il a souligné dans le même registre que l’ampleur et le type de problèmes entre Ankara et Athènes, nécessiteront un accord historique plutôt que de séances de négociations.
Il est à noter que les relations turco-grecques sont entachées de plusieurs problèmes historiques et anciens, en tête de liste figurent l’affaire de Sainte-Sophie et les îles objet de conflit entre les deux parties, notamment la partie turque de Chypre. A cela s’ajoute la crise de l’exploration du gaz à l’est du bassin méditerranéen qui a failli déclencher un affrontement militaire entre eux.
Les changements internationaux activent la diplomatie
Khairi a poursuivi que la tendance de la Turquie vers plus de dialogue autour de ses affaires avec la Grèce et l’Union européenne en général n’est pas liée à la volonté du gouvernement d’Ankara de parvenir à une solution, autant qu’elle est liée aux changements sur la scène internationale. Il s’agit d’abord de la sortie de l’ancien président américain Donald Trump du pouvoir et l’arrivée du candidat démocrate « Joe Biden » au pouvoir à Washington. Il a expliqué que la Turquie est préoccupée par la politique de ce dernier et la possibilité d’adopter des orientations plus dures envers Ankara.
La Turquie a fait l’objet d’une série de sanctions américaines ces dernières années suite à la transaction des missiles russes S-400, accompagnée de critiques européennes grandissantes en ce qui concerne les interventions turques en Syrie et en Libye, ainsi qu’à la crise méditerranéenne.
Dans le même contexte, l’analyste politique, Ahmed Al Shohna, a supposé que les négociations soit une manœuvre pour gagner du temps de la part de la Turquie, particulièrement que l’Union européenne et la Grèce ont abordé la question de ne pas lier les déclarations avec les actions du gouvernement turc et le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Il a noté qu’en réalité, le gouvernement turc continue ses opérations de forage.
Al Shohna a ajouté également que «les déclarations de Çavuşoğlu» et l’amélioration des proportions de la positivité au niveau de la position turque sont dues à la volonté de la Turquie de ne pas internationaliser les crises entre elle et la Grèce, surtout que la Grèce a menacé de faire ce pas il y a quelques jours. Il a souligné que l’intensification des crises à l’intérieur de la Turquie et avec l’Occident a suscité la volonté chez le gouvernement turc d’éviter tout isolement international.
Il convient de rappeler que le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Déndias, a indiqué que si les négociations n’avaient pas commencé après les pourparlers préliminaires entre la Turquie et la Grèce, l’affaire devrait être renvoyée devant la Cour internationale de La Haye, ajoutant : «Je voudrais être clair que cette affaire consiste à la démarcation de nouveau de la zone économique exclusive et de la zone néritique en mer Égée et à l’est de la Méditerranée selon la loi internationale.
La Turquie et la Grèce étaient, rappelle-t-on, engagées dans 60 rounds de pourparlers entre 2002 et 2016, mais des plans de discussions qui devaient reprendre l’année dernière se sont effondrés à cause de l’envoi d’un navire hydrographique par Ankara dans les eaux objet de conflit ainsi que des différents autour les questions à traiter.
Retour à l’Occident après l’échec de la piste de l’Est
La politique adoptée par la Turquie au cours de ces dernières années, en se dirigeant vers la Chine et la Russie après la crise avec les États-Unis et l’Union européenne, est considérée par l’analyste politique «Rawad Hassou» comme étant un facteur supplémentaire en termes de la tentative d’Ankara d’améliorer les relations avec la Grèce, et de là, avec l’Union européenne. Il a par ailleurs souligné que la politique d’aller vers l’Est n’a pas abouti à compenser la Turquie, politiquement et économiquement, son rêve de rejoindre l’Union européenne, ni de construire un partenariat exceptionnel avec la partie européenne.
Hessou a justifié son analyse, par les déclarations du président turc, annoncées fin de l’année dernière, au cours desquelles il a insisté sur sa volonté d’ouvrir une nouvelle page avec l’Union européenne en général. Et Hessou a ajouté également que la Turquie a compris son incapacité de couper sa liaison avec le camp occidental, surtout qu’elle est membre de l’OTAN.
Il est à rappeler que le président turc avait appelé précédemment, lors d’une conversation téléphonique avec le président du Conseil européen, Charles Michel, à «sauver» les relations turco-européennes et à relancer le dialogue avec l’Union européenne « sur la base d’intérêts mutuels », selon un communiqué publié par la présidence turque à l’époque.
Dans le même contexte, l’analyste économique «Ghaleb Al-Ajami» a expliqué que l’entrée de la Turquie dans des négociations et le fait de hausser le niveau des déclarations optimistes quant aux résultats attendus des négociations sont provoquées par l’inquiétude par rapport à la liste des sanctions que l’Union européenne prépare actuellement contre la Turquie si aucun progrès n’a été enregistré sur les plans politique et diplomatique en ce qui concerne les affaires en suspens entre les deux parties. Il a in fine noté que la Turquie et ses dirigeants sont convaincus que l’alliance avec l’axe de l’Est ne l’aidera pas à surmonter les répercussions de ces sanctions, notamment avec l’intensification des crises économiques turques.