Le printemps arabe et la chute du gouvernement tunisien ont ouvert la voie à la prise de pouvoir par Ennahdha (la branche locale des Frères musulmans). Après une décennie au pouvoir dans le pays, le mouvement a été chassé du pouvoir en été de 2021 et il s’est depuis désintégré politiquement.
Récemment, le parti Ennahdha a confronté des problèmes plus compliqués, étant donné que les autorités ont commencé à enquêter sur les crimes du parti pendant son règne. Et il est important de mentionner que les problèmes d’Ennahda sont arrivés à un moment critique, soit la régression des fortunes des groupes islamistes au Moyen-Orient.
La chute des Frères musulmans en Tunisie
Après la révolution de 2011, Ennahdha est devenue « l’institution islamiste » en Tunisie, et elle n’a pas réussi à mettre en œuvre les réformes nécessaires à un moment où son chef politique, Rached Ghannouchi, était plus intéressé de consolider son pouvoir qu’améliorer les conditions de vie des Tunisiens. Ils l’ont même incité à présenter sa candidature aux élections du Parlement et donc au poste du chef du gouvernement, qui aurait été peut-être le motif ayant poussé l’actuel président à intervenir et à limoger le gouvernement Ennahdha en été de 2021.
Les Frères musulmans se nourrissent des fléaux sociaux, politiques et économiques, puisqu’ils ont su, en faisant face aux taux élevés du chômage et à d’autres problèmes en Tunisie, utiliser la « stratégie de luxe et le discours idéologique » pour se présenter comme étant la solution. Partout en Tunisie, il y a eu une forte opposition contre certaines positions les plus agressives d’Ennahdha, particulièrement les droits de la femme. Mais après une décennie de présence politique et sociale, les Tunisiens ont vu plus clair à travers le mouvement et ont considéré qu’il soutient un agenda préjudiciable aux intérêts du pays.
Dans le même contexte, la question financière du mouvement Ennahdha est devenue un problème public majeur en Tunisie en raison du manque de transparence, et il y avait des indices indiquant que leur soutien financier provenait principalement de l’étranger.
Le mouvement d’Ennahdha traverse actuellement par un moment d’incertitude existentielle, mais la vraie question est de savoir s’il a quelque chose à offrir au pays ou non ?
Les racines de l’échec des Frères musulmans
Sur le fond, on peut voir la dernière décennie comme étant une histoire de l’ascension et de la chute des Frères musulmans. Au lendemain des soulèvements arabes, le mouvement avait un certain nombre d’avantages notables:
- Leur réputation n’a pas été ternie par le contact avec les dirigeants déchus.
- Ils avaient déjà des organisations en comparaison avec les autres groupes qui n’en avaient pas.
Les Frères musulmans avaient également un autre avantage en termes de respect international en étant ouvertement non-violents, en se distanciant des djihadistes salafistes tels qu’Al-Qaïda et l’État islamique – et il y avait une « illusion » chez l’Occident et les Frères eux-mêmes selon laquelle la majorité dans les pays musulmans vont soutenir les islamistes.
L’un des problèmes est certainement que les Frères musulmans se sont placés sous le slogan « l’islam est la solution » mais l’islam ne fournit pas de programme pour gouverner. Par conséquent, il s’agit d’un ensemble d’« attitudes sociales rétrogrades » que la plupart de la population ne va pas les soutenir pour longtemps. Cela a déçu le mouvement, qui pensait avoir le soutien de la majorité. Ceci l’a encouragé à extrêmement exagérer lorsqu’il détenait le pouvoir.
Au pouvoir, les Frères musulmans ont adopté l’approche de la « majorité absolue » : la démocratie consiste à atteindre « cinquante pour cent plus un », puis utiliser cette procuration pour essayer de remplir l’administration et la justice de partisans et d’exclure tous les groupes ayant des intérêts différents. Cela n’effrayait pas seulement la majorité de la population, mais aussi les structures publiques existantes.
Par conséquent, dans les pays du « printemps arabe », les partis politiques qui associent essentiellement la religion au pouvoir n’étaient pas en mesure d’obtenir la majorité : ces partis étaient excellents dans l’opposition mais ils étaient dévastateurs au pouvoir. Il est important de souligner que la régression temporaire de l’islamisme ne signifie pas la disparition des Frères musulmans. Et ils pourront aussi récupérer leur pouvoir à l’avenir. Mais il y a des signes que la jeune génération qui s’est révoltée contre les dirigeants autocratiques lors du Printemps arabe a maintenant saisi ce que les islamistes doivent offrir – une force d’opposition vieille de plusieurs décennies – en termes de gouvernance.
La régression régionale de l’islamisme
Il reste encore discutable d’affirmer qu’Ennahdha et les Frères musulmans sont en fort déclin, d’autant plus que la Turquie a changé son comportement, tandis qu’Erdogan continue d’accueillir les porte-paroles des Frères musulmans et continue de soutenir les récits de l’islam politique dans son discours. Mais il est important d’insister sur la dimension régionale, car les Frères musulmans doivent être vus comme un mouvement international et non comme un parti local. En Tunisie, par exemple, cela signifie qu’il ne suffit pas de chasser Ennahdha du pouvoir. Les Frères musulmans se sont infiltrés dans le pays depuis des décennies et Ennahdha dispose d’un large système de soutien international pour le maintenir en vie en cette période difficile.
La résistance géopolitique
Les intérêts géopolitiques ont aggravé les dégâts subis par les Frères musulmans ces dernières années. L’alliance anti-islamiste régionale – Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Maroc, la Jordanie et les accords d’Abraham avec Israël – ont considérablement affaibli les idées islamistes, d’autant plus que le dégel des relations des Emirats Arabes Unis avec la Turquie a contribué à renforcer cette tendance.
La situation des Frères musulmans dans le monde musulman était un objet de discussion. Le Qatar a indiqué dans ce sens que la domination des Frères musulmans pourrait donner aux islamistes un endroit pour orienter leurs activités d’une façon pacifique tandis que les Émirats Arabes Unis ont répliqué en considérant que les Frères musulmans sont la porte d’entrée des drogues qui mènent vers le terrorisme.
Après une décennie de démonstration de force de divers acteurs, ainsi que la tentative de la Turquie et du Qatar de mettre en place un réseau régional de marionnettes islamistes sunnites dans des postes de pouvoir dans le monde arabe, ce qui n’a pas fonctionné, tout le monde est maintenant dans une situation compliquée. En effet, la tendance est allée vers l’apaisement et la désescalade.
La région connaît aujourd’hui une sorte de consolidation :
- Consolidation des acquis efficaces réalisés au cours de la dernière décennie.
- Les prises de recul en interne pour la reconstruction militaire et autres.
- les manœuvres par la diplomatie, la politique et le commerce pour atteindre des objectifs réalistes.
Il y a des exceptions notables à l’instar de Bachar al-Assad en Syrie et les Houthis au Yémen, tous deux mandataires du gouvernement iranien qui ne montrent aucun signe pour abandonner la violence comme moyen de renforcer sa forme de la « Révolution islamique ».
L’un des principaux moyens de ramener la région à une situation plus stable est le renversement d’Al Jazeera, une chaîne qui bénéficiait autrefois de l’attrait populaire de la région grâce à son discours nationaliste arabe et islamique. Mais maintenant, elle est vue comme une propagande qatarie et le porte-parole de son gouvernement. Si Al Jazeera avait gagné du terrain dans les rues et les places du monde arabe dans les années 1990 et pendant le printemps arabe, sa popularité a aujourd’hui fortement diminué, à tel point qu’elle devienne une station parmi tant d’autres.
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