Il est clair que l’Allemagne marche sur les traces du pays voisin, la France, qui a déjà banni l’organisation turque d’extrême droite, les «Loups Gris». Elle pourrait de son côté l’interdire prochainement puisque une motion de tous les partis a été adoptée par le parlement allemand afin de discuter cette option.
Cette initiative a été également adoptée par le parti social-démocrate (SPD). Le député Uli Grötsch (SPD) a justifié ce pas en disant que les dénommés «Idéalistes» devraient être classés en tant que des extrémistes de droite. Les «Loups Gris» sont aussi appelés «Ülkücü» qui signifie les Idéalistes.
A propos de l’extrémisme, a déclaré Grötsch qui est également vice-président du groupe parlementaire germano-turc : «Nous combattons l’extrémisme de droite, qu’il soit allemand, turc ou tout autre extrémisme de droite. Les Loups Gris font également partie de cette catégorie ». «Nous envoyons un signal clair». Maintenant, le ministère fédéral de l’Intérieur, en tant qu’autorité compétente, examinera l’interdiction des nationalistes turcs.
«Une idéologie fasciste et raciste»
Christoph de Vries, député de la CDU et également membre de la commission de l’Intérieur, a justifié l’initiative de son groupe par le fait que «l’idéologie ultranationaliste des Idéalistes est inhumaine». Il a ajouté qu’ils constituent une menace pour le système démocratique libre en Allemagne. «Les idéologies fascistes et racistes qui dénigrent les autres groupes religieux et ethniques n’ont pas leur place dans ce pays», a déclaré de Vries, qui est l’un des principaux partisans d’une interdiction de ce groupe.
L’Office fédéral de protection de la Constitution (BFV) surveille les «Loups Gris» et leurs associations affiliées qui comptent au moins 11.000 membres en Allemagne, selon le rapport annuel de 2019 de l’Autorité fédérale. Le rapport souligne qu’il existe des associations structurées et des représentants non organisés qui communiquent via Internet. Ils sont convaincus qu’ils appartiennent à une «race» turque supérieure. Et ils considèrent les Kurdes, les Arméniens, les Grecs, les Juifs et les Américains comme des ennemies.
Le ministère fédéral de l’Intérieur a également évoqué une interdiction de ce genre d’associations et d’organisations à l’échelle nationale. Mais cette interdiction est confrontée à des obstacles juridiques majeurs. Depuis l’entrée en vigueur de la loi allemande sur les associations en 1964, 57 associations et 106 sous-structures, pour la plupart des associations d’extrême droite ou islamistes radicales, ont été interdites. Le rapport de protection de la Constitution en a répertorié 93 classées dans la catégorie de l’«extrémisme étranger» y compris les «Loups Gris».
Des liaisons avec l’État turc
Peut être c’est la raison pour laquelle les politiciens de l’opposition réclamaient depuis longtemps une interdiction de cette organisation. Par exemple, l’experte du Parti de gauche, Ulla Jelpke décrit les «Loups Gris» comme une «menace mortelle» en évoquant l’incident survenu en 1980 quant le syndicaliste Celalettin Kesim a été assassiné par un partisan des ultranationalistes à Berlin Kreuzberg. Il y a aussi des indications, selon Jelpke, qu’il existe des liens entre les «Loups Gris» et l’État turc. Certaines enquêtes et procédures parlementaires auraient révélé que certains des extrémistes de droite étaient employés par les services secrets turcs, MIT. L’Observatoire MENA a déjà parlé de ces procédures effectuées au Parlement allemand et de la réaction du gouvernement.
Les représentants d’organisations non-gouvernementales en Allemagne se sont félicités également de l’interdiction des extrémistes de droite turcs. Osman Okkan, porte-parole du conseil d’administration du «KulturForum Turkei-Deutschland eV» a déclaré : «A travers la coopération entre les Loups Gris et leur organisation mère, le parti ultranationaliste MHP, fervent soutien d’Erdogan, ils ont gagné plus d’influence parmi les jeunes turcs ces dernières années dans toute l’Europe. » Okkan a encore ajouté qu’il y a eu de plus en plus de plaintes concernant les attaques contre les Arméniens, les Kurdes et les opposants d’Erdogan.
Les « Loups Gris » actifs dans les quatre coins de l’Europe
Selon l’Office de protection de la Constitution, la représentation organisée des Loups Gris la plus puissante et la plus ancienne en Allemagne est la Fédération des associations des idéalistes démocrates turques en Allemagne (ADÜTDF), fondée à Francfort-sur-le-Main en 1978, qui compte 7000 adhérents et 170 associations locales membres. Selon l’autorité fédérale, l’ADÜTDF a des liens avec le parti ultranationaliste MHP, le partenaire du parti au pouvoir turc AKP.
La deuxième association la plus forte est ATIB, la Fédération des associations culturelles turco-islamiques en Europe. Cette organisation faîtière a été fondée en 1987 par Musa Serdar Celebi. L’homme qui a tenté d’assassiner le pape, Mehmet Ali Agca, a indiqué que Celebi lui a donné l’arme du crime et l’argent pour la tentative d’assassinat de Jean-Paul II en 1981. Suite à un mandat d’arrêt italien, Musa Serdar Celebi a été arrêté près de Francfort en 1982. Il a passé deux ans en détention en Italie. Il a ensuite été libéré, faute de preuves. Les services secrets turcs du MIT auraient également informé dans un rapport strictement confidentiel datant de 1982 sur le lien étroit entre Agca et Celebi. L’affaire a été évoquée dans plusieurs médias turcs en 2000.
Les groupes «Idéalistes» sont organisés dans toute l’Europe. En 2007, l’Organisation faîtière des Loups Gris en Europe a été fondée à Francfort-sur-le-Main pour but de regrouper ses différentes branches à travers l’Europe. Son président depuis belle lurette, l’Allemand Cemal Cetin, est un membre au Parlement turc depuis 2018 représentant le MHP.
Début novembre, le gouvernement français a interdit la branche française des «Loups Gris» en raison de l’implication de ses membres dans des actes de violence en France.
Exploiter les mosquées pour diffuser des messages
Les associations de mosquées et de clubs constituent un appui important aux mouvements locaux nationalistes turcs. Ils sont actifs depuis des décennies et peuvent influencer politiquement une partie importante de la population d’origine turque en Allemagne par le biais de leurs associations locales de mosquées. Par ailleurs, dans les structures rattachées aux mosquées – salles de séminaire et de réunion, cuisines et encore – ils recrutent les membres et les rassemblent. Pendant longtemps, les nationalistes turcs ont su donner une image normale sur leurs associations au public germanophone, exigeant que les activités dans leur quartier ne suivent aucune idéologie extrémiste. Il n’est donc pas surprenant que leurs clubs fassent souvent partie de l’intégration locale et de la politique de la ville.
Partis et associations
Le Parti du mouvement nationaliste (MHP) est le plus grand acteur nationaliste turc et il soutient le parti AKP au pouvoir du président turc, Recep Tayyip Erdoğan. Le MHP n’était pas à l’origine un parti parlementaire, mais une organisation fasciste et violente. Les «Loups Gris» étaient d’ailleurs responsables d’un grand nombre d’assassinats politiques en Turquie dans les années 1990. Après la mort du leader du parti Alparslan Türkeş en 1997, le MHP, sous Devlet Bahçeli, est devenu plus modéré et a gagné un grand nombre de sympathisants aux élections. Aujourd’hui, il se taille 16% environ des votes. L’approche du parti consiste souvent à favoriser la force de la nation turque et préfère se battre contre les ennemis présumés de l’État plutôt que de négocier avec eux. Une chose qu’on peut la constater à travers sa position anti-kurde et anti-arménienne, et aussi à travers sa position antisémite.
En Allemagne, les partisans du MHP sont principalement organisés dans l’organisation faîtière ADÜTDF, également connue sous le nom de Türk Federasyon (Fédération turque), à laquelle appartiennent les Ülkü Ocakları (clubs idéalistes) et les associations de mosquées. Il s’agit des centres sociopolitiques destinés particulièrement aux jeunes. Les jeunes «Loups Gris», sont formés idéologiquement et intégrés dans les structures du parti et des associations. Le Türk Federasyon compte environ 7000 membres dans tout le pays, ce qui fait d’elle l’un des plus grands groupes d’extrême droite en Allemagne.
Le mouvement nationaliste turc comprend, en outre, deux autres associations. La branche ATIB regroupe environ 120 associations de mosquées. Elle se concentre plus sur l’organisation des lieux de culte et elle est plus modérée. C’est précisément pour cette raison qu’elle offre aux nationalistes turcs, pour qui le MHP et l’ADÜTDF sont trop «radicaux», une opportunité de rester avec les «Loups Gris». L’ATIB compte au moins 8000 membres dans tout le pays. L’Association de mosquées ATB, qui regroupe une vingtaine d’associations de mosquées et proche du Parti islamiste turc de la Grande Unité (BBP), est beaucoup plus petite. Dans l’ensemble, ATIB et ATB représentent l’aile la plus islamiste dans le spectre des «Loups Gris».