La fin de la guerre froide au Golfe, qui a duré trois ans et demi, a été marqué par un câlin symbolique, lorsque l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, a débarqué, le 5 janvier, au sein du paysage désertique spectaculaire de la nouvelle destination touristique saoudienne Al-‘Ula. Le prince héritier Mohammed Ben Salmane, le dirigeant effectif de l’Arabie saoudite, l’a accueilli chaleureusement. Il s’agit de la première rencontre entre les deux hommes depuis des années – depuis que les pays arabes voisins ont assiégé le Qatar en juin 2017. Dès lors, l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis (EAU) et Bahreïn, ainsi que l’Égypte, avaient mis sous embargo le petit mais extrêmement riche pays du Golfe. Les frontières terrestres et maritimes ont été fermées et la compagnie aérienne, Qatar Airways, n’a pas été autorisée à utiliser l’espace aérien de ses voisins et elle a été contrainte de faire de longs détours.
L’émir Tamim pourra désormais participer au Sommet régulier des six monarchies du Golfe : le Conseil de coopération du Golfe (CCG) dans le nord-ouest de l’Arabie saoudite. Le prince héritier saoudien l’avait invité il y a des semaines et le souverain qatari avait accepté l’invitation. Cela avait alimenté à l’époque les spéculations autour d’un retour imminent des relations. Finalement, l’Arabie saoudite a ouvert ses frontières terrestres au Qatar et le trafic aérien devrait reprendre le mardi.
Lors du Sommet, les représentants des États arabes du Golfe ont signé un accord de «solidarité et de stabilité» dans la région. Le prince héritier Mohammed, l’hôte saoudien, a déclaré dans une déclaration télévisée que les monarchies du Golfe «ont besoin en urgence de mettre en commun» leurs efforts pour relever les défis de la région. «Ceux-ci incluent particulièrement les menaces à cause du programme des missiles nucléaires et balistiques du régime iranien». Le ministre d’État des Affaires étrangères des Émirats arabes unis, Anwar Gargash, a de son côté, publié sur Twitter avant la réunion qu’il s’agissait de restaurer la cohésion entre les États afin d’assurer la sécurité, la stabilité et la prospérité.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Samih Schukri et Jared Kushner, gendre et représentant non officiel au Moyen-Orient du président américain sortant, Donald Trump, ont également assisté au Sommet. Le prince héritier Mohammed Ben Salmane, l’un des alliés proches de Trump, a remercié les États-Unis et le Koweït pour leurs efforts de médiation dans le conflit avec le Qatar.
La résolution de conflit est due principalement à la diplomatie intensive et longue menée par le Koweït. Très récemment, l’émir du pays, Nawaf Al-Ahmad Al-Sabah, avait trouvé un compromis que le prince héritier Mohammed et l’émir Tamim pouvaient l’accepter. Il avait déjà négocié entre le Qatar et ses voisins au cours de l’année écoulée. En décembre, Kushner a également mené des négociations de médiation entre les souverains en désaccord de Riyad et de Doha lors d’une tournée au Golfe. Après, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal Bin Farhan, a annoncé qu’il y avait « des progrès significatifs ».
Quelques temps après l’embargo imposé sur Qatar en été de 2017, le secrétaire d’État américain à l’époque, Rex Tillerson, avait mené une diplomatie de crise suite des rumeurs selon lesquelles l’Arabie saoudite et les EAU étaient même prêts à envahir le Qatar. Washington, cependant, avait un intérêt vital à résoudre le conflit, principalement parce que le CENTCOM (United States Central Command) des forces armées américaines possède une base de commandement au Qatar. À partir de cette dernière, plus de vingt bases militaires dans le monde arabe sont desservies, ainsi que d’autres en Afrique de l’Est et en Asie centrale. Le CENTCOM est également responsable de la Cinquième flotte de la Marine américaine, qui se situe à Bahreïn depuis 1995, pour participer à l’embargo. De plus, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, comme le Qatar, figurent parmi la liste des 15 plus gros clients de l’industrie américaine de l’armement.
Officiellement, la raison de l’isolement du pays arabe par ses voisins a été justifiée par le paiement du Qatar, en avril 2017, d’une rançon élevée à une milice chiite pro-iranienne pour récupérer 26 citoyens qataris enlevés dans le sud de l’Irak. L’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis avaient accusé Doha de soutenir le terrorisme et d’entretenir des liens étroits avec l’Iran. Le fait que le Qatar soutienne les Frères musulmans, classés comme étant une organisation terroriste en Arabie saoudite et aux Émirats Arabes Unis, a également joué un rôle.
Le Qatar a reçu une liste de 13 demandes dont leur application était une condition préalable pour rétablir les relations. Dans cette liste figuraient la fermeture de la chaîne d’information Al Jazeera et de la base militaire turque au Qatar. Doha a rejeté ces demandes en se justifiant qu’il était contraint de coopérer avec l’Iran dans l’exploitation conjointe du plus grand champ de gaz du monde dans le Golfe persique.
Néanmoins, la vraie raison de l’isolement du Qatar est que le petit pays n’était pas prêt à se soumettre au leadership de l’Arabie saoudite. Depuis l’arrivée sur le trône de Hamad Ben Khalifa Al Thani en 1995, le Qatar a développé sa propre politique étrangère. Le fossé a eu atteint son paroxysme depuis 2011 car, après le début de l’«Arabellion», le Qatar a accompagné le changement dans le monde arabe et a soutenu les Frères musulmans dans ce processus. C’est pourquoi l’Égypte a également participé au blocus. Le samedi, le ministre koweïtien des Affaires Etrangères a informé le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, de la réconciliation imminente. Cependant, il est plus difficile de convaincre les EAU. Parce que son prince héritier Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane a été le meneur de l’isolement du Qatar.
Cependant, une fois les relations avec Israël normalisées, les EAU peuvent se permettre de dépasser le conflit avec le Qatar. La coopération économique et militaire avec Israël s’approfondit déjà. Pour l’Arabie saoudite, cependant, la normalisation des relations avec Israël viendrait trop tôt. Avec l’arrangement du conflit avec le Qatar, le Royaume réalise un vœu du président sortant Trump et voit son successeur Joe Biden comme étant un partenaire constructif.
Le Qatar sort plus fort du conflit. En plus de trois ans, les deux principales puissances du monde arabe, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, n’ont pas réussi à imposer leur volonté à l’État frère. Le Qatar, l’un des pays au revenu par habitant le plus élevé, a démontré sa force économique et sa résilience politique.