Le conflit entre les différents ailes (courants, ndlr) d’Ennahda a atteint un stade avancé, avec lequel trouver une solution ou un arrangement est presque impossible. Des leaders d’Ennahda se sont soulevés dernièrement, en iimpactant des secteurs particuliers, des régions et des générations qui ont exploité leur poids dans le parti pour montrer qu’ils ont leur mot à dire dans ce qu’on appelle « la crise de leadership des deux courants », l’échec de la tenue du onzième congrès du parti et la position inflexible du cheikh Rached Ghannouchi qui veut rester là où il est maintenant, même plus loin à l’horizon de 2024.
Lors du week-end, la 44ème session du Conseil de la Choura d’Ennahda a eu lieu, mais elle a été marquée par une première dans l’histoire du mouvement quand les deux tiers des membres du Conseil se sont retirés en protestant contre l’ordre du jour selon un communiqué du mouvement. Et ceux qui se sont retirés sont en majorité parmi les signataires de « la lettre des cent » qui se sont engagés dans un bras de fer avec le Cheikh Rached Ghannouchi pour qu’il n’ait pas l’occasion pour modifier l’article 31 du règlement intérieur du mouvement qui l’empêche de briguer un troisième mandat.
Epuisement du solde moral
Avec le retrait de ces membres, le conflit que certains dirigeants d’Ennahdha tentaient de cacher est sorti au public, ouvrant ainsi la porte aux interprétations et aux spéculations autour de l’impact de la crise vécue par Ennahdha sur les institutions souveraines de l’Etat surtout que le leader du mouvement est lui-même le président de l’Assemblée des représentants du peuple tunisienne.
Dans ce cadre, quelques jours après la diffusion de la lettre d’un groupe de jeunes d’Ennahda appelant au report du 11ème congrès et à la préservation des fondateurs du mouvement, la responsable jeunes au sein du mouvement, Jawhara Tiss, a annoncé officiellement sa démission du mouvement dans une publication sur sa page Facebook. Elle a de même révélé les raisons de cette démission, en indiquant que le travail au sein du mouvement est devenu une sorte d’appauvrissement du « solde moral », et son but est d’affûter les méthodes pour s’assurer un positionnement aux dépens du contenu prévu à réaliser. Pis encore, la jeune dirigeante nahdhaouie a admis que, contrairement à ce qu’elle pensait du projet de réforme nationale avec un horizon civilisationnel basé sur l’harmonisation entre l’Islam et la démocratie, elle s’est retrouvée dans un projet conçu pour servir l’intérêt d’une seule personne et la volonté du leader et il dépend de l’avenir de ce même dirigeant.
Le lettre de démission de Tiss laisse entendre que la marge d’action politique au sein du mouvement s’est déjà rétrécie et que le travail en son sein n’accumule plus l’engagement moral et militant pour préparer des personnalités susceptibles de réformer le pays et servir les citoyens. Bien au contraire, il s’agit désormais d’une hémorragie pour le « solde moral ».
En référence aux « lettres » aux « pétitions », aux « initiatives », aux « appels » et aux déclarations des médias, il est clair et sans aucun doute que la « bataille » aujourd’hui au sein d’Ennahdha n’a rien à voir avec l’identité du mouvement ni les turbulences et les problèmes qui ont accompagné son existence, particulièrement après la saga incomplète du 14 janvier 2011 et son ascension à la tête du pays à l’instar de la question de la « tunisification » du mouvement et le désengagement définitif des Frères musulmans, idéologiquement et en tant que membre. Sans oublier l’hérésie de séparer la plaidoirie du politique qui était le slogan du dixième congrès. Une chose qui n’a pas abouti selon les confessions des Nahdaouis eux-mêmes. En outre, ils ont promis de faire les révisions nécessaires en ce qui concerne le rejet de la violence et la condamnation du terrorisme à l’intérieur et à l’extérieur ainsi que de sortir de l’orbite des axes régionaux et internationaux. À cela s’ajoute la préparation et la présentation d’un projet national intégré pour la nouvelle Tunisie avec ses dimensions économiques, sociale, culturelle, politique et morale. Mais cela éétait totalement absent dans tout ce qui a été émis par les révoltants, soit par ceux qui revendiquent le changement ou ceux qui veulent garder la situation inchangée. La bousculade au sein d’Ennahdha aujourd’hui est autour des postes et des positionnements et n’a rien à voir avec les questions fondamentales comme la démocratie, les exigences de la révolution, et les aspirations du peuple à la liberté, à la dignité, au travail, à la justice, à la démocratie et autres.
S’enfoncer dans les divisions
Le mouvement Ennahda, qui a remis son congrès aux calendes grecques, s’enfonce dans les divisions et les laves de leurs volcans commencent à surgir.
Il semble que les calculs de Ghannouchi ne prenaient pas en compte cette fois que le fossé s’élargit chaque jour et que la fissure entre lui et l’écrasante majorité des dirigeants de son mouvement avait touché déjà ses forteresses, et qu’il n’est plus l’homme fort dont son ombre règne toujours sur les réunions du Conseil de la Choura. Le report du congrès de la Confrérie et l’éclatement du Conseil de la Choura prouvent probablement que la bataille au sein d’Ennahda est devenue profonde et qu’elle mènerait bientôt à son effondrement.
La révolte des deux tiers du Conseil de la Choura, connu précédemment par sa loyauté absolue à Ghannouchi et son dévouement pour son administration, sans discussion ni controverse, et leur retrait de la dernière réunion sont la preuve irréfutable que l’isolement de Ghannouchi au sein du Conseil de la Choura a commencé à s’étendre d’une façon remarquable. On peut dire même que les frères et les compagnons sont en train de l’abandonner. Depuis leur création dans les années 1960, le mouvement et le Conseil ne se sont pas habitués à se retirer, protester, ou s’opposer aux décisions de Ghannouchi.
Incapacité à continuer
Il semble que Ghannouchi est désormais incapable de trouver une issue pour cette « immigration collective » qui a commencé à secouer le mouvement il y a quelque temps, alors que les compagnons de route parmi les premiers fondateurs l’ont abandonné et ne reste aujourd’hui aucune personne parmi eux. Puis, c’était autour des partisans du premier rang qui assumaient des responsabilités majeures dans le parti à l’instar de l’ancien secrétaire général Hammadi Jebali, Habib Ellouze, Sadok Chourou et Abdellatif Mekki, et autres, de faire de même. Une longue liste de noms historiques qui ont supporté les années de confrontation avec l’ancien régime.
Par conséquent, Ennahda n’est plus en mesure aujourd’hui de continuer sur la même lancée en préservant Ghannouchi à la tête du mouvement depuis sa création et pour toujours. C’est peut-être cela qui a poussé le dirigeant tombé en disgrâce à se presser pour annoncer officiellement qu’il ne se présentera pas pour présider le mouvement pour un troisième mandat, en expliquant qu’il n’avait pas l’intention de modifier le règlement intérieur du mouvement ni de changer l’article 31.
Mais parce qu’il était déjà trop tard, Ghannouchi s’est retrouvé seul face à un ouragan de révolte conduit par ses compagnons de route et les vents d’opposition au Parlement qui appellent à l’application de la loi en ce qui concerne les violations commises par le mouvement Ennahda lors des élections et révélées dernièrement dans le rapport de la Cour des comptes. Elles sont en relation avec la réception des fonds de l’étranger d’origine inconnue et sans faire même la moindre déclaration. Combien de temps le cheikh pourra-t-il donc résister et continuer de la même manière après que les vraies intentions sont révélées ?