Quand on parle du terrorisme au cours des quatre dernières décennies, on pense généralement à l’une de ses formes spécifiques, populairement nommée le « djihad ». C’est-à-dire le « djihad » islamique contre les « mécréants ». Bien que le « djihad » soit enraciné dans nos pays comme un terme qui inclut l’extrémisme islamique, le radicalisme, le fondamentalisme et la violence, il demeure un terme inapproprié et incomplet, qui en partie stigmatise délibérément l’islam en tant que religion, et l’accepte partiellement et d’une façon superficielle, mais cela conduit à la même déduction.
Le « djihad » en langue arabe signifie « combattre ». Les érudits de l’islam ont classé le djihad en au moins 14 catégories, dont la plupart peuvent être classées sous la case des impératifs moraux, la doctrine de l’amélioration de soi et de la maîtrise de soi, ou le développement national et le progrès spirituel et matériel. En résumé, le « djihad » peut être la lutte pour tout ce qui vaut la peine de militer pour lui. Cela inclut faire la guerre comme une forme de « djihad », appelé en arabe par « djihad de la main ». Si on signifie exactement de ce genre de djihad, de guerre et de violence, le terme le plus approprié serait « le djihad de combat», ou encore plus précisément, « le djihad du guerrier».
Dans ce contexte, l’auteur Dragan Besincic a écrit, donc quand on dit « la mondialisation du terrorisme », on entend clairement « la mondialisation du djihad combatif ». La guerre en Afghanistan et le «jihad afghan» peuvent être considérés aujourd’hui comme le berceau du mouvement du «jihad combatif », et la raison de sa mondialisation. Les premiers acteurs du « jihad combatif mondial » furent les «Arabes afghans» qui combattirent en tant que « guerriers saints » contre les Soviétiques. Les motivations des Arabes pour rejoindre ce mouvement sont importantes pour mieux comprendre le cours et le développement du « djihad combatif ».
Al-Qaïda et l’État islamique
Al-Qaïda est né en Afghanistan, le pays où plus tard les dirigeants combatifs du jihad, comme Oussama ben Laden, ont commencé leur mystérieuse carrière. Le réseau tissu en Afghanistan était l’épine dorsale du mouvement dans les années 1990 et 2000, où les Afghans arabes ont joué des rôles-clés dans la plupart des groupes. L’Afghanistan était intellectuellement actif parce qu’il était l’incubateur des principales idées de la « sous-culture djihadiste » telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le grand stratège du jihad, Abou Moussab al-Souri, a indiqué plus tard : « Ce fut un tournant dans l’histoire musulmane. Les gens, les idées et les points de vue se sont réunis. Les groupes se sont battus avec leurs rivaux, et les différentes idées et opinions rivalisaient. C’était une sorte de lieu de naissance. La plupart de ce qu’on voit aujourd’hui est le fruit de cette période ».
La voie habituelle de l’extrémisme a commencé par l’adhésion à des organisations de l’islam politique, souvent dans les Frères musulmans, puis suivie par l’adhésion aux organisations extrémistes, actives et extrémistes dans les pays arabes, ensuite l’entrainement dans un camp afghan, avant le noyau de l’organisation. La lutte djihadiste a été créée dans les vallées et les grottes d’Afghanistan.
Lorsque les Soviétiques ont quitté l’Afghanistan, l’islam extrémiste et radical s’est répandu sous forme de terrorisme dans les pays arabes, en Afrique, dans les Balkans, en Europe et aux États-Unis. La décennie passée, de 2011 à aujourd’hui, a créé de nouvelles formes de djihad des combattants dominées par la naissance de l’État islamique, c’est une région de quatre fois la taille du Portugal abritant huit millions d’habitants.
De rebelles locaux aux guerriers mondiaux
En parallèle, la mobilisation mondiale de l’Afghanistan était un peu un mystère parce que rien de tel ne s’était produit auparavant. Les décennies précédentes ont enregistré de nombreux conflits dans le monde musulman, de l’Algérie à l’ouest aux Philippines à l’est, mais aucun d’entre eux n’a attiré autant de combattants étrangers comme l’Afghanistan. Il y avait des combattants étrangers islamistes dans la guerre de Palestine de 1948, mais ils bénéficiaient du soutien de l’État et la plupart provenait des pays voisins.
Depuis leur émergence au début du XXe siècle, les mouvements islamistes se préoccupent de leur politique intérieure. Au début des années 1960, les islamistes qui étaient prêts à utiliser la violence mais d’une façon plus modérée, sont apparus. Toutefois, ils se concentraient sur les changements politiques internes. En somme, jusqu’à la fin des années 1970, toutes les politiques islamistes radicales étaient locales, avec certaines exceptions.
Dans les années 1969 et 1970, l’Égypte, le Soudan et l’Algérie ont aidé le Nigéria à combattre les rebelles du Biafra, créé à partir de plusieurs provinces du nord du pays. Le chef du Biafra, Emeka Ojukwu, a estimé que cette aide vient des pays musulmans, alors que le Biafra est chrétien.
« Maintenant, il est clair pourquoi des pays arabes islamiques fanatiques tels que l’Algérie, l’Egypte et le Soudan se présentent pour soutenir et aider le Nigeria dans la guerre génocidaire actuelle contre nous. (…) Le Biafra est l’un des rares pays africains dont l’islam ne l’a pas rattrapé », a indiqué Ojukwu. Le soulèvement a été écrasé, mais malgré ses caractéristiques religieuses évidentes, il n’a pas conduit à la création de grands groupes armés.
Plus tard, des milliers d’étrangers du monde entier se sont brusquement précipités pour rejoindre la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan. Le djihad combatif afghan a produit l’une des plus grands mouvements de rébellion transnationaux de l’histoire. Aucun autre groupe idéologique n’a réussi à créer de grands groupes de combat et mobiles comme le djihad combatif.
Selon les estimations environ 30.000 étrangers ayant combattu aux côtés des moudjahidines sont passés par l’Afghanistan. Les révolutionnaires marxistes de gauche du XXe siècle avaient plus d’influence parce qu’ils avaient pris le contrôle de grands pays, mais les rebelles marxistes n’opéraient pas en dehors des frontières comme l’ont fait les djihadistes armés au cours des dernières décennies.
L’idée du Panislamisme
Les groupes terroristes radicaux de gauche en Europe étaient très mobiles dans les années 1970 et 1980, mais ils étaient beaucoup plus petits et moins funestes que les groupes comme Al-Qaïda et l’État islamique. Les djihadistes combattants sont en large une anomalie majeure dans les mouvements de rébellion.
Les décennies passées étaient une période de recherche et d’étude intenses sur le djihad combatif, mais le principal qui était l’implication arabe en Afghanistan, n’a pas été expliqué, ni faisait l’objet d’une attention plus approfondie et plus sérieuse. S’il n’était pas interprété en tant qu’un événement qui s’est simplement produit, la plupart des explications se résument à l’encouragement, à l’aide et au soutien de certains gouvernements, de leurs services secrets et de leurs armées, et à la recherche d’un abri contre l’oppression interne.
Souvent, la mobilisation arabe en Afghanistan a été considérée comme étant un enchaînement naturel des idées du théoricien égyptien Sayyid Qutb, qui avaient régné sur les idées islamistes radicales dans les années 1960 et 1970. Cependant, les partisans de Qutb ont appelé à un changement du système arabe, mais pas pour d’autres guerres musulmanes de libération nationale.
Aller en Afghanistan était une tentative très différente par rapport à celle de renverser les régimes arabes. L’appel au combat en Afghanistan représentait un changement au niveau de la pensée islamique – du renversement des dirigeants locaux corrompus à la lutte contre les envahisseurs mécréants à l’étranger. Le changement de l’orientation révolutionnaire à celle islamique mérite une explication.
Thomas Hegghammer croit que le djihadisme est devenu planétaire parce que les islamistes ont été écartés de la politique intérieure au cours des précédentes décennies. Handicapés chez eux, ils sont passés à la scène où ils subissent moins de pression, et une activité transfrontalière pour des causes islamiques globales. C’est en partie vrai, car il y avait bien des mouvements spécifiques au sein de la mouvance islamiste ayant permis à l’intérieur de se transformer en une révolte mondiale.
L’idéologie de Khomeiny
L’idéologie révolutionnaire de Khomeiny était un exemple pour toute la région. Selon laquelle, toute forme de pouvoir actuel doit être renversée et remplacée par celle des mollahs (spécialistes de la jurisprudence islamique). En Iran, les mollahs ont toujours maintenu leur indépendance par rapport à l’État, cette doctrine en a fait une classe révolutionnaire axée sur la conquête et l’exercice du pouvoir.
Khomeiny a également affirmé la nature fondamentaliste antioccidentale et anti-américaine. L’idée de Sayyid Qutb de la « Croisade » a été particulièrement bien accueillie en Égypte et au Levant, où l’héritage des Croisades aurait pu être ravivé du profond de la mémoire collective islamique, mais il était loin du peuple iranien, un pays qui était épargné des Croisades.
De cette façon, Khomeiny a dessiné une métaphore étonnante pour expliquer le même point : les Etats-Unis, les héritières historiques des mécréants étaient le « Grand Satan ». Cela représentait le conflit ultime entre l’Islam et l’Occident, non seulement au niveau de l’histoire, mais aussi en ce qui concerne les affaires de l’au-delà. Le doute sunnite par rapport à l’application des règles d’un État islamique en Iran était présent, mais au cours des prochaines décennies, les fondamentalistes feront un effort énorme pour tenter de reproduire le succès de Khomeiny et provoquer une deuxième révolution islamique.
Les tentatives de provoquer une deuxième révolution ont révélé que les fondamentalistes de tous bords utiliseraient la violence révolutionnaire s’ils pouvaient les amener au pouvoir. Et à cause de leur déception du processus laborieux de gagner le soutien des masses, remplis des idées enivrantes de Maududi et Qutb, et inspirées du succès de Khomeiny, ils sont allés de l’avant. Les fondamentalistes sunnites de tous bords ont commencé à comploter. La communauté chrétienne a occupé la Grande Mosquée de La Mecque en 1979. Un groupe ayant adopté les enseignements de Sayyid Qutb assassinait le président égyptien, Anouar el-Sadate, en 1981. Les Frères musulmans ont déclaré une révolution contre le régime syrien en 1982.
La lutte géo-biologique pour dominer l’espace eurasien
Une « tumeur maligne » terroriste a touché tous les islamistes, comme appelle maintenant le président américain Joseph Biden le terrorisme mondial dans ses justifications du retrait de l’Afghanistan, à travers la symbiose des objectifs américains de la guerre froide en combattant contre l’Union soviétique et en exploitant les sentiments religieux islamiques pour la réalisation de ces objectifs. Au XXe siècle, dans les années 1980 et 1990, la mondialisation du djihad et de l’extrémisme de l’islam vieux de plusieurs décennies en Afghanistan a commencé, avec le soutien américain et la participation d’extrémistes arabes. L’Afghanistan a été la réponse dans laquelle le radicalisme politique arabe s’est transformé en sacrifice d’un guerrier et en martyre, le rêve de tout fanatique prêt à sacrifier sa vie pour le caractère sacré d’une victoire future.
Après l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan par l’Union soviétique en décembre 1979, le président américain Jimmy Carter envoya en janvier 1980 son conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski pour discuter avec les dirigeants pakistanais qui soutenaient déjà les rebelles afghans.
Sur son chemin à partir d’Islamabad, Brzezinski a atteint les pentes du Cyber Pass, où il a été photographié avec une kalachnikov AK-47. À partir de ce moment-là, le conseiller à la sécurité nationale du président américain était devenu un symbole de cette phase de l’implication américaine dans l’épopée afghane.
Pour Brzezinski, la continuité géopolitique dans l’importance de l’Afghanistan était claire. Dans sa note à Carter après juste l’invasion, qui n’a été rendue publique que récemment, il a averti : « Si les Soviétiques réussissaient en Afghanistan (texte supprimé), le vieux rêve de Moscou d’un accès direct à l’océan Indien deviendrait une réalité ». Historiquement, les Britanniques ont fait des obstacles devant ce mouvement et l’Afghanistan était leur État « d’isolation ». Nous avons repris leur rôle en 1945, mais la crise iranienne a entraîné une rupture de l’équilibre des forces en Asie du Sud-est qui pourrait conduire à la présence soviétique dans le golfe persique et le golfe d’Oman ».
Brzezinski a défini toute la guerre froide comme « un conflit géopolitique pour le contrôle de l’étendue eurasienne ». Derrière la terminologie idéologique, une géopolitique conservatrice lisible de part et d’autre émergeait. Cela rappelait clairement l’imaginaire territorial de Lord Curzon qui expliquait la chaîne des liaisons géographiques pour défendre les zones reculées de l’Inde en Méditerranée.
Opération parfaite
Selon leur vision, « tous les signes indiquent que les Soviétiques avaient décidé de rester, d’inclure l’Afghanistan dans la structure militaire soviétique et d’envisager de créer des bases permanentes pour les affaires futures ». « Il s’est immédiatement rendu compte que les forces soviétiques se trouvaient à 200 miles du Golfe persique (400 miles aller-retour) et avaient pris le contrôle des champs pétroliers là-bas. Les bases en Afghanistan pourraient fournir une couverture fiable à la flotte soviétique du Pacifique et aux futures forces dans le Golfe. En outre, ils ont trouvé une base claire pour « la manipulation politique au Moyen-Orient ».
En raison de l’importance énorme potentielle de la sortie de l’Union soviétique vers les mers chaudes, et donc sur la scène mondiale à travers l’Afghanistan, l’engagement américain en Afghanistan, une chose inconnue ou on ne savait rien d’elle, a commencé non pas après l’action soviétique, mais avant. Dans une interview au Nouvel Observateur, numéro 15-21. En janvier 1998, Zbigniew Brzezinski a affirmé qu’il avait des objectifs ambitieux dans ses idées sur le sabotage de la présence soviétique en Afghanistan. Comme l’a indiqué l’ancien directeur de la CIA, Robert Gates, dans ses Mémoires de l’ombre, la CIA a commencé à aider les djihadistes en Afghanistan six mois avant l’invasion soviétique.
Lorsqu’on lui a demandé si cela était vrai et s’il était impliqué en tant que conseiller à la sécurité nationale, Brzezinski a répondu: « Selon l’histoire officielle de la CIA, l’aide aux djihadistes a commencé en 1980, après l’entrée de l’armée soviétique en Afghanistan ». « La réalité qui restait cachée était différente : le président Carter avait déjà signé la première directive d’aide aux opposants au régime soviétique à Kaboul le 3 juillet 1979. Le même jour, j’écrivais au président que cette aide était une provocation de l’intervention militaire du régime soviétique ».
Brzezinski a indiqué qu’ils « ne voulaient pas vraiment » provoquer l’intervention militaire soviétique, mais ils étaient conscients de la « possibilité croissante de leur intervention ». Il aussi affirmé que les affirmations soviétiques à l’époque selon lesquelles ils interféraient en Afghanistan parce qu’ils combattaient des opérations secrètes américaines étaient « globalement vraies », mais personne ne l’a cru l’époque. Interrogé par un journaliste s’il le regrettait, Brzezinski a répondu: « Que dois-je regretter ? Cette opération secrète a été complètement conçue. En conséquence, la Russie est tombée dans le piège des États-Unis. Que dois-je regretter? Le jour où la Russie avait traversé officiellement les frontières, j’ai écrit au président Carter : « Nous avons maintenant l’opportunité pour que l’URSS fasse l’expérience de son propre Vietnam. Moscou a dû faire pendant dix ans la guerre qui ne pouvait pas la supporter. Cela avait causé la démoralisation de l’URSS et cela a conduit finalement à l’effondrement de l’empire soviétique ».
Seulement il n’y a pas d’Union soviétique
Il rejette l’accusation selon laquelle les États-Unis ont soutenu les terroristes islamistes et ont donné des armes et une idéologie aux fondamentalistes du futur, et se pose la question : « Qu’est-ce qui est le plus important pour l’histoire du monde ? Les Talibans ou l’effondrement de l’empire soviétique ? des Musulmans un peu plus radicaux ou la libération de l’Europe de l’Est et la fin de la guerre froide ? ».
Brzezinski rejette l’affirmation selon laquelle l’intégrisme islamique est une menace pour le monde et que l’Occident est dans un conflit mondial avec l’islam, car, comme il le dit, « le monde de l’islam n’existe pas ». Selon Brzezinski, s’il considère l’islam de manière rationnelle, sans démagogie ni sentimentalité, car c’est « l’une des religions du monde avec un demi-milliard de croyants ». Quel est le point commun entre l’intégrisme en Arabie saoudite, le Maroc modéré, le militarisme pakistanais et la laïcité en Asie centrale ? », S’interroge Brzezinski et répond : « Rien de plus que les pays chrétiens ».
Quand je lui ai rappelé de ces mots dans l’une de nos conversations, Brzezinski a affirmé que la fin de la guerre froide et le retrait de l’Union soviétique de l’Europe de l’Est étaient historiquement supérieurs à tout changement dans l’Islam.
La Fatwa d’«Azzamova »
La flotte américaine d’avions, Joanne Herring, le membre du Congrès, Charlie Wilson, « le parrain des Afghans Arabes », Abdallah Azzam, le chef de l’armée des djihadistes, Jalaluddin Haqqani ou Oussama ben Laden, figuraient parmi les héros du récit afghan passionnant qui a conduit à la propagation du djihad combatif partout dans le monde. Le « grand jeu » américain contre l’Union soviétique a depuis donné naissance à l’actuel mouvement Taliban qui, avant ses attentats, a fait reculer les forces américaines après vingt ans d’occupation de l’Afghanistan.
Bien que le sommet de l’administration américaine planifie son « grand jeu », le soutien des « moudjahidines » est venu d’un côté totalement inattendu. La star américaine de l’époque, Joanne King Herring, a déclenché la première étincelle de l’intervention américaine en Afghanistan. Elle a aujourd’hui 93 ans, et depuis la chute du gouvernement afghan le 15 août après vingt ans d’occupation américaine, ses téléphones n’arrêtent pas de sonner. Les messages et les appels arrivent du monde entier.
Joanne Herring était associée à la guerre en Afghanistan dans l’esprit du public lorsque Julia Roberts a joué son rôle dans Charlie Wilson’s War en 2007. Il s’agit d’une comédie dramatique biographique sur trois hommes ayant contribué à déclencher la guerre quasi-secrète en Afghanistan. Avec l’ancien membre démocrate du Congrès Charlie Wilson et l’agent de la CIA Gust Avrakotos, Joane a facilité l’opération Cyclone et le programme créé pour soutenir et organiser les djihadistes afghans pendant la guerre soviéto-afghane. Leurs efforts ont changé le cours de l’histoire de l’Afghanistan, de l’Union soviétique et du mouvement islamique mondial.
Après avoir épousé son deuxième mari, le pétrolier Robert Herring, le couple s’est rendu à l’étranger pour organiser les transactions du pétrole et du gaz. Lors des longs voyages, son mari lui a parlé de la situation en Afghanistan et lui a présenté des faits, des chiffres et des arguments convaincants.
À la fin des années 1970, Joane Herring occupait trois postes honorifiques : elle était consule honoraire du Pakistan et du Maroc, et elle a également aidé les paysans pakistanais à moderniser leur artisanat – des tapis et des tissus au cuivre et à l’argenterie – si appréciés par les consommateurs occidentaux. Tout au long du chemin, elle a invité des amis influents de l’industrie de la mode à concevoir des robes en utilisant des matériaux pakistanais ».
Joane était également maire de Houston, activiste politique, femme d’affaires et présentatrice de télévision – il s’agit de l’un des produits de pétrole du Texas et la John Birch Society. Cette association est une organisation d’activistes politiques qui se décrit comme une organisation anticommuniste avec de forts discours religieux chrétiens. D’autres la décrivent comme une organisation de l’extrême droite et conservatrice. Fondée par l’homme d’affaires Robert Welch en 1958, son ami proche et son bailleur de fonds était le père de Donald Trump.
Son amitié avec des politiciens, comme le futur secrétaire d’État James Baker, a augmenté son influence politique. Elle est peut-être mieux connue pour sa relation politique avec l’ancien président pakistanais Muhammad Zia-ul-Haq, leur amitié de longue date qui a duré du début des années 1970 aux années 1980. Le président a organisé une fois un dîner en son honneur à Islamabad.
Elle était connue pour ses tenues audacieuses et provocantes lors de fêtes et d’événements sociaux au Texas et à New York. Dans une interview, Joane a admis en riant qu’elle portait des vêtements provocants « parce que c’était la seule façon pour que les hommes m’écoutent ».
Tout a commencé par une relation hilarante entre Herring et le membre amusant du Congrès, Charlie Wilson, après une cérémonie en 1980. La relation s’est développée au-delà de cela, pour cela Wilson a mentionné dans son autobiographie qu’ils avaient planifié pour leur mariage.
Charlie Wilson et ses anges
Charlie Wilson (Charles Nesbitt « Charlie » Wilson, 1933-2010) était un membre du Congrès démocrate du Texas qui a été élu pour douze mandats de 1973 à 1997. Il était un « faucon » en politique étrangère et est devenu l’un des éminents membres du Congrès ayant influencé Carter et Reagan dans l’Opération « Cyclone », à travers lequel les moudjahidines en Afghanistan ont reçu des armes et toutes autres formes d’assistance pour combattre l’armée soviétique.
Il a été élu pour la première fois au Parlement du Texas alors qu’il n’avait que 27 ans. Tout au long de sa carrière, il a entretenu des liens étroits avec Israël, principalement en raison de l’influence principale du conflit israélo-arabe au début de sa carrière politique en 1973. Tout en étant impliqué dans l’aide aux moudjahidines au Pakistan, il a travaillé en étroite collaboration avec les services de renseignement israéliens et l’armée. Wilson a directement influencé le niveau d’aide américaine, en particulier les budgets de la CIA, pour lesquels il a reçu la médaille d’honneur de la CIA.
Dans sa vie privée, il était insouciant et ne s’en cachait jamais. Il a été surnommé « Sweet Live Charlie » à cause de cela. Il a rempli son bureau de jeunes filles attirantes qui ont été surnommées « les anges de Charlie » par d’autres membres du Congrès.
Tout au long de sa carrière, il a bu beaucoup, ce qui lui a causé un sentiment de détresse et de mélancolie. Boire est devenu particulièrement difficile lors de sa propagation en Afghanistan. À un moment donné, il a été emmené dans un hôpital en Allemagne où on lui a diagnostiqué plusieurs problèmes cardiaques et on lui a ordonné d’arrêter de boire. Après consultation, il a cessé de boire de l’alcool fort, mais il a continué à boire du vin et de la bière. Il était toujours accompagné d’une femme, sauf lorsqu’il était à l’hémicycle du Congrès. Il a admis qu’il était membre du comité du Kennedy Center uniquement pour avoir un lieu pour les rencontres amoureuses.
Depuis son deuxième voyage au Pakistan, il a toujours eu une escorte féminine. À un moment donné, quelqu’un lui a fait divertir ses hôtes avec une danse orientale. Amener des femmes au Pakistan a été une source de tension entre lui et la CIA en 1987 lorsque l’agence a refusé de payer les frais de voyage de sa petite amie. En réponse, Wilson a réduit le budget de l’agence pour l’année suivante.
Wilson a séduit plusieurs femmes durant sa carrière, qui ont affirmé qu’il était romantique et se soucie des rencontres. Il a dit qu’il aimait la vie « en tant qu’une seule grande fête ». Et il vivait selon la règle qu’il « pouvait faire son travail d’une façon sérieuse sans se prendre trop au sérieux ». Après avoir quitté le Congrès, il a continué à être membre du lobby pakistanais. À sa mort, il fut enterré en obtenant toutes ses grandes militaires. Dans un discours d’adieu, son collègue John Wing a indiqué : « Il manquera à tout le monde, des hauteurs du Golan au détroit d’Internet, de la mer Caspienne à Suez », se référant spécifiquement à sa zone d’opération qui coïncide avec la zone du « Grand Jeu ». Après le service, sa veuve Barbara a invité un petit nombre d’amis proches dans la maison. Dans le salon, à côté d’une statue d’aigle américain, se tenaient les paroles de l’émir d’Afghanistan de 1880 à 1901, Abdul Rahman Khan : « Mon âme restera en Afghanistan, même quand mon âme ira à Dieu. Mes dernières paroles à toi, mon fils et héritier : Ne fais jamais confiance aux Russes ».
Les Illusions de grandeur
Le mérite revient à Joane Herring dans la rencontre de Wilson et Zia-ul-Haq, et cette connaissance a conduit à financer la politique anticommuniste du Pakistan. Elle était « la conseillère américaine la plus fiable pour l’administration Zia-ul-Haq ». Zia l’a nommée consul honoraire au consulat général du Pakistan à Houston et lui a décerné la plus haute distinction civile du Pakistan, Tamgha-e-Quaid-e-Azam. Le mérite de sa nomination revient au général et ambassadeur du Pakistan à Washington, Shahyuzabadi Yaqub Ali Khan, un romantique irrécupérable qui peut réciter des versets en plusieurs langues.
L’ancien ambassadeur et conseiller de trois premiers ministres pakistanais, Hussain Haqqani, l’a qualifiée dans son livre « Les illusions magnifiques » qu’elle est « connue pour son éclat que sa sagesse politique » et qu’elle « connaissait peu du pays ».
Elle disait : ce que Charlie et moi avons fait n’impliquait aucun soldat américain. Tout ce que nous avons fait pour aider les Afghans, c’est leur apprendre à s’aider eux-mêmes ». Commentant le retrait actuel des États-Unis d’Afghanistan, Herringova a déclaré qu’ils « ont donné les outils aux Afghans » et qu’ils se sont occupés du reste.
En tant que membre de la commission du budget, au cours des quinze années suivantes, Wilson a fourni des centaines de millions de financement secret à la CIA pour armer les moudjahidines en Afghanistan.
Le cheikh des djihadistes arabes
Comme précédemment mentionné, Brzezinski et l’administration américaine voulaient un conflit entre les Soviétiques et les djihadistes en Afghanistan, mais cela n’explique toujours pas comment le changement s’est produit dans la mobilisation internationale des islamistes radicaux et des extrémistes. Cette transformation et la première mondialisation du djihad ont été rendues possibles par le professeur d’université palestinien Abdallah Azzam qui, dans les années 1980, depuis sa base de Peshawar, au Pakistan, a recruté des Arabes pour combattre en Afghanistan.
Pour cette raison, ils l’appelaient « le père spirituel des Afghans arabes », « le cheikh des moudjahidines arabes », « le héros du jihad arabe en Afghanistan ». Deux ans avant sa mort, il a écrit le livre « Rejoindre la caravane », qui est devenu un livre d’introduction pour tous ceux qui voulaient rejoindre la « caravane », c’est-à-dire le « djihad combatif ». Azzam était un professeur d’université et un moudjahid d’une grande importance dans le développement de l’extrémisme islamique moderne, et en particulier dans la création d’Al-Qaïda.
Il est né en 1941 en Cisjordanie, en Jordanie. Il a rejoint les Frères musulmans palestiniens avant d’avoir atteint l’âge adulte et a pris part à des actions contre Israël. Azzam a obtenu son doctorat en jurisprudence de l’Université Al-Azhar en Égypte en 1973, où il s’est lié d’amitié avec les dirigeants de l’extrémisme islamique de l’époque : Al Qutb, Sheikh Omar Abdel Rahman et Ayman al-Zawahiri. En raison d’une lettre à Gamal Abdel Nasser critiquant l’exécution de Sayyed Qutb, il était sous surveillance par la police égyptienne. Il est devenu conférencier à l’Université d’Amman, mais il a dû partir en raison de ses opinions extrémistes. Il a donc poursuivi sa carrière universitaire en tant que conférencier à l’Université Abdulaziz en Arabie saoudite, où il a influencé toute une génération de Saoudiens, dont Oussama ben Laden.
Depuis la formation de son idéologie à travers l’hostilité de Sayyed Qutb contre américanisme, anti-occidentalisme, le nationalisme et le panislamisme, Azzam a considéré que la cause des problèmes du monde musulman est dans le rôle négatif de «l’excommunication» (non-musulmans). Cela faisait partie d’un complot visant à empêcher la « ummat » (la communauté musulmane) de réaliser l’éventuel État islamique transnational.
Son anticommunisme et son anti-occidentalisme féroces se sont traduits par les deux livres qu’il a publiés : Red Cancer, dans lequel il détaille les maux du communisme et ses manifestations dans le monde arabe, et le nationalisme arabe. Il considère les idéologies, le communisme et le nationalisme sont importés de l’Occident et une ruse juive pour affaiblir l’islam.
La guerre contre les Juifs
Azzam a prétendu que « la révolution bolchevique était juive en termes de l’idéologie, de la planification, du financement et de l’exécution ». « Le philosophe et le penseur Marx était petit-fils du rabbin juif Mordechai Marx, de même pour Lénine, qui traduisait les paroles de Marx en réalité et en révolution ». Il poursuit : « Quant au financement de [la révolution], il est juif. Brooklyn, dans l’est de New York, était l’épine dorsale de la conspiration. Trotski en était originaire. Cette région est toujours le centre des complots juifs visant à détruire l’humanité ». Puisque « toutes les révolutions communistes dans le monde sont des révolutions juives », il n’est pas surprenant que « les Juifs envisagent d’organiser et de former le Parti communiste dans le monde arabe. Ils en sont les dirigeants et les planificateurs ». Dans plusieurs passages, le livre indique la Yougoslavie, en tant que pays qui a massacré les musulmans et empoisonné les pays musulmans : communisme et nationalisme.
Quelque temps après la publication de « The Red Cancer », un an ou deux plus tard, Azzam a écrit un texte similaire, mais plus court, intitulé « Nationalisme arabe ». Il relie à la fois le nationalisme arabe et le nationalisme turc à des influences étrangères à nouveau contrôlées par les juifs. Les deux nationalismes sont nés dans des pays étrangers : le nationalisme arabe est né dans les esprits américains et l’université américaine, tandis que le nationalisme turc est né dans les cercles maçonniques et juifs sous la supervision des juifs espagnols, polonais et italiens. Il ajoute que « tous les dirigeants nationalistes arabes étaient des non-musulmans… et d’origine chrétienne ».
Ces positions ne l’empêchaient pas de rester plusieurs fois aux États-Unis, la première fois en 1977-1978. Il a rencontré l’étudiant Oussama ben Laden et n’a pas donné plus de cinquante conférences en 1981 dans lesquelles il a promu la lutte contre le mal communiste juif qui menace l’islam.
Après avoir été viré de son poste d’enseignant à l’Université de Jordanie en 1980, il a passé une courte période au Centre du nationalisme islamique à l’ouest de l’Arabie saoudite, dans le triangle de La Mecque, Médine et Djeddah, où il a décidé de rejoindre la lutte militaire, mais il ne savais pas lequel. Au final, il a limité le choix à deux options : le Yémen ou l’Afghanistan, car les deux pays luttaient contre le communisme, qu’il détestait. Il voulait aller sur le champ de bataille pour commencer « à pratiquer son appel au djihad ».
Lorsqu’il arrive à Peshawar en septembre 1981, les paysages aux frontières afghanes l’ont marqué profondément : « Quand j’étais aux sommets de l’Afghanistan, je n’y croyais pas ! J’étais palestinien et j’ai subi des défaites répétées dans le monde arabe. C’est là que j’ai vu les victoires et que je me suis vu au sommet. Je ne pouvais pas le croire. « Il est maintenant convaincu que le djihad afghan a été le « début de l’éveil » et un « tournant historique éventuel pour le monde entier ».
Les miracles djihadistes
Les premiers rapports d’Azzam en Afghanistan n’étaient pas liés à la situation politique ni au besoin de combattants étrangers. Ils étaient autour des « miracles divins » dont il prétendait se produisaient souvent sur le champ de bataille. Au cours des années 1980, Azzam a écrit d’une façon étendue sur la dimension surnaturelle du djihad comme aucun écrivain islamique moderne avant lui ne l’avait fait. Le plus long catalogue de miracles a été enregistré sur le champ de bataille : la victoire de 350 moudjahidines sur 5000 russes et 40 avions, dans laquelle les russes ont perdu 3.364 soldats et les moudjahidines seulement 40.
Les moudjahidines ont détruit les combattants russes avec des pierres ou seulement la prière, les armées de fantômes ont aidé les nombreux combattants et les animaux ont prévenu le bombardement. Il y avait aussi des récits de choses mystérieuses qui se sont produites dans les corps des combattants tués : leur sang sentait le musc, leurs corps ne se décomposaient jamais et des rayons de lumière rayonnaient de leurs tombes. Son livre sur les miracles est devenu un classique de la littérature djihadiste et un guide indispensable pour quiconque se prépare pour aller sur la « voie du martyre ».
Le sujet a captivé l’imagination des gens et a indiqué que le djihad afghan est aimé de Dieu et mérite donc d’être soutenu. Les archives des miracles et du martyre d’Azzam ont jeté les bases de la culture du martyre djihadiste sunnite qui existe aujourd’hui. Les écrits d’Azzam sur le paranormal comprenaient deux thèmes distincts mais étroitement liés : les miracles qui se produisent au cours des batailles et les miracles qui se produisent lors du martyre. À l’époque, tous les dirigeants afghans n’étaient pas disposés à accepter des combattants étrangers inconnus et non formés.
Un allié principal
Jalaluddin Haqqani a dirigé l’armée des djihadistes de 1980 à 1992. Et il a le mérite du recrutement des combattants étrangers. Deux des djihadistes les plus célèbres sont des Arabes bien connus – Abdullah Azzam et Oussama ben Laden – qui ont commencé leur carrière comme volontaires avec Haqqani, où ils ont été formés pour combattre contre les Soviétiques. Al-Qaïda et le réseau Haqqani se sont développés en parallèle et sont restés mêlés tout au long de leur histoire. Il en est resté ainsi jusqu’à aujourd’hui. La relation du réseau Haqqani avec Al-Qaïda remonte à l’époque de la création d’Al-Qaïda. La grande différence entre les deux organisations est que les objectifs d’Al-Qaïda sont mondiaux, donc ils utilisent des moyens mondiaux, tandis que Haqqani ne s’intéresse qu’à l’Afghanistan et à la région tribale pachtoune. Jalaluddin Haqqani était plus préoccupé par l’impact de la loi islamique en Afghanistan que par le jihad mondial.
Jalaluddin Haqqani a établi les premiers contacts avec des structures arabes prêtes à fournir une assistance financière, psychologique, politique et de renseignement aux moudjahidines afghans. Contrairement à d’autres dirigeants afghans, les premiers contacts de Jalaluddin avec les États du Golfe ne se sont pas limités à la recherche d’une aide financière. Haqqani remarquait leur volonté précoce de continuer d’accepter les Arabes cherchant à participer au champ de bataille, et Loya Paktia dominée par Haqqani était la destination la plus courante pour les Arabes qui traversaient Peshawar dans les années 1980.
Jalaluddin Haqqani était un allié principal des USA et du Pakistan dans la résistance antisoviétique. Charlie Wilson était tellement épris de Jalaluddin Haqqani qu’il l’appelait « l’incarnation de Dieu ». L’homme que Wilson a décrit un jour comme le « corps de la bonté », Jalaluddin Haqqani, a longtemps été comme un canal pour les volontaires saoudiens, et la CIA n’a eu aucun problème avec de telles associations depuis des années. Oussama ben Laden était l’un de ces volontaires que l’on retrouve souvent dans la même zone où Wilson était l’invité d’honneur de Haqqani. En tant que commandant préféré de la CIA, Haqqani recevait chaque mois des sacs d’argent d’Al-Qaïda à Islamabad. Le réseau Haqqani est aujourd’hui l’épine dorsale du mouvement Taliban qui a succédé aux autorités américaines en Afghanistan.
Le premier devoir après la foi
Jalaluddin Haqqani et Azzam étaient très proches – Azzam a même écrit son testament dans la maison de Haqqani. Le tournant de l’activité d’Azzam et la transformation effective du djihad en un phénomène mondial était en 1984. Puis une nouvelle forme de djihad s’est cristallisée au niveau intellectuel et organisationnel, et Azzam jouait le rôle le plus important dans les deux. La célébrité d’Azzam se tient de son innovation révolutionnaire dans la doctrine du djihad. Il indiquait dans sa fatwa en 1984 « Défendre les terres musulmanes est le premier devoir après la foi » et que le soutien au djihad afghan est un devoir individuel de tous les musulmans en bonne santé dans le monde, et qu’ils ne dépendent donc pas de l’autorisation parentale ou gouvernementale. Pour venir et aider, la fatwa parmi les islamistes radicaux a été soutenue par le grand mufti d’Arabie saoudite, Abd al-Aziz ibn Baz
En 1980, Haqqani a déclaré dans le journal Al-Ittihad qu’aider la lutte afghane est le devoir de chaque musulman, mais il voulait dire une aide financière et morale, et non pas de combattre par le djihad. Azzam a peut-être trouvé une idée et une ligne d’idée dedans, mais bien que la déclaration de Haqqani n’ait pas pris la même forme technique et juridique que la fatwa d’Azzam de 1984, elle était innovante à tous points de vue. La différence était que Haqqani avait les moyens et les méthodes pratiques pour faciliter la participation directe des combattants arabes au « djihad ».
Azzam a expliqué dans l’introduction qu’il avait écrit une fatwa qui était à l’origine beaucoup plus longue et il l’a présentée au cheikh Abd al-Aziz ibn Baz. « Je lui ai lu la fatwa, il l’a améliorée et il a dit : « Elle est bien ». « Puis il était d’accord avec son contenu, mais il m’a suggéré de le raccourcir moi-même et d’écrire une introduction pour la publier, car il était occupé, c’était la saison du Hajj, donc il n’avait pas le temps de la revoir. La mosquée Ben Laden à Djeddah et la grande Mosquée de Riyad ont annoncé que le djihad est une obligation individuelle à compter d’aujourd’hui, selon la description de Azzam dans l’introduction de la fatwa imprimée en 1985.
L’Office du service du Djihad
La fatwa d’Azzam et du MAK a joué un rôle primordial dans la création du mouvement du «djihad mondial». MAK ou le bureau des services, c’est-à-dire l’Office du service des djihadistes arabes, était une organisation fondée en 1984 par Abdallah Azzam, Wa’el Hamza Julaidan, Oussama ben Laden et Ayman al-Zawahiri, et peut simplement être traduit par « bureau de services ».
La tâche de l’organisation était de collecter des fonds et de recruter des djihadistes étrangers pour la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan. L’idée de créer un MAK était dans le projet Badr. Le projet Badr était une tentative d’encourager la coopération entre les factions des djihadites afghans en formant leurs membres ensemble, pour qu’Azzam soit le « chef spirituel » du camp. Etant donné qu’il savait que davantage de djihadistes arabes étaient prêts à se battre et étaient du côté pakistanais, il a décidé de les impliquer dans l’entraînement avec les djihadistes afghans. Ainsi, le projet Badr a œuvré à intégrer les combattants arabes parmi les moudjahidines afghans. Parallèlement, il a mis en place un réseau dont est né le bureau de services.
Le premier frein au début était le financement. Azzam n’avait pas d’argent propre à lui et les flux de donateurs actuels étaient dirigés vers les djihadistes afghans. Heureusement pour lui, un « capital-risqueur djihadiste » est apparu à Peshawar ce printemps-là, il s’appelait Oussama ben Laden. Le fils de 27 ans de l’un des magnats de la construction les plus prospères d’Arabie saoudite a accès à de grandes ressources. Outres les économies, Ben Laden a reçu une allocation familiale annuelle d’environ 200.000 dollars. Cela s’ajoutait à l’argent qu’il pouvait obtenir de sa riche famille et de ses amis dans le royaume. C’était un homme qui pouvait facilement mettre de l’argent sur la table pour une cause en laquelle il croyait.
Le délit d’Al-Qaïda
Ben Laden n’était pas un nouveau venu dans le djihad afghan. Depuis 1979, il se rend régulièrement au Pakistan pour donner de l’argent aux moudjahidines afghans par l’intermédiaire du Jamaat-e-Islami, la branche pakistanaise des Frères musulmans. Ce n’était qu’un soutien financier car, comme en témoigne Oussama ben Laden lui-même, les pays musulmans n’avaient pas de position officielle sur l’Afghanistan. Ben Laden a déclaré qu’il y avait une prudence générale en Arabie saoudite « parce que nous n’étions pas au courant du djihad ou du soutien armé, nous sommes donc allés secrètement et sommes revenus secrètement ». Cela a continué jusqu’en 1984. Jusque-là, Ben Laden ne s’était pas présenté à Peshawar parce que les autorités saoudiennes et sa mère étaient contre cela. Ce n’est que lorsque le journaliste saoudien assassiné et déchiré Jamal Khashoggi a publié une série d’articles à son sujet dans « Al Majali » et « Arab News » en mai 1988 qu’Oussama ben Laden est devenu un personnage collé obligatoire aux « Afghans arabes ».
Azzam a convaincu Ben Laden de se rendre à Peshawar au début de 1984 et ce fut un tournant dans l’implication de ce dernier dans le djihad afghan. Ben Laden a suggéré d’établir un bureau qui accepte des volontaires arabes et supporte l’intégralité des dépenses de 50 à 60 familles arabes choisies par Azzam. En septembre 1984, Azzam a commencé des travaux pratiques pour la mise en place du bureau de services avec de nombreux citoyens arabes ayant participé au projet Badr. Abdallah Azzam était sans aucun doute le promoteur le plus réussi du djihad afghan parmi les musulmans généraux du monde et ses efforts ont amené un grand nombre de djihadistes à Peshawar au cours de la seconde moitié des années 1980.
Lors de la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, le Bureau de services a joué un petit rôle, formant un petit groupe de 100 djihadistes pour la guerre, mais avec 1 million de dollars collectés auprès de sources islamiques. Le bureau entretenait des relations très étroites avec le service de renseignement pakistanais ISI, par l’intermédiaire duquel le renseignement saoudien, Al-Istikhbārāt Al A’amah, acheminait des fonds vers les moudjahidines. MAK a payé les billets d’avion des nouvelles recrues qui se sont rendues en Afghanistan pour s’entraîner. Le bureau a également travaillé en étroite collaboration avec le groupe du Parti islamique de Gulbuddin Hekmatyar, qui travaillait dans un groupe connu sous le nom de Peshawar 7.
Mais Azzam était différent par rapport aux dirigeants des autres groupes dans sa façon de réflexion sur la meilleure façon de mettre ces volontaires au service de la lutte afghane. Sayyaf et Hekmatyar, bien que satisfaits du soutien financier qui a attiré Azzam et son organisation, n’étaient pas disposés à impliquer des étrangers non expérimentés et dans les batailles réelles d’Afghanistan. Etant donné que les maisons d’hôtes du MAK à Peshawar et aux camps d’entraînement dans les zones tribales du Pakistan étaient bondés de combattants arabes nouvellement arrivés, un nombre croissant de ces hommes sont devenus frustrés par la capacité limitée du MAK pour leur faciliter l’accès au champ de bataille.
Cette frustration a finalement conduit à une rupture entre Azzam et son riche patron Oussama Ben Laden, qui a installé des camps à Paktia qui se transformeraient en Al-Qaïda. Ces camps se situaient tout au long des lignes d’approvisionnement de Haqqani et à proximité du site de batailles épiques de Haqqani contre les forces soviétiques. Ainsi, à Paktia sous le contrôle de Haqqani et non à Peshawar, la mobilisation internationale signalée par Azzam a eu lieu et s’est transformée en un mouvement djihadiste mondial.
Le MAK était le pionnier d’Al-Qaïda et a joué un rôle déterminant dans la mise en place du réseau de soutien et de recrutement utilisé par Al-Qaïda dans les années 1990. C’était une organisation humanitaire militaire. Lorsque Azzam a été interrogé à la fin des années 1980 comment le bureau de services avait contribué au djihad, il a cité 13 raisons, dont la première qu’il avait transformé la cause du djihad islamique en Afghanistan en un «problème islamique mondial». Le travail de collecte de données sur ce qui se passe réellement en Afghanistan n’a pas non plus été négligé. Pour y parvenir, il a envoyé des missions ou « convois », comme il les appelait, composés de plusieurs moudjahidines arabes accompagnés d’Afghans qui servaient de guides dans différentes parties de l’intérieur du pays.
L’assassinat d’Azzam en 1989 à l’aide de 20 kilogrammes de TNT dans une voiture a mis un terme à la première étape de la mondialisation du jihad, mais elle ne s’est pas arrêtée. Azzam a obtenu un héritier, une recrue de ses camps de combat.
Le grand stratège
Mustafa Setmariam Nasar, connu sous le nom d’Abou Moussab al-Souri peut être considéré comme étant l’architecte du « djihad mondial » moderne. Abou Moussab al-Souri est le contraire du modèle typique du terroriste suicidaire programmé. Il est souvent décrit comme un critique né avec un don pour le sarcasme et l’ironie avec laquelle il divertit ses lecteurs. Il avait la peau blanche et les cheveux roux, il pouvait donc facilement passer devant un propriétaire d’un bar irlandais. Il était capricieux et n’hésitait pas à critiquer les chefs djihadistes. Ainsi, il a critiqué la dépendance de Ben Laden à l’attention des médias et a critiqué l’imam Qatada, le Palestinien résidant à Londres, pour avoir justifié l’effusion de sang en Algérie et sa compréhension idéologique de l’islam.
On pourrait penser qu’il représentait le côté le plus doux et le plus humain du terrorisme d’Al-Qaïda, mais ce n’était pas le cas. Sa cruauté envers les ennemis de l’Islam ne connaît pas de limites, car il a directement appelé à des attaques terroristes qui entraîneraient de lourdes pertes en Occident, y compris l’utilisation d’armes de destruction massive. Al-Souri est l’artiste intellectuel des œuvres qualifiées appelées les attaques de « loup solitaire » avec un grand nombre de victimes, comme on a pu le voir dans les capitales européennes ces dernières années.
Après son voyage depuis sa ville natale d’Alep, en Syrie, en passant par l’émigration vers l’Europe, le temps passé à Peshawar, puis l’Espagne et Londres, puis son retour en Afghanistan avec les Talibans puis de se cacher au Pakistan, l’histoire des Afghans arabes et aAl-Qaïda peut être vue sous un autre angle.
Dans les années 1980, al-Souri s’est installé en Espagne et a obtenu la nationalité espagnole en épousant une Espagnole convertie à l’islam. Comme de nombreux combattants islamistes de l’époque, al-Souri participait au djihad afghan et a noué une relation avec Oussama ben Laden.
L’expérience syrienne
En 1987, Nasar avait quitté l’Espagne avec un petit groupe d’amis syriens pour se rendre à Peshawar, où il avait rencontré Abdallah Azzam, le père du mouvement arabo-afghan. Abou Moussab a travaillé comme officier de formation dans des camps des combattants volontaires arabes et a également combattu en première ligne contre l’Union soviétique et le gouvernement communiste à Kaboul après le retrait soviétique en 1988.
Al-Souri a rencontré Oussama ben Laden à Peshawar et a déclaré qu’il faisait partie de son entourage et avait travaillé avec Ben Laden vers 1992, lorsqu’il est retourné en Espagne. Al-Souri est devenu célèbre à Peshawar sous son pseudonyme Omar Abdel Hakim après avoir publié en mai 1991 un traité de 900 pages intitulé « La révolution du Djihad islamique en Syrie », également connu sous le nom de «L’expérience syrienne». La lettre était une attaque cinglante contre les Frères musulmans pour leur coopération avec les régimes laïques en Syrie et en Irak, et c’était une partie importante des fondements idéologiques d’Al-Qaïda et du mouvement djihadiste dans les années 1990.
La maladie d’écran de Ben Laden
Al-Souri est revenu en Afghanistan en 1996, où il a de nouveau rencontré Ben Laden. Cet été, il a aidé à organiser une interview entre le journaliste britannique Robert Fisk et le chef d’Al-Qaïda. Il a également accompagné les reporters de CNN Peter Arnett et Peter Bergen de Londres en Afghanistan pour rencontrer Ben Laden et enregistrer sa première interview télévisée. Peter Bergen, qui a communiqué avec al-Souri en français, a déclaré qu’il était « intelligent, intense, éclairé et extrêmement dangereux » et qu’il était « impressionné » par son intelligence. À l’époque, il n’exprimait pas ses opinions radicales et extrémistes.
Lorsqu’il est revenu en Afghanistan à l’invitation des Talibans, qui étaient au pouvoir, il n’était pas connu comme membre d’Al-Qaïda, mais il a développé une relation étroite avec le mollah Omar. Puis il a écrit : « La chose la plus étrange que j’ai entendue jusqu’à présent, c’est qu’Abou Abdallah (Ben Laden) n’écoute pas le chef du Taliban (mollah Omar) qui lui a demandé d’arrêter de donner des interviews. Je pense que notre frère (Ben Laden) est malade des écrans, des flashs, des publics et des applaudissements.
Fidèle pour un prince loyal
Le djihadiste libyen Noman Benotman a affirmé l’existence de différends entre les deux, notant qu’avant le 11 septembre, al-Souri et Ben Laden se détestaient. Al-Souri n’aimait pas le commandement de Ben Laden, en le qualifiant de « dictateur » et de « pharaon ».
Ce n’est qu’après le 11 septembre et l’attaque américaine contre l’Afghanistan qu’Al-Souri a apporté son plein soutien à Ben Laden : « quand j’ai rencontré le Cheikh Oussama la dernière fois en novembre 2011 lors des bailles pour défendre l’Emirat, nous avons juré d’être Fidèles au commandeur des croyants (le chef du Taliban, le mollah Omar), j’ai promis à Cheikh Oussama que je persévérerais dans le djihad et la guerre contre l’ennemi.
Al-Souri était un intellectuel autodidacte, fin connaisseur de la musique classique occidentale. Son amour pour sa femme espagnole était – contrairement aux islamistes les plus militants – étrange pour ses connaissances. Il n’était certainement pas un musulman ordinaire.
Sa vision stratégique du monde était très différente de celle d’Al-Qaïda. Il partageait son mépris pour Ben Laden, le « grand-père » de l’Etat islamique, le Jordanien Abou Mousab al-Zarqaoui. De l’avis de tous, al-Souri a eu une grande influence sur al-Zarqaoui, bien qu’il l’ait nié.
Une invitation pour la résistance islamique
Al-Souri a exprimé son point de vue après l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001 dans un livre de 1600 pages intitulé « Un appel mondial à la résistance islamique ». Il a exposé sa vision d’Al-Qaïda 2.0 basée sur les leçons de l’histoire et une lecture attentive de la géopolitique et de la stratégie militaire occidentales. L’État islamique n’avait qu’à suivre le travail de ce planificateur stratégique d’Al-Qaïda.
Il était différent plus que d’autres théoriciens et partisans du djihad parce qu’il croyait que l’utilisation de la violence devait être basée sur une stratégie réfléchie, rationnelle et à long terme. Il s’est fixé pour objectif de libérer le monde musulman de l’occupation indirecte et directe tout en renversant les gouvernements non islamiques.
Son modus operandi consistait à évaluer les attentats terroristes passés afin de tirer les leçons des erreurs commises. Il était analytique, rationnel et critique dans un mouvement idéologique où l’obéissance était attendue et gouvernée par des idéologues dogmatiques. Al-Souri a utilisé la rigueur académique laïque, incorporant la littérature occidentale dans la guérilla, la sécurité internationale et les relations de grandes puissances, créant ainsi une doctrine fascinante de la guerre djihadiste décentralisée dans l’environnement post-11 septembre. Il a considéré que le fanatisme obsessionnel, le martyre et la haine avaient aveuglé les terroristes djihadistes en Occident et qu’ils n’avaient aucune stratégie rationnelle. Ce n’était pas un chef religieux sentimental, c’était un soldat dont l’occupation principale était la guérilla. Il méprisait les salafistes pour leur foi et la limite de leur esprit.
Dès le début, il a adopté des idées qui ont ensuite été appliquées par les dirigeants d’Al-Qaïda. Au printemps de1991, il a rédigé son premier papier de recherche sur la nécessité d’une «résistance islamique mondiale», appelant à une lutte mondiale contre l’Occident basée sur des réseaux diffus, non hiérarchiques et décentralisés. De cette manière, il s’est éloigné de la focalisation djihadiste traditionnelle sur « l’ennemi le plus proche », les régimes arabes.
La décentralisation dans le djihad
Al-Souri a constaté plusieurs faiblesses dans l’activité djihadiste. La première est la nature faible de l’organisation terroriste traditionnelle, centralisée, « hiérarchique secrète ». Dans de telles organisations, si un membre est arrêté, tous les autres membres tomberont. Selon Al-Souri, ce qu’il faut, c’est « un système, pas une organisation ». L’élément essentiel de ce « système de résistance » serait des individus qui ne s’engageraient à rien « sauf à croire aux idées, à être absolument certains de leurs intentions, à rejoindre le message et à s’éduquer eux-mêmes et ceux qui les entourent ».
La relation entre le système et l’individu, selon al-Souri, consistera en un objectif commun, un nom commun et un programme idéologique djihadiste commun. C’était exactement l’attitude des assaillants de San Bernardino ou des assaillants d’Orlando envers l’État islamique. Il s’avère que les réseaux sociaux ont facilité l’application de la théorie d’al-Souri.
Chercher la base
Beaucoup pensent que les racines et la forme de l’État islamique en 2014 se trouvent dans le « Printemps arabe » de 2010 et 2011. C’est un résultat tentant, mais il est incorrect. Avant même que personne ne pensait au « Printemps arabe », al-Souri a détaillé non seulement à quoi ressemblerait une future « guerre djihadiste », mais aussi où elle se déroulerait, en raison des conditions favorables. Il pensait que l’objectif de «l’appel à la résistance» serait la consolidation physique et le contrôle territorial, une autre leçon qu’il a tirée du «cas des Talibans».
Il n’a pas considéré que la plus grande perte des attentats du 11 septembre 2001 était la destruction de la base existante, mais plutôt l’expulsion des Talibans d’Afghanistan, ce qui signifie que le groupe, avec la perte de contrôle sur le pays et le gouvernement, la terre, n’ayant plus « d’abri physique unifié », sa base. Al-Souri a exclu la majeure partie de l’Asie occidentale, de l’Asie centrale et de l’Afrique comme une région appropriée pour la mise en place d’une telle base qui serait le point focal de l’État islamique. Il a notamment mentionné – et il est important de rappeler qu’il l’a fait avant l’invasion américaine de l’Irak en 2003 – le Levant et l’Irak, qui possédaient des caractéristiques propres à un « djihad de front ouvert ». Al-Souri a également prédit que les États-Unis et leurs alliés attaqueraient la Syrie, ce qui donnerait à l’avant-garde d’Al-Qaïda là-bas un avantage significatif dans un conflit asymétrique.
Des cercles concentriques
La dernière leçon tirée par Al-Souri était la nécessité de structurer la «mission de résistance» d’une manière décentralisée qui lierait le djihad terroriste individuel à l’objectif stratégique d’un front ouvert et d’un djihad régional. Il propose une organisation en trois cercles concentriques. Le cercle intérieur (centré autour de l’émir ou du calife) sera le cercle du commandant. Ce cercle est forcément centralisé d’une façon organisationnelle et physiquement situé au même endroit (dans le cas de l’État islamique, le pilier était en Syrie). Le second cercle se situe dans le cercle des « unités décentralisées » constituées de djihadistes directement entraînés puis dispersés dans le monde. Enfin, il y a le cercle extérieur composé d’individus. Bien que les individus et les unités des deux cercles internes soient autorisés à communiquer entre eux par eux-mêmes, ce n’est pas le cas pour la communication avec le cercle extérieur, où les individus et les unités fonctionnent de manière indépendante, mais en conjonction avec des « priorités organisationnelles » plus larges.
Il peut être séduisant de regarder l’État islamique, aveuglé par sa violence apparemment nihiliste, comme un groupe sans stratégie ni vision globale. Une partie de ce déni est psychologique : si vous acceptez que le groupe a effectivement une grande stratégie, il peut sembler que vous accordez beaucoup de crédit à l’État islamique. Le point, cependant, est que le travail des théoriciens du jihad après le 11 septembre révèle une compréhension remarquablement sophistiquée des moyens et des fins du jihad mondial – l’État islamique (comme « Al-Qaïda 2.0 ») a une stratégie pour son présent et son avenir.
L’étape de l’unification
Le grand expert des mouvements et des orientations d’Al-Qaïda, Lawrence Wright, a constaté dans le New Yorker depuis 2006 que al-Souri précisait que la prochaine phase du djihad sera caractérisée par le terrorisme d’individus ou de petits groupes indépendants (ce qu’il appellait la «résistance sans chef»), qui épuiseront l’ennemi et ouvriront la voie à un objectif beaucoup plus ambitieux de faire la guerre sur les fronts, car sans conflit pour la terre et le contrôle de la terre, l’État ne peut être établi, qui est l’objectif stratégique de la résistance.
Au début de 2014, le Dr Sami al-Oraydi, un éminent responsable de la charia du groupe djihadiste syrien Jabhat al-Nosra, a admis que son groupe avait été influencé par les enseignements d’Abou Moussab al-Souri. Les stratégies consistaient à gagner les cœurs et les esprits des communautés musulmanes locales qui découlent des conseils d’Abou Moussab. Elles incluent : servir le peuple, éviter d’être considéré comme des extrémistes, maintenir des relations solides avec d’autres communautés et groupes armés et se concentrer sur le combat contre le gouvernement.
C’était l’étape de la consolidation de l’occupation de la grande ville et des centres urbains à Raqqa et Mossoul en Irak et Palmyre en Syrie. À ce moment-là, alors que l’État islamique était à son apogée, la question posée était est-ce que l’organisation terroriste a-t-elle dépasse sa nature pour devenir vraiment un « État » ? Cela signifie qu’elle s’occupe de toutes les fonctions de l’État, de la violence, la perception des impôts au paiement des pensions et à la garde des jardins d’enfants. En réalité, à un moment donné, l’État islamique s’est vanté de la façon dont il organisait la vie dans le «califat» et de la façon dont ses sujets vivaient des vies très heureuses comme les autres Etats, seulement plus sûr, plus épanoui et plus significatif.
La deuxième génération de djihadistes
Le politologue français Gilles Kepel dit que « al-Souri fait partie de la deuxième génération du mouvement djihadiste, ceux qui s’inquiétaient de l’échec de la mobilisation après le 11 septembre ». L’occupation américaine de l’Irak, selon al-Souri, a créé une « nouvelle ère historique » qui a sauvé le mouvement djihadiste lorsque nombre de ses détracteurs ont cru qu’il était terminé.
La structure hiérarchique d’Al-Qaïda (les organisations) a été nommée la « mentalité Tora Bora » par al-Souri, Ben Laden. Au lieu de cela, il a proposé une doctrine appelée « le système d’organisation désorganisée » (le système d’organisation). Sa vision d’Al-Qaïda était beaucoup plus large que celle de Ben Laden. Il considérait Al-Qaïda comme un simple point de départ du soulèvement islamique mondial. « Al-Qaïda n’est pas une organisation, ce n’est pas un groupe, et nous ne voulons pas qu’il le soit », a indiqué al-Souri. C’est une invitation, une référence et une méthodologie. Finalement, son commandement sera éliminé.
En 2005, les forces de sécurité pakistanaises ont arrêté al-Souri et l’ont livré à la Syrie, où il était recherché. Selon les dernières informations, il est encore détenu dans une prison syrienne.
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