Wejdan Nassif
Suite à la transformation de la révolution syrienne en une guerre fin 2011, à cause de la violence excessive utilisée par le régime, des groupes de travail d’urgence ont commencé à apparaître dans chaque région, composés d’activistes locaux, pour qu’ils se fassent connaître plus tard comme «des organisations de la société civile». Indépendamment de la convenance et de la légitimité de cette appellation, elle est devenue la meilleure scène d’action des femmes syriennes où elles mettaient tous leurs efforts, leur temps et les leurs idées. Elle n’était pas seulement le seul espace disponible pour une action relativement sûr, mais elle démontrait aussi la capacité de traiter avec dynamisme et flexibilité les évolutions rapides de la scène, contrairement à la lenteur et à la stagnation de l’action politique, d’autant plus que l’action civile, censée être « neutre » et loin des polarisations politiques et militaires, constituait un facteur attractif pour ceux qui les soutiennent parmi les organisations internationales et les organisations internationales non-gouvernementales qui ne voient plus des réalisations palpables dans le processus politique de la part « des parties en conflit ».
Cependant, cela imposait aux femmes une large liste de défis : entre la scène de travail politique, gérée avec une mentalité machiste en les excluant et en les rabaissant en tant que partenaire et acteur politique, et entre la scène de travail social basé sur les hiérarchies familiale, tribale, religieuse, sectaire et régionale qui excluent les femmes et les placent en bas de la pyramide. Les féministes syriennes œuvrent à travers les organisations de la société civile pour leur trouver un espace. Un espace qui commençait à se préciser et à se déployer au fil du temps à travers l’expérience et l’apprentissage des expériences échouées, puisque l’imitation d’autres expériences sans étudier le contexte syrien exceptionnel semble une perte d’efforts et de temps.
Bien que les acteurs gouvernementaux et les politiques internationales restent le principal acteur des interventions dans les pays en conflit, y compris la Syrie, les acteurs non-gouvernementaux et les organisations internationales travaillent principalement sur des programmes de règlement de conflit et le traitement des facteurs qui empêchent son déclenchement une autre fois principalement le travail pour l’autonomisation des femmes politiquement et socialement afin de les impliquer dans la prise de décision, partant du principe que la participation des femmes est une soupape de sécurité pour la démocratie et la paix durable.
On peut constater une certaine distinction entre les organisations féministes syriennes à travers leurs priorités en fonction du contexte vécu et le fait de se priver de certaines priorités afin d’obtenir des financements. La relation avec le donateur constitue un défi supplémentaire pour les organisations civiles en général à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie et les organisations féministes en particulier. Le lien avec un seul donateur, bien qu’il garantisse la pérennité du financement, peut conduire à une dépendance et donc les priorités de l’organisation sont négligées au profit des priorités du donateur, mais s’il y a plus d’un donateur, l’organisation augmente ses marges de mouvement et la flexibilité de ses actions.
Les organisations non-gouvernementales internationales financent des programmes d’autonomisation des conseils locaux et des organisations enregistrées dans les zones hors contrôle du régime, et elles exigent souvent la participation des femmes. Pour cela, certaines organisations civiles non-féministes ont commencé à inclure des programmes et des activités ciblant les femmes dans leurs agendas, qui peuvent ne pas s’appuyer sur une conviction ou une vision stratégique claire, voire en étudiant le contexte autant qu’elles visent à satisfaire aux donateurs internationaux. Une donne qui remet en question de plus en plus l’utilité de ces activités sur le terrain.
Il y a un besoin fondamental aux donateurs de la part des organisations locales, car la plupart d’entre elles sont des organisations fragiles, opérant souvent sans licence, sans garanties et sans protection. Par conséquent, dans toutes leurs activités, même les plus petites, elles dépendent d’un accompagnateur extérieur plutôt que de travailler à développer ses outils en créant des initiatives personnelles, et il semble qu’il soit difficile aujourd’hui de parler de potentialités vu la rareté des capacités, ou plus précisément leur absence totale.
Il y a une équation à résoudre pour que les organisations obtiennent une plus grande marge d’indépendance vis-à-vis du bailleur de fonds, même si les financements octroyés à la société civile ne sont finalement pas dangereux, en comparaison aux financements octroyés aux acteurs politiques et militaires, mais les organisations locales qui reçoivent des financements devraient toujours chercher leurs intérêts qui sont au final les mêmes intérêts des groupes qu’elles représentent et ciblent.
Les problèmes de financement se posent également pour la question du travail en tant que médiateur entre les acteurs de terrain et le donateur international, et cela touche les organisations féministes à l’étranger, car elles marginalisent le produit final au profit des procédures de bureau et de la satisfaction du donateur. Il est également superflu de dire que les donateurs ont influencé le changement du concept de volontariat en transformant des activistes de la société civile en rédacteurs de rapports.
Les politiques sociétales sont un enjeu pour toute la société, hommes et femmes, et donc la question des droits des femmes doit devenir une préoccupation publique. Il est évident dire que pour avoir un impact, il faut chercher des partenaires temporaires et des alliés pour chaque problème séparément, sans fermer les yeux sur la vision féministe qui travaille finalement pour la lutte contre le monopole des positions de pouvoir et d’autorité dans la structure sociale. En outre, il s’agit de travail nécessairement sur le développement de différents outils pour chaque étape, ainsi que sur l’élaboration des plans d’autonomisation pour que les organisations poursuivent leur travail en l’absence de financement et du retrait des organisations internationales.
Les donateurs peuvent également, pendant qu’ils sont en train d’atteindre leurs objectifs, promouvoir une culture de diversité, de différence et de partenariat entre les organisations en œuvrant à consolider le financement du travail stratégique et en accordant plus d’attention au produit sur le terrain au détriment des conditions bureaucratiques qui épuisent le temps des activistes et contribuent à faire disparaitre le concept de bénévolat.
Après une décennie de travail acharné des féministes syriennes qui ont trouvé dans la révolution une opportunité vers le changement social souhaité, notamment en ce qui concerne le changement de l’image stéréotypée des femmes et leur autonomisation et la participation à la prise de décision, les résultats sur le terrain semblent modestes et ne représentent pas l’effort et l’argent qui ont été dépensés. Mais le travail social et politique dans la circonstance syrienne actuelle est un travail cumulatif, dur et à long-terme nécessitant la patience, le courage et la persévérance. Bien que les féministes ne puissent toujours pas voir les résultats de leurs efforts aujourd’hui, on peut dire qu’au fond il y a quelque chose qui a changé que nous ne pouvons pas voir maintenant.
Les femmes qui ont pris conscience des droits des femmes et des droits humains, même si leurs voix ne sont pas entendues aujourd’hui, mais celles-ci resteront dans leur conscience, et des paroles et des actions sortiront lorsque les circonstances appropriées se présenteront. Dans leur voie pour lutter contre la tyrannie politique, d’autres sources de tyrannie se sont révélées aux femmes syriennes. Elles ont dû faire face à l’oppression politique, à la tyrannie sous toutes ses formes et à l’autoritarisme sociétal, qui entrave leur participation dans la sphère publique, les prive de leurs droits et les marginalise. Aujourd’hui, elles mènent un combat complexe qui prend forme à travers la clarification des intersections des différentes sources d’oppression, nécessitant d’établir des agendas féministes clairs, de développer des outils et de consolider la participation, tout en maintenant l’indépendance, la spécialisation et l’accumulation des luttes afin qu’à l’avenir, les forces politiques ou sociales ne puissent plus ignorer le rôle de la société civile et des organisations féministes, en tant que l’un des les tributaires les plus importants de la réforme et du changement, et la promotion et l’autonomisation de la démocratie dans nos sociétés.