Une décennie après le déclenchement du Printemps arabe, comment peut-on évaluer l’expérience des islamistes au pouvoir ? Ce qui change chez eux et est-ce que les islamistes ont-ils changé ? L’expérience du pouvoir a-t-elle mise à nu l’utopie des courants politiques islamiques et a démontré leur impuissance et la faiblesse de leurs compétences ? L’exercice du pouvoir ne requiert-il pas un aspect plus technique et plus habile que le besoin des stratégies fallacieuses de ceux qui s’autoproclament l’ombre de Dieu sur terre?
La légitimité des Constitutions l’emporte sur la légitimité de la rue
Au cœur du débat constitutionnel qui a suivi le renversement des régimes, particulièrement en Tunisie et en Égypte, le changement de position des courants de l’islam politique en passant d’organisations adoptant un changement radical global à des mouvements de réforme cherchant à participer au gouvernement sous un régime civil démocratique était intéressant.
Les courants de l’islam politique qui ont surfé sur la vague du Printemps arabe avaient l’intention d’adapter la situation en leur faveur, mais le contraire s’est produit lorsqu’ils se sont trouvés des sujets du changement, et peut-être la réforme constitutionnelle dans laquelle le reste des partis politiques, partenaires dans la révolution et d’autres ont été engagés, qui aurait freiné les islamistes du printemps arabe.
Tunisie … l’Etat civil triomphe
Le 30 janvier 2011 a enregistré la première démonstration de force du mouvement «Ennahda», lorsque des milliers de Tunisiens se ruaient sur l’aéroport de Tunis-Carthage pour accueillir le chef du mouvement, Rached Ghannouchi, qui rentrait dans son pays après 22 ans d’exil.
Le message codé porté par la mobilisation des sympathisants semblait étrange à l’époque, compte tenu des déclarations précédentes du porte-parole de Ghannouchi, dans lesquelles il confirmait que l’homme « ne se présentera à aucun poste politique ».
Des déclarations qui sont vite restées lettres mortes : le 23 octobre 2011, les premières élections ont eu lieu en Tunisie et le mouvement «Ennahda» est descendu par toutes ses forces, remportant la majorité des sièges de l’Assemblée nationale constituante.
Cependant, la route qui semblait semée de fleurs devant la domination du mouvement d’Abdelfattah Mouro sur la scène politique s’est vite transformée en route cahoteuse, pour que « Ennahdha » connaisse un revers lors du second test électoral, annonçant en effet la difficulté d’infiltration du projet de l’islam politique dans la république aux traditions laïques.
Cette lecture dans la scène tunisienne n’a pas plu aux théoriciens d’Ennahda, qui considéraient que ce qui s’est passé d’une manière ou d’une autre reflète une loi générale relative à la prise en charge des fardeaux du pouvoir avec tous ses défis et risques dans la période post-révolution.
L’Égypte entre fondamentalisme religieux et les militaires
Un an et demi après l’éviction du président Hosni Moubarak, Mohamed Morsi a pris le pouvoir en Égypte en juin 2012 suite aux élections relativement démocratiques, mais l’homme ne restait pas au pouvoir pendant longtemps. Un an plus tard, une partie de la jeunesse égyptienne est revenue dans les rues, mais cette fois contre les Frères musulmans.
Ce changement de situation s’explique par le chercheur dans les affaires des mouvements islamiques, Kamal Habib, que la période de règne du mouvement a altéré son image, et qu’« il n’y avait pas de capacité pour développer les pensées des Frères musulmans». Ils étaient dépendants des anciennes références de Hassen el-Banna et Sayyid Qutb, tandis que cet ancien héritage est incapable de répondre aux questions de la nouvelle génération. Par ailleurs, le chercheur libanais Hadi Wahab a dit: «Cette expérience les a mis à nu, car ils ne portaient aucun de projet économique ou politique alternatif, mais il s’est avéré plutôt qu’ils ne voulaient qu’atteindre le pouvoir ».
Par la suite, la situation s’est évoluée d’une façon dramatique, pour atteindre le point culminant en juillet 2013, lorsque le ministre de la Défense Abdel Fattah al-Sissi a renversé le président Mohamed Morsi et l’a traduit devant la justice.
La narration chronologique ci-dessus illustre comment l’expérience de règne a fait entrer la relation des Frères musulmans avec l’armée égyptienne dans une bataille existentielle basée sur le fait que le pays ne peut pas les abriter les deux à la fois, et que l’une des deux parties ne peut pas exister si l’autre partie n’est pas éliminée.
Est-il possible de dire maintenant que la main de fer avec laquelle l’armée égyptienne traite les «Frères musulmans» aurait réussi à les éliminer définitivement ?
Le professeur en sciences politiques à l’Université du Caire, Mustafa Kamel Al-Sayed, a répondu à cette question en disant: « Je ne pense pas que l’organisation soit finie, mais il leur est difficile de revenir sur la scène d’une façon explicite sous le régime égyptien dans son état actuel ».
Pragmatisme tardif
L’expérience du pouvoir et son exercice ont mis les islamistes à l’épreuve, et les jours qu’ils ont passés en tenant les fils du pouvoir ont démontré qu’ils n’étaient pas prêts à gérer les affaires publiques en raison du manque d’expérience et de manque de compétence.
Et même s’il y a ceux qui prétendent que l’échec de règne des Frères musulmans, par exemple, est causé par «le changement charnière dans le processus stable du groupe depuis sa création en 1928, c’est-à-dire par la décision de participer des Frères musulmans à la révolution contre le régime de Hosni Moubarak ».
Cette transformation sera la cause de la conscience brutale qui a vaincu les Frères muslmans quand ils ont été incapables de formuler une théorie de gouvernance sans leurs premières références. Le peuple ne l’a pas accepté cela de leur part et ne leur a pas permis le pouvoir autant qu’ils l’attendaient, ils ont donc été déçus.
Cette situation de séparation de la société poussera d’une façon pragmatique les islamistes à mettre leurs références dans les terroirs et d’accepter de travailler selon les règles qui prévalent vigueur. Le Parti marocain de la Justice et du Développement, par exemple, n’a pas hésité à revenir sur ses positions antérieures. Quelques jours après l’investiture d’Abdel-Ilah Benkiran en tant que premier ministre, son collègue du parti, Mohammad Yatim, s’est précipité pour affirmer que le gouvernement islamiste n’imposerait pas un ordre moral strict aux citoyens, et qu’il n’y aurait jamais de police morale ou empêcher les gens de boire de l’alcool parce que ce sont des questions de foi et de convictions personnelles.
L’essentiel : les islamistes au pouvoir … est-ce que la pire alternative ?
L’arrivée des islamistes au pouvoir en Égypte et en Tunisie a été une réaction négative contre les régimes Moubarak et Ben Ali plus qu’une conviction de leur projet électoral et politique. En conséquence, les pays touchés par le Printemps arabe et dirigés par les islamistes sont entrés dans plus de crises économiques et sociales que celles qu’ils ont héritées des régimes précédents, à l’exception de l’expérience du Parti de la justice et du développement marocain, qui réalisait des résultats économiques respectables au niveau des grands équilibres économiques, en profitant de cette particularité marocaine basée sur le changement par la continuité, et la présence de garanties au niveau du palais qui a contribué à rassurer les hommes d’affaires locaux et étrangers, et qui a également consolidé les gouvernements Benkiran et El otmani avec des cadres et des compétences provenant du monde de l’économie.
C’est peut-être cela a poussé Benkiran à indiquer : «J’ai dit clairement aux Marocains depuis que Sa Majesté le Roi m’a nommé, si les Marocains veulent un chef du gouvernement qui entre en conflit avec le roi à cause des prérogatives ou non, alors qu’ils cherchent quelqu’un autre ».