Albert Farhat
Maintes fois reportée, la conférence de Berlin sous les auspices de l’ONU pour tenter de créer les conditions d’un processus de paix permettant une solution politique au conflit en Libye, en proie à une guerre civile opposant les deux hommes forts du pays qui s’accusent mutuellement de bénéficier du soutien militaire de puissances étrangères, se tiendra finalement le 19 janvier 2020.
Cette conférence qui verra la participation des États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France, la Chine, les Émirats arabes unis, la Turquie, le Congo, l’Italie, l’Égypte, l’Algérie, l’ONU, l’Union Européenne, l’Union Africaine et la Ligue des États arabes s’inscrit dans le cadre d’un processus initié par le chef de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye, Ghassan Salamé.
Ce processus politique comporte trois phases : la première étant le cessez-le-feu immédiat, la seconde un accord entre les pays actifs en Libye pour se retirer et de renforcer l’embargo existant des Nations unies sur les armes et la troisième est de parvenir à une solution pacifique purement inter-libyenne.
Paradoxalement, chacun des deux camps libyens bénéficie du soutien, direct et indirect, des puissances étrangères qui participent à cette conférence berlinoise de réconciliation politique. Un rapport de l’ONU, publié la semaine dernière, épingle notamment la livraison de drones, blindés et missiles antichars par la Jordanie, la Turquie et les Émirats arabes unis, en violation de l’embargo sur les armes de l’ONU. Pareillement, pour les services français de la DGSE qui furent grossièrement démasqués dans leur action de soutien technico-opérationnel aux forces du maréchal Khalifa Haftar et leur tentative de manipulation, menées en direction de certaines personnalités et tribus libyennes, et cette suite à l’écrasement de leur hélicoptère, abattu par des milices soutenant le GNA de Fayez al-Sarraj.
L’Égypte soutient ouvertement le maréchal Khalifa Haftar, considérant que la situation chaotique en Libye a un impact direct sur la sécurité nationale égyptienne. Le maréchal Khalifa Haftar compte sur l’assistance de l’Égypte qui lui a déjà livré en décembre dernier des chars T-72 et des véhicules blindés de transport de troupes. Le président égyptien aurait également donné des instructions à son aviation pour assurer une couverture aérienne à la progression du maréchal Khalifa Haftar sur la capitale libyenne Tripoli. Cette mesure intervient en réponse à celle du président Recep Tayyip Erdogan qui avait décidé d’envoyer une force de volontaires islamistes prélevés du théâtre syrien.
Derrière ces protagonistes déclarés que sont la Turquie et l’Égypte, on retrouve deux conceptions géopolitiques de l’Islam qui s’affrontent, d’une part, la Turquie qui soutient le courant des Frères musulmans, appuyée financièrement par le Qatar et dont se sentent proches la plupart des milices soutenant le GNA de Fayez al-Sarraj, et d’autre part, le régime égyptien qui lutte obstinément contre les Frères musulmans.
Le maréchal Khalifa Haftar bénéficie également du soutien prononcé de la France, de l’Égypte, du Soudan, des pétromonarchies et de la Jordanie, et tout particulièrement des Émirats arabes unis qui, assurent l’essentiel du soutien militaire à travers les bombardements aériens de ses avions de combat Mirage, lui avaient récemment offert un escadron de six d’avions Archangel ISR, de fabrication américaine, lesquelles fournissent aux forces au sol une surveillance et un soutien aérien rapproché.
Certaines sources ouvertes signalent que les Américains font désormais partie des unités militaires de Khalifa Haftar en qualité de conseillers. De ce fait, il n’est pas surprenant d’avancer que les deux parties aient communiqué activement et avaient coordonné leurs plans d’attaque sur Tripoli. D’ailleurs, avant de marcher sur Tripoli, Haftar avait été encouragé par Trump qui l’avait appelé au téléphone pour lui déclarer le « rôle important qu’il joue dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de la Libye ».
Le maréchal Khalifa Haftar bénéficie également dans sa guerre contre Tripoli de l’appui de plusieurs centaines de mercenaires de différentes nationalités, notamment russes, la plupart des sous-traitants du fameux « groupe Wagner ».
De son côté, le gouvernement basé à Tripoli reçoit, en plus de l’aide de la Turquie, celles du Qatar et de l’Italie. La Turquie livre du matériel militaire et forme des combattants, via la société turque de sécurité privée SADAT.
Dans ce méli-mélo géopolitique de guerre par procuration que se livrent certaines puissances en Libye, notamment les services secrets français, américains, russes et italiens, la conférence de Berlin du 19 janvier 2020, semble ressembler étrangement à celle de 1884 qui a vu le partage de l’Afrique entre les grandes puissances coloniales. Cette conférence ne peut constituer, dans sa version actuelle, pour les deux antagonistes libyens qu’un moment de répit momentané pour se redéployer et contracter d’autres alliances.
De ce fait, la conférence de Berlin qui ne durera que six heures de temps, aura la lourde tâche non pas à convaincre les deux forces libyennes antagonistes mais davantage à départager les puissances, figées chacune dans sa position.
Toute publication et rédaction sont conservées dans MENA Media Monitor