Bien que le mouvement Taliban, les mouvements salafistes et l’extrémiste Boko Haram, sans oublier le régime iranien demeurent engagés d’une forme d’extrémisme islamique portant une focalisation sur la violence, l’extrémisme djihadiste s’est avéré impopulaire pour la plupart des musulmans, ce qui implique une contre-réaction opposée violente, étant donné que la promesse d’un État du rêve islamique a perdu tout son charme.
Et ce qu’on appelle l’« islam légalitaire » a trouvé une éventuelle solution évitant le recours à la violence d’une façon explicite. L’essence de cette stratégie de substitution réside dans le fait de se focaliser autant que possible sur la Da’wa (technique de prosélytisme pour recruter des adeptes, Ndlr).
Vingt et un ans après les événements de 11 septembre, les Occidentaux n’ont pas suffisamment conscience de la Da’wa. Sur le plan théorique, le terme désigne simplement un appel à se convertir à l’Islam, que les Occidentaux reconnaîtraient comme faisant partie d’une mission de prosélytisme. Sur le plan pratique, néanmoins, les islamistes s’appuient sur la Da’wa comme étant un instrument intégral de propagande, un système de relations publiques et de lavage de cerveau conçu pour pousser tous les musulmans à adopter un programme islamique tout en essayant de faire convertir à l’islam le plus grand nombre possible de non-musulmans.
Parmi les analystes occidentaux, la Da’wa, instrumentalisée par les Frères musulmans au XXe siècle, a traditionnellement préoccupé peu d’importance par rapport au djihad armé, bien que des observateurs aient mis l’accent sur son importance en ce qui concerne les activités «humanitaires» du Hamas.
Les islamistes et les djihadistes ont le même objectif (répandre l’islam) mais de différentes manières. Les islamistes veulent le faire par des moyens négatifs comme la politique, l’immigration et la reproduction, selon les propos d’Elnara, un jeune musulman en Allemagne qui est né dans une famille ayant des relations étroites avec les Frères musulmans. Il a désormais une voix décisive dans la lutte contre l’islam politique.
Ce point important est souvent négligé par les politiciens des pays européens. Les groupes comme les Frères musulmans ne sont ni des organisations modérées ni des partenaires pluralistes de la société civile. Il est peu probable que les groupes islamistes pourraient empêcher la radicalisation des jeunes musulmans. Au lieu de cela, comme l’a souligné un observateur il y a plus de dix ans : « l’histoire des Frères musulmans montre, en réalité, qu’ils ont généralement servi non pas d’un dispositif de protection contre le djihadisme, mais plutôt ils étaient un incubateur fertile pour les idées extrémistes au sein d’une variété de langues ».
Les islamistes réalisent beaucoup plus à travers la Da’wa que lorsqu’ils comptent sur les attentats à la bombe et de poignarder les gens à mort. Ainsi, ici la menace n’est pas si claire, tandis que le djihad et l’usage de la violence ont tendance à provoquer une réaction immédiate. Par ailleurs, on peut parler de la charité, de la spiritualité et de la religion avec la Da’wa, puis les comparer aux missions de prosélytisme religieuses ordinaires. Par conséquent, toute personne raisonnable pourra s’y opposer dans une société libre ?
En Occident, l’infrastructure islamique ne fait pas l’objet de beaucoup de réflexion. Toutefois, l’islamisme se répand au sein des institutions occidentales. Cela revient en grande partie à une alliance inattendue : la Da’wa a compris la force séduisante de l’« Eveil », et a commencé à adopter le langage des droits civils et du multiculturalisme.
L’énergie du mouvement progressiste a poussé cette collaboration un pas en avant. En France, l’«islamo-gauchisme» peut probablement être correctement défini comme étant une menace pour le modèle de citoyenneté mondiale, de laïcité et de la république. Au Royaume-Uni, il est encore moins clair, limité aux politiciens marginalisés qui estiment que « le mouvement progressiste dans le monde et les musulmans ont les mêmes ennemis ».
Cependant, comme les experts l’ont déjà souligné, la relation entre l’islamisme et l’extrême gauche ne date pas d’hier. En 2007, l’ancien chef du Parti social-démocrate allemand, Oscar Lafontaine, qui est devenu plus tard le chef du Parti de gauche, a indiqué : « L’Islam dépend de la société, ce qui l’oppose à l’individualisme extrême menacé d’échouer en Occident. En outre, un musulman pieux doit partager sa richesse avec les autres, tout comme le gauchiste qui veut voir le fort aider le faible ».
Mais la tension interne entre l’« Eveil » et islamisme n’est jamais loin. A titre d’exemple, voyons la chaine Al Jazeera, qui partage des documentaires sur les droits des transgenres sur sa chaîne sur les réseaux sociaux, tandis qu’elle diffuse sur sa station arabophone des sermons suggérant aux époux à battre leurs femmes.
Toutefois, les deux mouvements partagent les mêmes objectifs, étant antioccidentaux avec une attitude critique envers le « capitalisme » sur la base de l’individualisme. C’est vrai que les islamistes existent depuis une période plus longue, mais les idéologues islamistes sont prêts à coopérer avec les gauchistes non musulmans tant que cela sert leurs objectifs.
Or, certains gauchistes refusent de soutenir l’islamisme, car ils sont de plus en plus conscients de la contradiction entre le soutien aux droits universels de l’Homme (y compris les droits de la femme) et les revendications des Islamistes. En France, par exemple, l’ancien premier ministre de gauche centre, Manuel Valls, a dénoncé sans la moindre hésitation la gauche islamiste.
Le président islamiste turc, Erdogan, a indiqué que « la justice sociale est dans notre Livre » et que « la Turquie est la plus grande opportunité pour les pays occidentaux pour lutter contre la xénophobie, l’islamophobie, le racisme culturel et l’extrémisme ».
En réalité, Erdogan avait clairement utilisé le discours progressiste, un pas qui s’est depuis répercuté en Iran. Le Tehran Times – qui se présente comme étant la « voix haute de la révolution islamique » – s’est attaqué à plusieurs reprises aux politiques occidentales de lutte contre l’islam politique en raison de l« islamophobie enracinée ». D’autant plus que le ministre iranien des Affaires étrangères a salué « la détermination des pays islamiques à lutter contre l’islamophobie comme l’un des principaux défis auxquels est confrontée la société de l’Oumma islamique en Occident. En d’autres termes, les islamistes sont devenus habiles à s’envelopper d’habit tissé de mots clairs, tandis qu’ils sont impliqués dans l’utilisation de la brutalité et de la répression systématique dans leurs propres pays.
La perquisition de la police autrichienne contre les Frères musulmans et les islamistes a démontré encore une fois la stratégie de ces groupes qui jouent sur les stéréotypes et les comparaisons avec l’Holocauste en critiquant les démarches de l’État contre les groupes extrémistes et l’influence croissante des partisans de la haine dans les sociétés occidentales.
Parmi ces exemples, le politologue controversé de Salzbourg, Farid Hafez, qui avait publié sur le site web de la Georgetown University Bridge Initiative (Washington, la capitale), un texte dans lequel il a comparé les raids sur les Frères musulmans suspects, menés dans le cadre de «l’Opération Luxor », aux massacres nazis du 9 septembre 1938 et la répression des musulmans au Xinjiang, en Chine.
Il est à rappeler que Hafez a été critiqué au passé parce que son rapport annuel, scientifiquement infondé, sur « l’islamophobie » était financé par la SETA, un groupe de réflexion contrôlé par Erdogan en Turquie. De plus, Hafez était concerné par le raid, où son téléphone portable était confisqué
Même si le projet de loi contre l’islam politique en Autriche viole la Constitution et les valeurs de l’Union européenne, le point de vue critique doit être motivé par des faits réels. Au lieu de cela, Hafez et certains de ses sympathisants, y compris certaines parties de la gauche, ont exploité des arguments mettant l’accent sur le « modèle de la victimisation », en jouant sur les termes qui comparent la guerre occidentale contre l’islamisme et ses principaux partisans tels que les Frères musulmans au génocide des Juifs.
En proposant de considérer l’islam politique un délit et d’interroger les musulmans sur leurs convictions religieuses, le gouvernement fédéral « sape la crédibilité de la célébration de la Nuit de Cristal (la mémoire des opérations organisées et menées par les Nazis contre les juifs) », a indiqué Hafez, le chercheur islamophobie, qui a écrit également que le gouvernement est « allé effectivement dans une direction holistique ».
Il y a un autre argument, souvent utilisé par les lobbyistes au niveau de l’UE par l’islam légalitaire, il s’agit de considérer toute critique une insulte, et tout mot critique à l’égard de l’islam est classé dans la case du racisme : « Nous sommes stigmatisés dès que nous traitons un problème. L’habitude odieuse représentée par la définition du soi à travers ses origines, son identité et ses croyances s’enracinent partout ».
L’expression « islamophobie » est devenu l’un des termes d’un jargon mondial, et c’est une victoire pour les islamistes, étant donné que le terme confond la persécution des croyants qui mérite clairement d’être condamnée, avec la critique de la religion telle qu’elle est pratiquée dans les sociétés éclairées.
La critique de la religion a été effectivement marginalisée dans les débats politiques actuels. La culture du débat, caractérisée par le doute, la remise en question, les désaccords et les questions, se perd et la doctrine prend la place du discours ainsi que les hérétiques deviennent des prétextes pour le débat politique.
Actuellement, les Frères musulmans, les islamistes et l’islam légalitaire continuent de gagner du terrain, même – par inadvertance – avec le soutien des institutions de l’Union européenne: « Après 37 ans de la Révolution iranienne, l’islamisme brandit partout ses drapeaux, répand ses coutumes et gagne le cœur de la majorité des croyants », tandis qu’il s’agit d’une idéologie politique très répressive non seulement à l’extérieur contre les non-musulmans ou les musulmans libéraux, mais aussi en interne, particulièrement contre les femmes et les filles.
Il n’y a pas de réponse simple à cette nouvelle alliance entre l’islamisme et le discours progressiste. La Da’wa est fondamentalement plus difficile à combattre que le djihad, mais ceux qui croient en une société libre, ouverte et pluraliste devront comprendre la nature et l’ampleur de ce nouveau défi. Après deux décennies de lutte contre le terrorisme islamiste, nous avons un nouvel ennemi plus intelligent qu’on devra affronter.
Le libéralisme doit se débarrasser du défaitisme et apprendre à rivaliser avec des idéologies comme celle des Frères musulmans qui vont le détruire. Quant aux nouveaux immigrants, ainsi qu’aux écoliers, il faudrait leur apprendre l’extraordinaire histoire de réussite du mode de vie européen, et de rappeler aux jeunes générations pourquoi il vaut mieux vivre en Europe au lieu, par exemple, de l’Égypte, la Syrie, la Somalie ou le Qatar. Et la réponse n’est évidemment pas ambiguë. Dans ces pays, les femmes sont traitées comme des citoyens de second degré et la barbarie s’infiltre dans tous les aspects de votre vie. Là-bas, il n’y a pas ni liberté ni état de droit.
En revanche, il y a tout cela en Occident et plus encore. Peut-être y a-t-il avant tout une chance de mourir paisiblement dans son lit, à cause de la vieillesse, entouré de sa famille. Mais cela n’est pas quelque chose d’acquis. Toutefois, il semble qu’on l’avait oublié, distraits par une guerre éternelle toxique qui accorde la priorité à la division de la société. Mais ce n’est pas un combat qu’on peut le supporter. Jusqu’à ce que nous décidions que l’Occident mérite d’être défendu, l’islam politique ne sera pas vaincu.
Tous les droits de publication et les droits d’auteur sont réservés au centre d’études et des recherches MENA