De nouveau, l’Union européenne se rapproche de la Turquie – pourtant il y avait eu des revers au passé reliés au respect de la suprématie de la loi et des droits fondamentaux en Turquie. Le gouvernement d’Ankara est au moins en train d’atténuer sa politique étrangère pour contenir les Européens. Cependant, avant toute négociation, par exemple sur un nouveau pacte en relation avec les réfugiés ou sur la modernisation de l’union douanière depuis 1996, l’UE souhaite explorer les intentions turques. Dans cette optique, elle doit veiller à ce que les dirigeants turcs sont sérieux en ce qui concerne le dialogue constructif. Pour cette raison, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, et le président du Conseil de l’UE, Charles Michel, se sont rendus hier à Ankara pour rencontrer le président turc, Recep Tayyip Erdogan.
Michel avait déjà souligné des attentes pour Ankara dès son arrivée, tandis que Von Der Leyen avait voyagé directement de Bruxelles. Michel avait visité la Libye et la Tunisie les jours précédents. En Libye, il a rencontré les dirigeants du nouveau gouvernement de transition et du nouveau conseil présidentiel. Et il a adressé également son communiqué à Ankara selon lequel le retrait de «tous les combattants et soldats étrangers» était une condition préalable pour une «Libye stable, unie, souveraine et prospère». Après avoir rencontré Erdogan, il a parlé de «nouvelles opportunités de la paix».
Avant cette réunion, Von Der Leyen et Michel n’avaient qu’un seul point à l’ordre du jour : ils se sont entretenus avec les représentants des organisations des Nations Unies qui s’occupent des problèmes des réfugiés – le Haut commissariat pour les réfugiés, l’agence internationale d’aide à l’enfance de l’Unicef et l’Organisation internationale pour la migration. Des représentants de l’ONU Femmes étaient également présents. Après tout, Erdogan a annoncé le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la protection des femmes contre la violence il y a deux bonnes semaines. Von Der Leyen a commenté qu’elle est «très inquiète». Il est peu probable qu’Erdogan revienne sur sa décision.
Aucune réunion n’a été planifiée avec les partis d’opposition ou la société civile. Les chefs d’État et de gouvernements avaient déclaré le 25 mars que l’Etat de droit et les droits fondamentaux en Turquie continuent d’être «très préoccupants». Von Der Leyen et Michel ne sont pas venus en Turquie pour demander une amélioration de la situation politique intérieure, même s’ils en ont parlé avec Erdogan. La politique étrangère et les considérations stratégiques étaient au premier plan. Cela a déçu l’opposition en Turquie et l’organisation de défense des droits de l’homme «Human Rights Watch» a écrit qu’il ne pouvait pas y avoir «d’agenda positif» qui viole les valeurs de l’UE.
Les chefs d’État et des gouvernements avaient identifié de tels «agendas positifs» dans le communiqué de leur sommet. Il indique que l’UE a «un intérêt stratégique dans un environnement stable et sûr à l’est de la Méditerranée et dans le développement d’une relation de coopération mutuelle avec la Turquie, bénéfique pour les deux parties». Pour cela, elle a bien accueilli « la récente désescalade à l’est de la Méditerranée avec la cessation des activités de forage illégales, la reprise des pourparlers bilatéraux entre la Grèce et la Turquie et les prochains pourparlers autour de la question chypriote sous les auspices des Nations Unies». Le représentant des affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, s’est récemment exprimé avec cet esprit. Il a identifié trois grands domaines de conflit en termes de la politique étrangère avec la Turquie – outre la Libye et la Syrie et l’est de la Méditerranée – mais il y a un seul domaine de la politique intérieure. Il s’agit de la «détérioration des valeurs de la démocratie».
La raison pour laquelle la Turquie a atténué la situation depuis l’automne dernier, le changement du discours et sa disposition pour négocier, c’est que sa politique militaire agressive à l’est de la Méditerranée a atteint ses limites et que la crise économique s’aggrave davantage. Le nombre de chômeurs n’augmente pas car le gouvernement a émis une interdiction générale de licenciement. Néanmoins, au cours des douze derniers mois, la livre turque a perdu 25% de sa valeur vu que les investisseurs internationaux ont perdu confiance dans les politiques économiques des dirigeants turcs.
Dans ces circonstances, l’UE propose à la Turquie de rétablir leurs relations. A Ankara, Michel a répété une phrase de la déclaration du 25 mars, affirmant qu’il était prêt à «entrer en contact avec la Turquie de manière progressive, appropriée et susceptible d’être renversée afin d’intensifier la coopération dans certains domaines d’intérêt commun». Cependant, cela est conditionné par la continuité de la désescalade actuelle et l’engagement de la Turquie dans un dialogue constructif.
Il s’agit d’un «optimisme conditionné», a commenté l’observateur indépendant de la politique turque Murat Yetkin. Par exemple, l’UE propose à la Turquie de parler d’un programme économique et commercial positif si la Turquie résout les conflits par le dialogue et conformément à la loi internationale. Si elle se comporte différemment, l’UE pourrait menacer le pays de nouvelles sanctions. Cependant, l’UE a intérêt à empêcher une détérioration des relations avec Ankara. Sinon, on craint que la Turquie cesse de coopérer en matière de politique migratoire et que le conflit avec la Grèce et Chypre s’aggrave à nouveau. L’importance de la politique migratoire se voit dans le fait que Von Der Leyen a voyagé de Ankara à Amman pour parler au roi jordanien des réfugiés syriens dans son pays.
Il y a trois éléments en tête de liste de souhaits d’Ankara. Il y a un besoin de nouvelles ressources financières pour soutenir les quatre millions de réfugiés syriens en Turquie afin qu’ils ne se rendent pas en Europe. Les six milliards d’euros promis dans l’accord de 2016 sur les réfugiés ont été déjà dépensés ou une planification a été mise en place. Et il est prévu que des décisions concernant les nouveaux fonds seront prises prochainement. Il pourrait y avoir des décisions au sommet de juin. Cependant, les deux autres points sont liés à la bonne conduite turque. L’UE avait déjà pris des engagements des deux autres points dans le Pacte pour les réfugiés de 2016.
La Turquie fait la pression pour moderniser l’union douanière, afin de donner un fort coup de pouce à son économie en difficulté en intégrant l’agriculture et les services. Le sommet de l’UE du 25 mars a donné son accord pour entamer les préparatifs d’une telle modernisation. Sur un autre plan, Ankara espère la simplification des procédures des visas promises en 2016. Jusqu’à présent, elles ont également échoué parce que la Turquie ne veut pas changer ses lois anti-terroristes à long-terme. Sur ce point également, la déclaration du 25 mars indique des progrès. Toutefois, contrairement à la poursuite de l’application du pacte pour les réfugiés, il ne devrait pas y avoir de décisions hâtives en ce qui concerne ces deux points.