Cette fin août nous avons avons discuté avec Monsieur Pierre Berthelot, spécialiste français du Proche et Moyen-Orient, chercheur associé à l’Institut Prospective & Sécurité en Europe (IPSE). L’entretien a été mené par Denys Kolesnyk, consultant et analyste français basé à Paris.
Quelles sont selon vous les principaux enjeux au Moyen-Orient ?
Il y a des enjeux nouveaux, mais il y a aussi des enjeux anciens. Quant aux enjeux anciens, ici j’entends la question énergétique. C’est un enjeu qui existe depuis que les pays du Moyen-Orient sont devenus des acteurs essentiels, producteurs et exportateurs du pétrole, autrement dit à partir de 1960 – l’année de la création de l’OPEP.
Et cet enjeu ancien perdure, y compris dans le cadre de ce qui se passe depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Et ce, de manière plus importante encore qu’avant. Le problème, c’est que l’on n’a toujours pas trouvé de vraies solutions de substitution aux énergies fossiles. Et celle que l’on avait pu trouver, comme le nucléaire par exemple, n’a pas bonne presse dans beaucoup de pays.
Donc, la question énergétique est essentielle et les acteurs énergétiques majeurs de cette région sont plus courtisés qu’ils ne l’ont jamais été parce qu’il s’agit de tenter de trouver une solution de substitution à l’énergie russe, du moins en ce qui concerne l’Europe. Un deuxième élément qui s’y ajoute est la tentative de maîtriser l’augmentation des prix de ces ressources.
Le deuxième enjeu, c’est la question bien sûr de la radicalisation religieuse. Cela reste un enjeu bien sûr essentiel, même s’il y a des bonnes nouvelles. Par exemple, Daesh et Al-Qaïda sont affaiblis, mais le problème c’est qu’ils sont provisoirement affaiblis seulement au Moyen-Orient. Malheureusement, ils s’étendent ailleurs.
Et on le voit notamment en Afrique. On en parle suffisamment actuellement, mais c’est aussi vrai dans d’autres pays du monde, par exemple en Asie et la menace n’est pas totalement absente en Europe, même si on peut se satisfaire d’une réduction des attentats terroristes. Mais le problème de la radicalité religieuse, elle va au-delà de l’action violente, comme vous le savez probablement.
Le contrôle des esprits, autrement dit l’influence que peuvent avoir ces idées dans les sociétés européennes, qui peuvent amener à des conflictualités. Pour simplifier, on peut dire qu’il existe l’islamisme « soft », et il y a l’islamisme « dur ». Même si parfois ils se rejoignent, parfois ils sont différenciés, mais au final, on peut se dire que cela peut constituer des sources de division, de tension dans les sociétés européennes. Voire même à l’intérieur des groupes musulmans, des sociétés ou des communautés « musulmanes ».
Pour le moment on n’a pas trouvé de solution durable pour diminuer cette permanence du fait religieux extrémiste qui, je le précise d’ailleurs, n’est pas principalement lié à l’islam, car on le retrouve aussi au Proche-Orient chez certains juifs. Par exemple, on voit qu’il y a une montée de la radicalité religieuse en Israël puisqu’on a des petites formations extrémistes religieuses qui sont au pouvoir et nous pouvons nous inquiéter de leur position, qui peut aller vers davantage de conflictualité.
Il y a un élément très intéressant qui est apparu ces dernières années. C’est une forme de contestation, de l’islam politique. Alors que si auparavant, il était combattu par des laïcs, maintenant il est combattu par des régimes politiques arabes qui ne se définissent pas comme laïcs.
Et je pense, par exemple, à l’Alliance qui a été formée entre les Emirats arabes unis (EAU), et d’autres pays, le format quadripartite, que l’on a appelée l’Alliance contre-révolutionnaire. Donc, l’Arabie saoudite, les EAU, Bahrein et l’Egypte, et c’est intéressant parce que ce sont des régimes qui, en tout cas au moins pour les EAU et l’Egypte, ne sont pas anti-islam, mais ne mettent pas la laïcité en avant.
Par contre, le bouleversement le plus important dans la région du Moyen-Orient, c’est le changement d’attitude de l’Arabie saoudite. Ce n’est pas seulement une super puissance énergétique, mais aussi un pilier du monde arabe, un pilier du monde musulman. Il est aussi à noter que cette influence religieuse est « exportée », si on peut le dire, à travers le wahhabisme, qui est la doctrine officielle du pays. Et les « pétrodollars » aident à exporter cette idéologie.
Ce qui est aussi intéressant, mais cela demande à être confirmé, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) semble vouloir prendre ses distances avec le rigorisme religieux. Je ne dis pas, en aucun cas, qu’il va le combattre, mais apparemment pour lui, la puissance de l’Arabie saoudite, son influence, peut passer finalement par d’autres moyens notamment le « soft power » comme il dit, d’où les investissements dans le football par exemple.
Il veut changer l’image de l’Arabie saoudite d’un pays ultra conservateur, moyenâgeux qui soutient l’islam rigoriste. Le pays ne va pas aller vers la laïcité, évidemment, mais finalement aurait une image de modernité. Et quand on dit le « soft power », c’est le tourisme aussi, d’où les sites pré-islamiques qui sont mis en valeur et notamment grâce à l’appui archéologique de la France. Mais afin de mettre cela en œuvre, il faut déjà qu’il devienne roi.
Et à partir de ce moment, il est fort probable que l’islam politique ou l’islam ultra rigoriste, ultra conservateur, serait en déclin puisque son principal sponsor ne le voudrait plus. Donc si jamais il passe ce cap, il y arrive, ça va être un bouleversement total, à mon avis.
Pour résumer, au Moyen-Orient il y a la question énergétique qui va se poser pour des décennies, parce qu’on n’a pas trouvé, je l’ai dit, de substituts sérieux et durables aux énergies fossiles, pas seulement en Europe, mais dans le monde. Et, deuxièmement, la question religieuse, avec des évolutions assez intéressantes, ainsi que l’affaiblissement relatif de Daesh et Al-Qaeda. Puis le troisième enjeu au Moyen-Orient, c’est la question de l’évolution géopolitique, les positionnements géopolitiques et ici on retrouve encore l’Arabie Saoudite en première ligne.
On voit bien que l’Arabie Saoudite dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine a pris ses distances avec les Américains. Or avant février 2022, Riyadh était considéré comme allié numéro un des États-Unis au Moyen-Orient.
MBS a refusé de suivre les Américains et les Occidentaux sur l’énergie, qui voulaient une baisse relative des prix. Il feraont partie des BRICS à partir de 2024. Ils se sont réconciliés, au moins provisoirement, avec l’Iran grâce aux Chinois – l’ennemi juré de Washington. Ils entretiennent de très bonnes relations avec les Russes. Et tout cela est un coup de tonnerre pour les Américains. Une très forte évolution, si vous voulez.
Alors on peut dire quand même qu’il s’agit de l’émergence d’un autre pôle dans le monde multipolaire, souhaité par la Chine et qui est en train de se construire ?
Oui, c’est tout à fait correct. Mais il n’y a pas que les Saoudiens. Il y a aussi les Emirats qui sont un peu sur la même position, l’Egypte aussi. Le Caire est un acteur de poids dans le monde arabe. Mais ces pays ne vont pas rompre avec les Etats-Unis, et ils vont pas non plus s’aligner à mon sens sur la politique américaine vis-à-vis de la Russie et la Chine.
Je pense qu’ils ont compris que la bonne stratégie pour eux c’est finalement le non-alignement, parce que l’alignement sur les États-Unis n’est plus aussi fiable qu’auparavant. Il y a pas mal de doléances accumulées, notamment ils s’interrogent sur le gaz de schiste aux États-Unis. Ils ont également vu que les Américains ont tendance à lâcher leurs alliés quand ils n’en ont plus besoin. Par exemple les Kurdes en Syrie ou bien les alliés en Afghanistan, et il y aura d’autres surement.
Je pense également que MBS veut imprimer sa marque. Autrement dit il veut désormais mener des politiques différentes et je pense qu’au départ il a joué à fond la « carte » américaine et il a été assez déçu.
Et on le voit avec d’autres pays d’ailleurs, par exemple avec l’Egypte qui était très pro-américaine, on le voit aussi avec les Emirats. Donc, il y a un certain nombre de pays qui prennent leur distance, quitte à se rapprocher des ennemis des États-Unis.
Cela nous mène justement à une autre question qui touche à la diversification des relations et des partenaires. Comment pourriez-vous caractériser les intérêts de la France dans cette région ? Et quelles sont les pays principaux pour Paris ?
Le Proche et Moyen-Orient est un enjeu très important pour la France, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la sécurisation des approvisionnements énergétiques puisque on sait que la France n’a pas de pétrole et de gaz, elle est importateur net à 99%. Et vu l’invasion russe de l’Ukraine, Paris veut se débarrasser des importations russes, donc forcément il faut sécuriser ses approvisionnements. Alors l’objectif de garder de très bonnes relations avec ces pays s’impose naturellement.
C’est le premier enjeu. Alors que le deuxième enjeu c’est bien sûr les exportations françaises et notamment ce qui reste un des fleurons de la France, les exportations d’armes. Il faut se rappeler que notre balance commerciale est largement déficitaire, puisqu’on s’est desindustrialisé.
Le seul domaine où on ne s’est pas desindustrialisé est les hautes technologies et l’armement. Parce que ces domaines sont cruciaux pour assurer l’indépendance et la souveraineté de la France, qui est un des rares pays dans le monde capable de fabriquer un porte-avion ou un avion de chasse de façon independante.
Il est à noter que selon SIPRI, la France est dans le TOP-5 des exportateurs d’armements au monde, juste après les États-Unis et la Russie. Alors que l’Arabie saoudite et le Qatar sont dans le TOP-5 des importateurs d’armes. Par conséquent le Moyen-Orient est un marché clé pour notre industrie de la défense.
Et au-delà des questions d’armement, il y a aussi d’autres domaines, par exemple on peut évoquer les projets de construction, notamment de chemin de fer, etc. S’y ajoute la l’islamisme comme idéologie radicale coopération dans le domaine culturel et touristique. Et même si la région ne représente pas grand chose s’agissant des échanges commerciaux de la France, cette région reste néanmoins stratégique pour nous.
Et le troisième enjeu pour la France dans la région est l’islam, qui peut parfois prendre le visage de la radicalité, comme toute religion par ailleurs. Il faut connaître cette région, évaluer les risques, notamment les risques sécuritaires pour s’assurer que cela n’ait pas d’impact négatif sur la France.
Il y a aussi l’enjeu migratoire bien évidemment, même si on n’est pas en première ligne par rapport aux migrants venant de cette zone. Ce sont plutôt d’autres pays européens, mais nous subissons les migrations clandestines venant de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne.
Pour terminer, je dirais que ces différents enjeux, c’est aussi la question de l’influence géopolitique de la France. C’est-à-dire si on veut peser dans les affaires mondiales, il faut être présent dans cette région par rapport à ce qu’on a dit juste avant, notamment la question énergétique, la question des gros contrats d’exportations, notamment d’armes, etc.
Toujours dans la logique de la géopolitique et de l’influence, actuellement il y a le conflit au Soudan. À votre sens, quelles sont les origines de ce conflit et quel impact pourrait-il avoir sur les pays du Moyen-Orient ?
Les origines des conflits sont parfois difficiles à cerner. Il y a incontestablement une rivalité de pouvoir comme cela existe dans des nombreux pays. Quant au Soudan, il s’agit de la rivalité entre la personne qui est à la tête de l’État et son numéro deux. Il s’agit clairement d’une ambition de pouvoir et qui était un peu prévisible parce que finalement le pouvoir avait été relativement stable pendant une trentaine d’années avec le président Bechir.
À partir du moment où celui qui a incarné une forme de stabilité relative s’en va ou est contraint de partir, les confrontations naissent. C’est un phénomène que l’on observe dans de très nombreux pays en Afrique. On l’a vu en Libye, en Somalie, en Côte d’Ivoire, etc. Le vide de pouvoir, la succession qui n’est pas préparée, ainsi que les rivalités personnelles en constituent le premier facteur.
Il y a aussi des influences géopolitiques, puisque d’après ce qu’on dit, il semblerait que la question finalement des alliances du Soudan ou de son positionnement semeraient le trouble. À un moment donné on a parlé d’un rapprochement avec Israël. Mais le Soudan a été bombardé par les Américains puisqu’on disait que les armes passaient vers la Bande de Gaza. Et puisque c’était un régime islamiste, il avait accueilli Oussama ben Laden. À un moment donné, Khartoum s’était assez rapproché de l’Iran. Donc c’est un régime islamiste qui était anti-Occidental et anti-Israélien. Et la question d’un rapprochement avec Israël qui a été évoquée, qui maintenant est un peu plus discrète, a pu jeter le trouble.
Le deuxième question, c’est la question russe, surtout le projet d’une base militaire russe en mer Rouge, plus précisément à Port Soudan. Là aussi, il n’est pas impossible que ça ait semé le trouble. Donc il semblerait que finalement cette question pourrait également être un sujet de désaccord entre les deux acteurs, dont un qui serait plutôt favorable, l’autre qui serait plutôt hostile.
En tout cas, cela reste à prendre en considération, de même que la position du Soudan vis-à-vis des États-Unis. Parce qu’en réalité, le rapprochement avec Israël était effectué par Trump et par le truchement des États-Unis. Donc là aussi, est-ce que ce rapprochement avec les Américains et Israël a permis de lever une partie des sanctions et permettre le retour de l’aide économique ? Et est-ce que cela n’a pas créé finalement des troubles importants au sein d’un pouvoir qui était traditionnellement anti-américain, anti-occidental, anti-israélien, pro-islamiste ? Cela reste une vraie question.
Pour résumer, il faut voir est-ce que ce n’est pas un prétexte qui a été utilisé par chacun des deux protagonistes pour l’emporter sur l’autre ? Ou est-ce que finalement, la priorité pour eux était tout simplement prendre le pouvoir ? Donc il y a assez de questions qui ne sont pas très claires, mais en tout cas c’est quelque chose qui revient souvent, notamment le rôle des puissances régionales et internationales pour tenter soit de rapprocher le Soudan du bloc occidental, soit pour l’en détacher ou l’éloigner.
Si on parle des conséquences sur les puissances régionales, il est à noter que le conflit au Soudan a aggravé la situation non seulement dans la région MENA, mais aussi au Sahel, notamment au Tchad. Et c’est le dernier pays à peu près stable au Sahel, puisque quand il s’agit du Niger, on a vu qu’est-ce qui s’est passé. Les pays de la zone s’éloignent d’ailleurs de la France et se sont rapprochés de la Russie.
Et puis la situation humanitaire est désastreuse et elle peut bien sûr augmenter l’immigration vers l’Europe, ou également peut-être aussi aggraver les difficultés des pays voisins du Soudan, qui eux-mêmes sont confrontés à des conflits, et on ici pense notamment à l’Éthiopie.
Vous venez d’évoquer l’augmentation possible de l’immigration. Parlons de la France et du Maghreb. Comment pourrait-on améliorer la coopération dans le domaine de la lutte contre l’immigration clandestine, puisqu’on sait que la majorité des migrants soit passent par le Maghreb, soit sont originaires de cette région ?
C’est une question très difficile d’ailleurs et est compliquée pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les relations entre la France et le Maghreb se sont détériorées ces dernières années.
Les relations avec le Maroc étaient assez bonnes, puisque il y avait toujours une relation un peu spéciale entre Paris et Rabat, des liens très étroits, voire même personnels. Mais cela a disparu sous la présidence d’Emmanuel Macron. Le Maroc reproche à Macron de ne pas reconnaître le Sahara occidental comme une partie intégrante du Maroc. Le président français semble être trop accommodant avec l’Algérie parce que ce pays peut proposer ses ressources énergétiques et c’est important surtout dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne.
Mais le paradoxe est tel que les relations se sont dégradées avec le Maroc, et en même temps elles ne se sont pas vraiment améliorées avec l’Algérie non plus. Pour Alger, il y a toujours des doléances envers la France, qui remontent au temps de la guerre d’Algérie. Quelque chose de similaire que l’on peut observer également concernant la Tunisie, puisque Macron critique la dérive autoritaire du président Kaïs Saïed.
Donc la question c’est comment finalement lutter ensemble contre l’immigration clandestine, alors que les relations politiques ne sont pas bonnes. Cela rend forcément la situation plus compliquée. Mais il y a des domaines où on pourrait améliorer ces relations, notamment la questions des restrictions sur les visas avec le Maroc et l’Algérie.
Après, même si nous parvenons à améliorer nos relations bilatérales, il faut tenir en compte que les gouvernements locaux de ces pays n’ont pas totalement la maîtrise eux-mêmes de leurs frontières et, par conséquent, des flux migratoires. Donc même s’ils s’engagent à contenir l’immigration clandestine, il n’est pas sûr que cela soit tout simplement faisable de leur côté.
Les relations sont compliquées, mais j’ai envie de dire que si vraiment on voulait que du côté du Maghreb il y ait une vraie volonté de lutter de manière efficace contre l’immigration clandestine, il faudrait que nos relations politiques s’améliorent, et il faudrait qu’il y ait aussi une aide substantielle à ces pays de notre part.
Mais on peut se poser la question, est-ce qu’elle restera aussi efficace étant donné cette dégradation des relations politiques ?
Vous avez évoqué l’invasion russe de l’Ukraine et les problèmes, ainsi que les enjeux qu’elle a posé. Donc, à votre avis, quel impact l’invasion russe de l’Ukraine a eu sur le Moyen-Orient ?
Je pense qu’il y a une certaine déception de l’Occident. Les pays de cette région n’ont pas réagi comme souhaité parce qu’on a vu que sur la question du pétrole, avec notamment l’Arabie saoudite, il n’y a pas eu d’augmentation de la production, ce qui aurait permis de faire baisser le prix et donc de baisser les rentrées d’argent en Russie.
Il n’y a pas eu non plus une condamnation ferme de la question de l’invasion russe de l’Ukraine. Certains disent qu’il y a deux poids, deux mesures, évoquant, par exemple, la Palestine.
Et puis surtout, je pense qu’il y a ce non-alignement qui fait qu’ils considèrent qu’ils n’ont pas à prendre parti parce qu’ils vont prendre des coups s’ils se rapprochent soit trop de la Russie, soit trop des Américains ou des Occidentaux. Par conséquent, ils essaient de maintenir de bonnes relations avec les deux mais sans réellement prendre parti. On l’a vu d’ailleurs à travers le sommet de la Ligue arabe.
Il y a eu l’intégration de la Syrie, qui est très proche de la Russie. Cela n’a pas été non plus bien vu par les Occidentaux. Et à ce sommet, à Riyadh, le président ukrainien Zelensky a bien été invité. On l’avait bien écouté, mais on n’a pas pris de position.
Et puis, quand on évoque le soi-disant « Global South », dont ces pays font partie, l’isolement de la Russie dont ont parle ne se produit pas. Certes, la Russie est isolée de l’Occident, mais pas ailleurs. Par exemple le cas du Maroc est intéressant, car ce pays est plutôt pro-occidental et s’est même rapproché d’Israël, mais en même temps on voit que c’est un des plus gros importateurs de diesel russe, tout en livrant des chars à l’Ukraine.
Donc je pense que ça traduit assez bien la position des pays arabes qui sont majoritairement non-alignés au sujet de l’invasion russe de l’Ukraine. Et c’est révélateur, car la guerre a montré la prise de distance des pays arabes réputés pro-occidentaux par rapport à ces derniers.
Et si on revient à l’Arabie saoudite, si MBS arrive à montrer qu’on peut être un pays arabe tout en étant non-aligné, à montrer aussi une image de modernité et de tradition en même temps, alors il pourrait incarner une forme de leadership dans le monde arabe qu’il n’y a plus d’ailleurs depuis l’effacement de l’Egypte ou de l’Iraq. L’Arabie saoudite pourrait devenir le nouveau leader du monde arabe, si MBS arrive à aller jusqu’au bout de cette logique de non-alignement et de modernisation de son pays.
Et que dites-vous de la Turquie, surtout après la réélection d’Erdoğan ?
La Turquie ne pourra jamais être le leader du monde arabe, parce que ce n’est pas un pays arabe. Mais c’est vrai que ce pays bien qu’il ne soit pas arabe fut le leader dans la région à l’époque de l’Empire Ottoman, qui contrôlait la majorité du monde arabe. Et les Turcs ont toujours des relais d’influence, c’est certain.
Il y a beaucoup de pays qui ont une certaine admiration ou sont influencés par la Turquie à travers, notamment, les Frères musulmans, incarnant en partie l’islam politique. Donc c’est clair qu’il y a une rivalité pour ce qu’on appelle le leadership sunnite.
Mais cette rivalité existe aussi avec le Qatar, elle existe aussi avec les Émirats, mais en tout cas je pense que l’Arabie saoudite a plus de moyens pour y parvenir, parce qu’elle est un pays arabe, voire plus, elle est le cœur du monde arabe et musulman.
Donc sur ce point là-dessus la Turquie a peut-être moins d’atouts et puis elle n’a pas la force financière non plus de l’Arabie saoudite.
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