Thomas Legrand a même dédié une chronique au sujet le 25 mars, l’animateur de la radio publique la plus populaire, France Inter, qui y prend la parole tous les jours à 7 h 44 avec «L’édito politique». Ses paroles sont parmi les plus importantes dans le débat politique et les opposants du journaliste de gauche (comme beaucoup de ses collègues de France Inter) en prennent des notes. Legrand a commenté un bâtiment de la province de l’est. Il s’agit de la mosquée «Eyyub Sultan» de Strasbourg, qui a été conçue comme l’une des plus grandes mosquées de l’Europe. Les coûts de construction sont estimés à 32 millions d’euros. Legrand critique le fait que la subvention partielle de la ville serait instrumentalisée au début de la campagne présidentielle.
Lundi dernier, la mairie de Strasbourg a approuvé une subvention de 2,5 millions d’euros pour sa réalisation. En général, cela n’est pas surprenant. Dans les trois départements de la région Alsace-Moselle, le Concordat est en vigueur depuis 1802 et donne au catholicisme, au protestantisme et au judaïsme un rôle dans la vie publique, en particulier le clergé payé par l’Etat, l’enseignement religieux dans les écoles publiques et les chaires de théologie. Les autres religions ne sont pas directement concernées par ce traité, mais elles relèvent de la loi locale sur l’unification: la séparation de l’État et de la religion ne s’applique pas (en 1905, lorsque la loi sur le laïcisme était entrée en vigueur, les départements étaient allemands), les autorités locales pouvaient le financer de 10% durant cinquante ans pour construire le site.
Bien sûr, l’affaire Eyyub Sultan est particulière. Le permis de construire date de 2014, la première pierre a été posée le 15 octobre 2017 et la construction s’est poursuivie jusqu’en août 2019. Ensuite, les travaux se sont arrêtés pour des raisons financières. Sous la direction de la maire du parti des Verts, Jeanne Barseghian, en poste depuis juillet 2020, la mairie de Strasbourg a approuvé une subvention. La première fois : les fonds doivent être approuvés à l’avance.
Le second est le promoteur immobilier : c’est l’association turque Milli Görüs, qui allie nationalisme et islamisme. En Allemagne, elle compte au moins 30.000 adhérents et gère des centaines de mosquées et d’associations culturelles. L’Office fédéral pour la protection de la Constitution observe Milli Görüs depuis des années et critique son idéologie antidémocratique et antisémite et le manque de volonté d’intégration. L’association veut seulement que la liberté religieuse « soit respectée permettant des droits spéciaux pour les musulmans pour une vie conforme à la charia ». Le mouvement était autrefois très éloigné du parti AKP du président Erdogan, mais ces derniers temps, les objectifs des deux organisations se sont croisés.
Milli Görüs est un vieil ami de Strasbourg : la mosquée Fatih dans le quartier de Krutenau, fondée en 1978 et premier lieu de culte musulman de la ville, a été reprise très tôt par l’association. En 1996, elle a acheté des hangars dans le quartier de Meinau pour des fins religieuses. La nouvelle mosquée est en cours de construction sur ce site. Le maire socialiste de l’époque Roland Ries, le préfet Jean-Luc Marx, le grand rabbin Abraham Weill et des représentants des églises protestantes ont participé à la pose de la première pierre. Milli Görüs connaît la politique locale depuis longtemps.
D’où vient donc cette incitation ? Les préoccupations juridiques formelles ne sont pas la raison. C’est le promoteur immobilier qui est une épine dans le flanc du gouvernement français. Il n’y a pas d’autre explication pour laquelle le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a sévèrement critiqué la décision du conseil municipal de Strasbourg dans un Tweet mardi. Dans un autre Tweet, il a écrit qu’il avait ordonné au préfet Josiane Chevalier de renvoyer l’affaire devant un tribunal administratif pour empêcher la subvention. Le contexte en est la nouvelle loi contre le séparatisme, qui vise l’islam politique mais qui n’est pas encore entrée en vigueur : elle prévoit la signature d’une «Charte des Principes pour l’islam de France», que Milli Görüs rejette.
Barseghian s’est défendue mercredi dernier dans une lettre à Emmanuel Macron, également postée sur Twitter. Elle a expliqué que Milli Görüs a fait à la fois un plan de financement et un engagement de fidélité à la Constitution des conditions ainsi que la signature de la «Charte». Elle a souligné la légalité de la décision et le fait que la construction n’était pas un projet qu’il avait elle-même décidé. Il est en cours depuis 2017 avec la connaissance du gouvernement central. Le gouvernement n’a pas émis d’avertissement depuis son élection, ni la préfecture ni le ministère de l’Intérieur – même pas à l’occasion de la visite du ministre de l’Intérieur à Strasbourg il y a deux mois. Le préfet Chevalier, connue comme un politicien volontaire, a annoncé qu’il avait averti personnellement à plusieurs reprises l’administration de la ville de Milli Görüs. Syamak Agha Babaei, le premier adjoint de Barseghian, a contredit avec véhémence : À aucun moment Chevalier n’a fait une telle déclaration et on s’attend à ce qu’elle prouve ses allégations.
Le sujet a touché à plusieurs points sensibles. Au niveau national, Macron lutte enfin contre les propagateurs de l’idéologie islamiste. Par ailleurs, il craint, comme il l’a souligné jeudi sans référence directe à Strasbourg, l’ingérence de la Turquie dans la politique intérieure française (élections présidentielles 2022). Cependant, son ministre de l’Intérieur se positionne sur les tactiques de campagne : il joue sur l’aile de droite et vole les voix de Marine Le Pen. Darmanin aime attaquer les Verts, par exemple le maire de Lyon qui voulait interdire la viande de ses cantines scolaires. Le soulèvement médiatique contre un maire des Verts s’inscrit dans un concept plus large que le gouvernement est en train d’aiguiser: c’est la lutte contre «l’islamo-gauchisme», la défense de gauche de l’islam, dont la présence dans les universités, se plaint Frédérique Vidal. La vigilance justifiée se mêle à un comportement de campagne sous des présages idéologiques discutables – la Chronique de Legrand l’a justement souligné. Il est difficile de voir pourquoi les acteurs étatiques ne travaillent pas ensemble.
D’une part, la colère à Strasbourg est compréhensible : les conditions locales sont tenues secrètes par les responsables du gouvernement, ce qui donne l’impression qu’une mairie des Verts financerait spécifiquement les islamistes. La réaction incompréhensible d’Anne Hidalgo, maire de Paris, montre à quel point «la France intérieure» (comme disent les Alsaciens) connaît la compréhension locale de la religion. Barseghian a également fixé des Sur un autre plan, les Verts sont accusés de se hâter et naïfs. Ce n’est pas seulement l’entrée dans un projet en cours à un moment délicat qui est contre vous : vous semblez naïfs de croire que Milli Görüs deviendrait désormais constitutionnel – si l’association signait la «Charte», ce ne serait que des paroles en l’air. L’opposition n’était pas seulement contre la décision hâtive, les socialistes codirigeants se sont également abstenus. Et lorsque le conseiller municipal des Verts, Jean Werlen, a défendu le projet en disant qu’après tout, tous les croyants sont des citoyens de la ville, le point a été atteint où la naïveté s’est transformée en cécité. Une ville qui a produit certains assassins ces dernières années ne peut pas se le permettre ».