Les réactions se multiplient sur la scène politique tunisienne suite aux insinuations du président tunisien, Kaïs Saïed, de sa volonté d’introduire des amendements à la Constitution de 2014 pour répondre aux exigences de l’étape actuelle. Les prévisions des experts indiquent que l’amendement toucherait les points litigieux.
Les observateurs estiment que les modifications apportées au système politique comprendront la suspension de la Constitution, la formation d’une commission juridique urgente pour l’amender, la dissolution définitive du Parlement, la formation d’un gouvernement intérimaire pour gérer les affaires du pays, et la préparation d’une loi pour les prochaines élections législatives.
Un nouveau système politique
Le président tunisien, Saïd, a déclaré : « Je respecte la Constitution de 2014 et ses dispositions, mais des amendements peuvent être apportés à son texte afin qu’il réponde aux aspirations du peuple, sans la suspendre, contrairement à ce qu’on essaie d’avancer, en ajoutant qu’on pourra le faire dans le cadre de la préservation de la souveraineté du peuple, la garantie d’exercer ses droits et d’exprimer sa volonté ainsi que vivre dignement dans une patrie libre ».
Il a en effet considéré que « le peuple se lasse de la Constitution et des dispositions juridiques mises en place sur mesure, et il faut faire des amendements à la Constitution », en insistant que : « les constitutions ne sont pas éternelles, et des amendements peuvent être apportés qui correspondent aux aspirations du peuple tunisien, parce que la souveraineté appartient au peuple et il a le droit d’exprimer sa volonté ».
Les déclarations du président tunisien interviennent sept semaines après l’annonce des mesures exceptionnelles, le gel du Parlement, la levée de l’immunité de ses députés et la destitution du chef du gouvernement, Hichem Mechichi. Ces mesures ont été considérées par ses opposants un coup d’Etat, mais il n’a désigné aucun gouvernement jusqu’à maintenant et il n’a pas annoncé ses projets à long-terme.
Walid Hajjam, conseiller du président tunisien, a indiqué qu’« il y a une tendance à changer le système politique, qui ne peut pas continuer. Changer de régime signifie probablement changer la Constitution par le biais d’un référendum. Cependant, le référendum nécessite du temps et une préparation logistique. Il a enchainé que « les traits du plan du président tunisien sont dans leur phase finale, et il devrait être officiellement annoncé bientôt».
Il convient de rappeler que le président Saïed a répété à maintes reprises qu’il ne reviendrait pas en arrière, indiquant son intention d’apporter des changements radicaux au système politique et de dissoudre le parlement, et il est prévu que le régime politique passe à un régime présidentiel où le parlement joue un rôle moins important.
Après le soulèvement de 2011 ayant déclenché les révolutions du Printemps arabe dans toute la région, la Tunisie a adopté un système dans lequel le président et le chef du gouvernement se partagent les pouvoirs et le gouvernement est responsable devant l’Assemblée des représentants du peuple (Parlement), conformément à l’article 95 de la Constitution de 2014 en vigueur.
Les experts en droit constitutionnel estiment que ce pas du président Saïed était attendu pour mettre en œuvre les mesures prises fin juillet dernier, en expliquant qu’« il y a des failles dans la Constitution de 2014 ayant bloqué la vie politique et contribué à la généralisation de la corruption parmi les institutions de l’Etat pour servir les intérêts de l’ancien régime.
Entre pour et contre…
De son côté, le politologue tunisien, Nizar Jlidi, a estimé que la feuille de route que le président tunisien annoncera dans quelques jours, comprendra des dossiers essentiels qui organiseront les mécanismes de travail pour la prochaine étape, et établiront une nouvelle structure pour le système politique du pays, en expliquant que « la première étape sera de dissoudre l’actuel parlement gelé depuis les décisions du président de la République le 25 juillet, par décret présidentiel ».
La feuille de route implique la nomination d’un chef du gouvernement par intérim, la formation d’un mini et provisoire gouvernement, ainsi que la soumission d’un nouveau projet de constitution fin octobre 2021, parallèlement àla formation d’une commission d’experts pour discuter et amender la version finale de la nouvelle Constitution fin novembre 2021.
« Selon la feuille de route, une nouvelle loi électorale sera adoptée fin novembre 2021, un référendum sur la nouvelle Constitution sera organisé en janvier 2022, et enfin la tenue des élections législatives entre mars et avril 2022 avec un retour à la vie démocratique normale ainsi que le retour du gouvernement et des institutions tunisiennes au fonctionnement ordinaire».
En revanche, les opposants au président tunisien estiment qu’il « a poussé le pays dans une crise constitutionnelle et il suscite des appréhensions autour du système démocratique », tandis que « Saïed » affirme que son intervention est conforme à la Constitution et elle était nécessaire en raison d’une situation d’urgence causée par la paralysie politique, les taux élevés d’infection par le Coronavirus et les manifestations.
Le mouvement Ennahdha appartenant aux Frères musulmans a exprimé son rejet catégorique de ce qu’il considère comme « des tentatives pour pousser vers des options qui violent les dispositions de la Constitution ». Il a expliqué que « la constitution de 2014 représentait la base du contrat politique et social et elle bénéficiait du consensus de la plupart des familles politiques et d’une large approbation populaire. D’autant plus qu’elle représentait la base de la légitimité électorale de toutes les institutions exécutives et législatives en Tunisie ».
Kaïs Saïed, professeur de droit élu président fin 2019, avait annoncé le recours d’un article constitutionnel autorisant à prendre des mesures en cas de « danger imminent menaçant l’unité nationale, la sécurité et la stabilité du pays». Et il a prolongé le 23 août la suspension des travaux du Parlement « jusqu’à nouvel ordre ».
La solution idéale…
Par ailleurs, le mouvement « Tunisie en avant » a considéré que la dissolution du parlement tunisien est la solution la plus appropriée pour la sortie du pays de sa crise politique actuelle, en ajoutant que « la situation actuelle nécessite également l’amendement les dispositions de la Constitution de 2014 ».
Le mouvement a appelé, hier dimanche, dans un communiqué à former un gouvernement restreint pour s’occuper des dossiers économiques et sociaux selon un programme qui adopte des mesures temporaires et à moyen-terme, en considérant que « tout retard dans la formation d’un gouvernement avec un programme de sauvetage ne fera qu’aggraver la situation économique et sociale ».
Le mouvement a précisé que « le prochain gouvernement est tenu de trancher rapidement dans les dossiers de corruption financière, administrative et politique et de terrorisme, à travers des procès équitables loin de la logique de règlement de compte, ainsi que la nécessité d’émettre un décret pour une organisation temporaire des pouvoirs, et l’amendement des dispositions de la Constitution de 2014 ». Il a ajouté que « le décret doit garantir un système social, démocratique et républicain qui rétablit la stabilité politique et répond aux aspirations du peuple à la dignité fondée sur la liberté et la justice sociale, ainsi qu’une révision de la loi électorale et des partis, afin de barrer la route devant les fonds suspects et durcir les sanctions contre leurs auteurs ».
Dans une nouvelle tentative du mouvement Ennahdha de rattraper son retard par rapport à l’évolution politique que connaît la Tunisie suite aux décisions du président « Kaïs Saïed », le leader du mouvement, Rached Ghannouchi, a exprimé son espoir que les acteurs politiques se réunissent pour lancer un dialogue national sous la houlette de Kaïs Saïed pour trouver des solutions permettant la sortie de la crise.
Ghannouchi a indiqué dans des déclarations médiatiques que « le dialogue sans exclusion est l’incubateur approprié de toutes les solutions, et le fonctionnement de l’État ne peut être fait en l’absence du gouvernement et avec le gel des travaux du Parlement », en appelant à «confier les dossiers de la corruption à la justice tunisienne loin des influences et des directives politiques et dans le cadre de la séparation des pouvoirs ».
Ghannouchi a affirmé que le mouvement Ennahdha assume une part de la responsabilité de la situation en Tunisie, selon sa taille, son positionnement et son rôle, mais pas d’une manière marquée par des accusations excessives ».
Il est à rappeler que le mouvement Ennahdha a considéré les décisions du président tunisien, Kaïs Saïed, de geler le parlement et de limoger le gouvernement, un coup d’État constitutionnel.