Rached Ghannouchi, leader du mouvement Ennahdha, qui doit comparaître le 19 juillet devant la justice pour être interrogé dans l’affaire « Instalingo », a déclaré que, selon les informations préliminaires qu’il avait reçues, il sera arrêté. Toutefois, il va répondre à la convocation et assister à l’interrogatoire.
Instalingo est une société de création de contenu située à Kalâa Kebira sur la côte tunisienne. C’est avéré après, qu’il s’agit d’une façade pour cacher sa véritable activité qui touche à la sécurité nationale de l’Etat tunisien.
Certains suspects ont été arrêtés dans ce cadre et des convocations ont été envoyées pour interroger d’autres personnes liées à cette société.
Les suspects sont accusés d’avoir commis des délits liés à la création d’une coalition pour blanchiment d’argent, à l’exploitation des facilités octroyées grâce aux avantages de la fonction et de l’activité professionnelle et sociale, et à l’agression destinée à changer la forme de l’Etat. Il s’agit également d’inciter la population à s’entretuer, de provoquer le chaos, le meurtre et le pillage sur le sol tunisien, d’offenser le chef de l’Etat, et d’atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat en sapant l’intégrité territoriale conformément aux dispositions des articles 61, 67 et 72 du Code pénal et l’article 94 de la loi n° 26 de 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et à l’interdiction du blanchiment d’argent.
L’audition de Ghannouchi intervient moins d’une semaine avant le référendum sur la nouvelle Constitution rédigée par Saïed et qui lui attribue de larges pouvoirs tout en limitant le contrôle sur ses faits.
Les nouvelles accusations contre Ghannouchi sont considérées comme un nouveau coup dur pour les Frères musulmans en Tunisie, avec une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison, outre la possibilité de dissoudre le mouvement.
Le gel des comptes bancaires et des fonds
Dans le même registre, le premier juge d’instruction du bureau 23 du Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme a adressé, au cours de la semaine écoulée, une correspondance à la Commission tunisienne des analyses financières, concernant une autorisation judiciaire délivrée par ce même juge, relative au gel des comptes bancaires et des fonds appartenant à dix personnes.
Ces personnes sont : le chef du mouvement islamique Ennahdha, Rached Kheriji Ghannouchi, son fils Mouadh Kheriji, et Rafik Abdessalem Bouchlaka, un leader d’Ennahdha et ancien ministre des Affaires étrangères et il est le gendre de Ghannouchi, Hamadi Jebali, l’ancien premier ministre qui était également un leader d’Ennahdha, et ses deux filles, Safa et Soumaya Jebali, outre Abdelkrim Souleiman, Mohamed Hachfi, Rafik Amara et Najeh Latif.
Selon le texte de notification émis par la Commission des analyses financières présidée par le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi, ces fonds sont placés dans un compte de dépôt mis à la disposition pendant le déroulement de l’affaire qui est toujours en cours.
La commission a indiqué dans sa notification que toutes les banques et la Poste sont chargées d’« exécuter immédiatement cette décision de la justice » rendue par le juge d’instruction du pôle précité dans le cadre de l’affaire d’instruction ouverte portant le numéro 23/6240.
La Commission a demandé aux banques et à la Poste de fournir directement au juge d’instruction les données et les informations relatives à la mise en œuvre de la décision, telles que lui fournir tous les relevés de comptes appartenant aux personnes concernées par les procédures de l’affaire, tout en informant la Commission.
Ghannouchi piégé
L’accusation relative au financement étranger suspect et d’argent corrompu n’est qu’une des nombreuses autres affaires qui encerclent Ghannouchi, y compris l’espionnage, l’implication dans des assassinats politiques et fournir l’aide aux terroristes pour entrer en Syrie et d’autres.
En ce qui concerne l’accusation de financement étranger de la campagne électorale, le renvoi de Ghannouchi devant le tribunal révélerait la gravité de ce qui a été commis de l’utilisation des fonds étrangers pour accéder au pouvoir, ainsi que l’exploitation de l’espace public et des institutions de l’État au profit de son parti.
Cette affaire n’est pas nouvelle. Elle a été rouverte après la purge du système judiciaire des éléments des Frères musulmans infiltrés, et après la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et son remplacement par un conseil provisoire. La justice n’a pas examiné cette affaire auparavant, car Ghannouchi et son parti contrôlaient les paysages politiques et judiciaires.
En effet, l’affaire de Ghannouchi n’a pas une dimension politique autant qu’elle a une dimension judiciaire et juridique, surtout que la justice tunisienne est entrée dans une nouvelle phase après la mise en place d’un conseil supérieur de la magistrature provisoire, et le fait d’écarter les juges corrompus des Frères musulmans qui contrôlaient la justice tunisienne, changeaient les décisions et dissimulaient les dossiers et les documents en fonction de leurs intérêts.
On peut dire, aujourd’hui, qu’après le démantèlement d’une grande partie du système des Frères musulmans, et après que le mouvement Ennahdha avait levé sa main sur la justice, Ghannouchi et ses bras corrompus seront jugés selon la loi.
Le parti Ennahdha va-t-il être dissous ?
Plusieurs observateurs pensent qu’Ennahdha sera dissous tôt ou tard, surtout qu’il fait face, depuis l’annonce des mesures exceptionnelles dans le pays le 25 juillet dernier, à plusieurs accusations liées au fait de corrompre la scène politique, de recevoir des fonds étrangers et l’infiltration de la justice, ainsi que les accusations liées au terrorisme et au dossier des assassinats politiques et d’espionnage.
Des observateurs ont indiqué que les investigations qui se déroulent à ce niveau se focalisent sur les réseaux de financement qui auraient pu soutenir des sites et activités appartenant au mouvement Ennahdha, dont l’activité a augmenté, notamment après le 25 juillet dernier.
Le dossier financier du mouvement a fait l’objet de nombreuses controverses ces dernières années, mais il n’a pas été traité pour plusieurs raisons.
Les énormes dépenses d’Ennahdha – que ce soit dans les campagnes électorales ou lors d’événements sociaux – pour attirer les sympathisants de la rue tunisienne, ont souvent soulevé la question de la source de l’argent dépensé. Celui-ci était toujours justifié par le mouvement par les dons de ses membres, au milieu des accusations d’avoir reçu des fonds étrangers. Une chose interdite par la loi tunisienne.
Ennahdha a publié un communiqué niant toute relation de Ghannouchi avec l’affaire de l’association « Namaa ». Mais ce qui est frappant, c’est que ce déni était limité au chef du mouvement, et le communiqué n’a pas défendu les autres dirigeants du mouvement accusés, en particulier le fils de Ghannouchi, Mouadh.
Le mouvement a considéré dans un communiqué que l’implication du nom de Ghannouchi dans le dossier de l’association Namaa et dans d’autres affaires s’inscrit dans le cadre du dénigrement et de la fabrication de fausses accusations malveillantes dans le but de créer une situation de polarisation et de semer la peur auprès des populations pour que le référendum sur la constitution n’échoue pas en prétendant le retour au pouvoir du mouvement Ennahdha dans cette situation.
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