Préparé par : Ahmad Al Romh
Le parti Baas a réussi, depuis son arrivée au pouvoir en mars 1963, à soumettre et à éliminer de son chemin tous les adversaires politiques, soit par l’endiguement politique comme c’était le cas de l’expérience du Front national progressiste, qui comprenait un nombre de partis dominant sur la scène politique en Syrie à l’époque, soit à travers les arrestations, les poursuites judiciaires et les prisons comme c’était le cas avec ses opposants qui avaient refusé de rejoindre ce front. Toutefois, son conflit avec les Frères musulmans a pris une forme presque similaire à un conflit existentiel, puisqu’il est progressivement passé de son niveau politique dans les années cinquante, soixante et soixante-dix du siècle dernier à son niveau « zéro » (existentiel) dans les années quatre-vingt du siècle dernier et au-delà.
Ce conflit, outre qu’il s’agit d’un conflit existentiel, a jeté son ombre sur toute la carte politique syrienne, changeant complètement son équation, non seulement au niveau de la nature du pouvoir et de l’opposition, mais aussi au niveau de la société syrienne et de développement politique de la Syrie qui s’est dégradé et a été détruit à cause de ce conflit. Il a de même détruit les acquis cumulé de connaissances syriennes, politiques, sociales et économiques, ainsi que la pratique politique de plus d’un demi-siècle
Cela rend impératif de piocher dans les racines et les causes de ce conflit :
En Syrie, il est couramment connu que les Frères musulmans sont les héritiers de la période des associations caritatives et islamiques qui sont nées lors de la période des réformes ottomanes, quand les associations caritatives religieuses ont commencé à se former. Celles-ci sont explicitement religieuses et caritatives mais implicitement politiques pour affronter la politique des réformes ottomanes visant à retirer le tapis sous les pieds des hommes religions. Une chose qui a été accélérée après que les réformateurs ottomans ont introduit en 1869 une loi sur l’éducation permettant d’appliquer un système unifié : Enseignement primaire, secondaire, baccalauréat et supérieur. Cela a reprtésenté une sonnette d’alarme pour les intérêts des religieux qui avaient commencé à bouger afin de protéger leurs intérêts et de ce qu’ils considéraient comme une menace pour l’islam, surtout après la création d’une école protestante britannique pour l’éducation des filles à Damas. Ceci a poussé le gouverneur de Damas, « Midhat Pacha » à persuader certains savants de Damas de créer l’Association « Al-Makassed (résolutions) islamistes », suivie de la création d’autres associations qui ont continué pendant le Mandat français, dont l’unification de ces associations a enfanté les Frères musulmans dans les années 40 du siècle précédent.
De l’autre côté de la question des réformes ottomanes, d’autres courants et associations sont nés qui croyaient aux réformes ottomanes et les cherchaient en priorité. Puis, ils se sont séparés d’eux pour former plus tard le courant nationaliste moderniste revendiquant l’indépendance des Ottomans. Ils étaient parmi les fils des riches et des féodaux et certains autres appartenaient par leurs origines au courant religieux classique. Mais il a dévié de son objectif pour former le courant nationaliste arabe sans abandonner son islam et sa religion, car il a estimé que la priorité est pour le nationalisme et non pas pour la religion, et il a demandé de se débarrasser du lourd héritage de l’Empire ottoman et de travailler pour adopter les valeurs de la modernité, des institutions et de l’éducation civique
En observant les origines de la naissance du Baas et des Frères musulmans en Syrie, on comprend qu’ils sont nés déjà opposés.
Bien que les Frères musulmans se présentent toujours comme étant un mouvement qui croit à la démocratie et à la modernité, surtout pendant ce qu’on appelle l’étape libérale syrienne après l’exclusion du Mandat français, quand la démocratie leur a permis d’atteindre le parlement syrien, surtout à l’étape lorsque Mustafa al-Sibai était l’observateur général des Frères musulmans, leur structure profonde restait telle qu’elle était dans sa position contre la modernité et tout changement. Cela s’est reflété toujours dans les batailles charnières liées à la Constitution syrienne, où leur vision de l’État a toujours été une vision pré-moderne qui reflète la structure de leur pensée basée sur la supériorité numérique sectaire dans son essence, et non sur la citoyenneté, et nous passerons en revue ici un certain nombre de batailles et de polémiques ayant eu lieu autour de ce sujet.
Dans la Constitution de 1950, le Comité constitutionnel, dans lequel les députés des Frères musulmans, dont al-Sibai, jouaient un rôle de premier plan, a adopté un article disant que la religion de l’État est l’islam. Mais cela a poussé les autres sectes à protester, ainsi que d’autres partis et autres blocs parlementaires, forçant al-Sibai à trouver une solution. Il s’agissait de stipuler que « la religion du chef de l’État est l’Islam». Et que « la jurisprudence islamique est la seule source de législation » et que « la liberté de croyance est préservée, et l’État assure toutes les religions et la liberté de pratiquer tous leurs rituels, à condition que cela ne porte pas atteinte à l’ordre public » et « le statut personnel des sectes religieuses est préservé et respecté ».
Les autres conflits entre les deux parties après l’arrivée du Baas au pouvoir
La nationalisation, la réforme agraire, la confiscation des grandes propriétés privées et leur redistribution sur les paysans par le parti Baas, ont pratiquement fait perdre aux Frères musulmans une de leurs sources de financement et de soutien provenant de ces groupes vulnérables. Cela justifie pratiquement l’opposition de Mustafa al-Sibai, malgré le «socialisme de l’islam » dont il parlait dans son livre sur la distribution de la propriété privée, en n’acceptant que la distribution des terres de l’État sur les paysans. Cette donné constituait un facteur d’affrontement implicite entre le Baas et les Frères musulmans.
Bien que Hafez al-Assad renonce à continuer dans cette politique de gauche pour adopter une nouvelle réforme concernant la distribution des terres et la nationalisation, l’affaire a été à son avantage puisqu’il a réussi à gagner le soutien des marchands. Ceci a constitué une perte double pour les Frères musulmans qui avait perdu deux importantes parties qui leur offraient un soutien matériel et moral.
Avec le retour de la vie démocratique en Syrie après la séparation, les Frères musulmans ont réussi à remporter dix sièges aux élections législatives qui ont eu lieu la même année (1961). Mais cette réalité n’a pas duré longtemps, lorsque le coup d’État de mars 1963 qui a porté le Baas au pouvoir est arrivé, non seulement pour éliminer ces acquis des Frères musulmans, mais aussi pour déposséder les Frères musulmans de presque tout et pour lancer une bataille déchirante entre les deux parties dont les premiers signes ont eu lieu lors de la bataille de la mosquée du Sultan en 1964, qui a commencé parce qu’un étudiant des Frères musulmans a écrit un verset au tableau : (Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes.) Certains étudiants s’y sont opposés, et l’affaire est évoluée jusqu’à l’organisation d’un sit-in des étudiants dans la mosquée du Sultan à Hama avec l’incitation de Marwan Hadid et Sa’id Hawwa pour que l’armée intervienne après et mettre militairement un terme à la bataille. Cela a mené finalement à élargir le gouffre entre les Frères musulmans et le Baas. Dès lors, les batailles commencent à s’intensifier, en particulier sous l’état d’urgence, qui est devenu permanent et continu.
La divergence au niveau des positions du Baas et des Frères par rapport à la plupart des questions soulevées sur la scène politique : l’unité arabe, la cause palestinienne, la guerre libanaise, tout cela a aggravé la bataille et a élargi la distance entre les deux camps.
Le conflit entre les deux parties sur les bases, malgré l’arrivée au pouvoir du Baas, les villes syriennes ont formé pour lui des points de résistance, et il n’a pas pu pénétrer leur structure solide et cohérente socialement, étant donné que cette structure était historiquement et socialement plus proche des Frères musulmans qu’au pouvoir. Par conséquent, le conflit entre eux a pris le caractère d’une lutte brutale pour gagner plus de partisans. Là, cette question a constitué pour l’élite baasiste au pouvoir une source d’ennui à cause de la capacité des Frères musulmans à gagner la confiance de ces groupes, tandis qu’elle n’était pas capable à le faite. En parallèle, les politiques du parti au pouvoir a conduit à la perte de ses bases sociales traditionnelles à la campagne après la révélation de son autoritarisme et de sa corruption.
L’autoritarisme baasiste et sa quête de monopoliser le pouvoir et dominer la société en domestiquant les syndicats, et à travers l’oppression de la société civile et la surveillance des mosquées, des fondations et des œuvres caritatives, ont conduit à arrêter et à réduire les flux financiers qui parviennent aux Frères musulmans, surtout après que l’autorité baasiste avait également pu arrêter les flux de dons provenant des marchands grâce à la capacité d’al-Assad à les attirer parmi ses rangs. Cela a constitué un facteur de conflit et de tension entre les deux parties.
Al-Assad a joué sur la création de nouvelles forces religieuses qui lui sont fidèles au sein du cercle religieux, dans le but de diviser l’unité du rang islamique d’une part, et de construire une légitimité religieuse pour son règne dont il avait besoin après la remise en question de son islamisme. Pour cette raison, il a œuvré pour mettre en place, soutenir et fabriquer des religieux qui lui étaient fidèles, qui parlaient en son nom à leurs bases inaccessibles, en aidant ainsi à retirer ces bases des mains des Frères musulmans et d’autres opposants. Cela s’est reflété clairement dans la bataille du Mufti de la République, où le parti Baas a agi contre la candidature de Hassan Habanka en faveur d’Ahmed Kaftaro en 1965, et al-Assad a nommé Kaftaru lui-même membre de l’Assemblée du peuple. Et si on savait que Hassan Habanka et Sa’id Hawwa figuraient parmi les religieux les plus importants qui ont mené la bataille contre la Constitution d’al-Assad en 1970, on comprend la signification profonde derrière tout cela.
Les Frères musulmans n’ont pas réussi à trouver une figure qui possédait le leadership et le charisme diplomatique dont bénéficiait Mustafa al-Sibai contre le radicalisme islamiste du professeur Issam Al-Attar. Le mouvement des Frères musulmans n’a pas pu en effet produire le leader après la sortie d’al-Attar de la Syrie, tandis que le Baas bénéficiait de son contrôle sur l’armée et de l’assèchement total de la vie politique.
Conclusion
Pour conclure, on peut dire qu’en raison de l’opposition qui a marqué ce conflit entre les Frères musulmans et le Baas comme nous l’avons expliqué plus haut, selon ses racines profondes, ce conflit a été gouverné par l’une des deux choses, soit le Baas est devenu démocratique et a cru en l’alternance au pouvoir, ou les Frères musulmans sont devenus moins radicaux et plus réconciliés avec la modernité et ses termes, ou que les deux parties se dirigeraient inévitablement à un affrontement absolu.
Et c’est ce qui s’est passé.