Les appels de l’opposition turque d’abandonner le projet hydrique, « le Canal d’Istanbul », reliant la mer Noire à celle de Marmara, ne se sont pas arrêtés, tandis que le régime du président Recep Tayyip Erdogan ne renonce pas à sa position de le mettre en œuvre, malgré les mises en garde des risques environnementaux, économiques et politiques.
Les derniers appels ont été lancés par le maire d’Istanbul, en Turquie, « Ekrem Imamoglu », après que le gouvernement turc a annoncé que les travaux de construction et d’excavation du « canal d’Istanbul » commenceraient le 26 juin, mettant en garde contre la possibilité de détruire du projet susmentionné du célèbre lac Marmara et de mettre l’avenir de la ville en danger.
Une catastrophe environnementale et urbaine …
Le « Canal d’Istanbul » est un projet d’un canal hydrique artificiel reliant la mer « Marmara » à la mer « Noire » dans la partie européenne d’Istanbul, d’une longueur de 45 kilomètres et d’une largeur de 400 mètres, parallèlement au détroit du Bosphore.
En outre, « Imamoglu » a indiqué : « L’affaire a atteint un stade émotionnel, et nous ne pouvons pas le supporter, alors nous insistons et nous vous supplions, vous ne pouvez pas mettre l’avenir d’Istanbul en danger, vous ne pouvez pas détruire la mer de Marmara », il a ajouté « qu’il y a des projets cachés qui se tiennent derrière le projet susmentionné, et que le soutien de certains partis politiques turcs au projet du canal d’Istanbul est lié au désir du gouvernement de construire une nouvelle ville à proximité d’Istanbul».
Par ailleurs, le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé que le gouvernement turc a entamé la construction de deux nouvelles villes sur les rives du canal d’Istanbul, tout en affirmant que la pierre angulaire du projet du canal d’Istanbul sera posée fin juin.
De son côté, la responsable de l’Association du canal d’Istanbul, qui est contre la construction du canal, « Aisha Yekce », a expliqué que le canal, s’il était construit, affecterait profondément les réserves du nord, la région de la Thrace et les sources en eaux, en ajoutant : « Pour cela que nous sommes contre le projet, beaucoup de Turcs sont contre, et nous essayons de les organiser et de les rassembler pour s’opposer au projet du canal d’Istanbul.
L’opposition turque s’était opposée au projet, car ce dernier va entraîner un certain nombre de changements qui menaceraient l’écosystème et les zones archéologiques autour du canal et pourrait provoquer l’isolement de ces zones. Le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu (du Parti républicain du peuple) l’a qualifié de « catastrophe qui provoquera un massacre environnemental ».
Aussi, des opposants au président turc affirment que « les opérations d’excavation vont engendrer des défaillances au niveau de cohésion du sol sur les deux rives du canal et menacer les réserves hydriques souterraines, ce qui peut provoquer des glissements de terrain et des tremblements de terre ».
Une étude préparée par l’université turque « Hacetepe » a mis en garde que l’exécution du projet nécessitera l’abattage d’arbres forestiers dans le nord au niveau de la côte de la mer Noire, ce qui menace de diminuer les niveaux d’oxygène dans l’eau et d’augmenter la salinité qui se versera dans les eaux de la mer de Marmara, ainsi que de son impact sur l’équilibre de la vie marine et de charger l’air d’Istanbul de la mauvaise odeur « l’eau avariée».
Il est à noter que l’Union des chambres d’ingénieurs turques a décrit dans un rapport le projet comme une « catastrophe environnementale et urbaine », en mettant en garde que le projet détruirait un site archéologique près d’Istanbul, datant de 8500 ans, et causerait des dommages environnementaux étendus, et détruirait l’écosystème du lac « Kuchukcekmece », et menacerait les animaux marins et les oiseaux migrateurs.
Un rapport de l’association pour la « protection de la nature », préparé par 21 universitaires turcs pour révéler les dommages causés par le projet du canal hydrique artificiel, a indiqué que « le projet du canal d’Istanbul transportera les eaux chargées de pollution du rivage de la mer Noire jusqu’au délicat écosystème de la mer de Marmara et ainsi perdre une vie marine unique en face des côtes de la ville, ainsi que la perte des dernières forêts de l’ancienne ville fondée il y a 8500 ans. De plus, les dommages causés aux nappes phréatiques d’Istanbul détruiront considérablement les terres fertiles du nord de La Thrace, ce qui entraînera également une détérioration rapide d’une partie des terres arables, couvrant une superficie de 66.000 hectares, et la majeure partie se situe dans la partie nord de la ville.
Risques économiques
Les risques du projet ne touchent pas seulement les aspects environnemental et urbain, étant donné que l’opposition s’interroge sur la source de financement du canal d’Istanbul en l’absence de vision claire du gouvernement, car la réalisation des mégaprojets annoncés par Erdogan dans le cadre du plan 2023, nécessite que la Turquie injecte environ 700 milliards de dollars d’investissements dans les infrastructures et 400 milliards de dollars dans des projets urbains. Ce qui constitue un énorme fardeau pour l’économie turque en difficulté.
Le gouvernement affirme que les projets annoncés généreront d’énormes revenus annuels et créeront de nouvelles opportunités d’emploi pour des dizaines de milliers de personnes sur le marché du travail, en indiquant que « ses estimations pour les revenus du canal d’Istanbul s’élèvent à environ 8 milliards de dollars en frais de transit payés par les navires ».
Il est à rappeler que le président turc annonçait l’idée du projet pour la première fois en 2011, et le coût du projet est de 25 milliards de dollars, tandis que le ministre turc des Transports, « Adel Kara Ismailoglu », a affirmé que le coût s’élevait à 15 milliards de dollars (l’équivalent de 123,5 milliards de livres turques).
Selon les données du ministère turc des Transports et des Infrastructures, le nombre de navires traversant le Bosphore en 2019 a atteint environ 41.112. Selon le ministère turc des Transports, la moyenne annuelle du trafic maritime dans le Bosphore se situe entre 40 et 42.000 navires, sachant que la capacité du détroit est d’environ seulement 25000 navires par an, et en raison de cette forte congestion, le détroit du Bosphore a enregistré au cours de 2019, un total de 15 accidents de navires, et 141 pannes, outre les dommages environnementaux causés par cet encombrement.
Il suffit probablement de rappeler que les revenus que les revenus totaux des détroits du Bosphore et de Çanakkale en 2019 se sont élevés à environ 794.290.800 livres syriennes (136 millions de dollars) seulement, provenant des services fournis aux navires pendant leur transit tels que l’éclairage, le guidage, le sauvetage et le remorquage de navires, contre 5,6 milliards de dollars pour le canal de Suez en 2020.
Alors que le nouveau canal donne à la Turquie un grand avantage compétitif dans le commerce international, notamment avec le passage de plus de 75 % de ce commerce à travers les mers, ainsi que le grand nombre de navires dépassant le double du nombre de navires traversant le canal de Suez par lequel ont traversé 19000 navires en 2020 seulement, et plus de trois fois les navires qui ont traversé le canal de Panama la même année, estimés à 14.000 navires.
Le nouveau canal donnera permettra à la Turquie de gagner 5,5 dollars pour chaque tonne de marchandises et tonnage de navires traversant quotidiennement le canal, avec des revenus totaux estimés à environ 8 milliards de dollars par an, ce qui contribue à couvrir les coûts de construction du canal estimés à environ 15 milliards de dollars en seulement deux ans, et dans la troisième année, il couvre le coût des constructions adjacentes, estimé à 10 milliards de dollars.
En transformant le détroit du Bosphore en ligne secondaire de navigation, la Turquie supprimera le tarif réduit de passage pour les navires traversant le détroit, conformément à l’accord « Montreux » signé dans la ville suisse en 1936 pour réglementer la navigation dans le Détroits et voies navigables turcs, ce qui faisait que les faibles retours des détroits turcs continuent pendant près d’un siècle.
« Montreux » et la dimension politique …
Sur le plan sécuritaire et militaire et l’impact géopolitique du canal, le changement des trajectoires des navires de guerre turcs et occidentaux est au cœur de la dimension juridique en sautant les dispositions de la Convention de Montreux, sans les violer, et ainsi se débarrasser des conditions de dépendance, et de gaspillage financier, étant donné que le projet constitue une grande menace pour les pays de la mer Noire, en particulier la Russie, qui considère qu’accorder aux navires de l’OTAN, dont la Turquie est la deuxième puissance, la liberté de navigation à travers le nouveau canal est une grande source de dérangement.
Les autorités de sécurité turques avaient précédemment arrêté 10 commandants de marine à la retraite parce qu’ils avaient signé une lettre de mise en garde contre le projet du canal d’Istanbul et la possibilité que son impact touche à la Convention de Montreux signée en 1936, organisant le trafic maritime à travers le détroit du Bosphore.
Il est à rappeler que plus de 100 officiers de la marine turque à la retraite ont émis une déclaration mettant en garde le gouvernement du président turc Recep Tayyip Erdogan contre la violation de la Convention de Montreux sur le trafic des navires dans la mer Noire, et ils ont appelé à renoncer à l’exécution du projet du canal d’Istanbul, et le respect de la Constitution qu’Erdogan entend amender. .
Le communiqué des officiers à la retraite a souligné qu’« il est préoccupant que la Convention de Montreux e été ouverte à la discussion dans le cadre du Canal d’Istanbul et des conventions internationales, et que la Convention de Montreux a protégé les droits de la Turquie de la meilleure façon. La Turquie doit maintenir son engagement de la Convention de Montreux, qui lui a permis de jouer un rôle neutre dans la Seconde Guerre mondiale.
La Convention de Montreux est entrée en vigueur en 1936, dans le but de réglementer le mouvement des navires à travers les détroits turcs jusqu’à la mer Noire, et la durée deleur présence dans cette mer. Elle concerne les navires des pays riverains (Ukraine, Russie, Géorgie, Turquie, Bulgarie et Roumanie) de la mer Noire et non riverains. Elle visait à contrôler le trafic en mer Noire en établissant des règles commerciales et maritimes strictes pour le passage du Bosphore et des Dardanelles menant à la Méditerranée.
En avril, le président russe Vladimir Poutine appelait son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, à respecter une convention internationale qui profite à Moscou et réglemente le trafic maritime à travers les détroits de la mer Noire, le Bosphore et les Dardanelles.
Dans un communiqué, le Kremlin a indiqué : « À la lumière des plans turcs de construction du canal d’Istanbul, la partie russe a insisté sur l’importance de préserver l’ordre existant du détroit de la mer Noire conformément aux termes de la Convention de Montreux de 1936 afin d’assurer la stabilité et la sécurité régionales ».
De son côté, le ministère turc des Affaires étrangères a annoncé que les États-Unis vont envoyer deux navires de guerre vers la mer Noire à travers le détroit du Bosphore, et que le nouveau canal permettrait aux navires de traverser entre la Méditerranée et la mer Noire sans passer par des détroits soumis aux termes de la Convention de Montreux.
La Convention de Montreux assure le libre passage des navires civils en temps de paix et de guerre. En outre, elle réglemente l’utilisation des détroits par les navires militaires des pays non riverains de la mer Noire, y compris les États-Unis et les membres de l’OTAN, dont les relations avec la Russie sont très tendues. Les termes de la Convention stipulent que les navires de guerre étrangers doivent envoyer un préavis avant de traverser et elle autorise qu’ils restent dans la mer Noire pendant 21 jours.